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Pologne

Les réformes judiciaires polonaises plongent le pays dans l’impasse

En Pologne, les rappels à l'ordre de la Commission européenne n'auront finalement rien donné : les réformes de la justice souhaitées par le gouvernement polonais sont entrées en vigueur mardi 3 juillet.

Le  président Andrzej Duda, ici le 17 mai 2018 à New Yok, au Conseil de sécurité de l'ONU.
Le président Andrzej Duda, ici le 17 mai 2018 à New Yok, au Conseil de sécurité de l'ONU. Drew Angerer / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP
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Par Victor Zammit,

►Que contiennent ces réformes ?

C’est sans doute la mesure la plus symbolique de ces réformes : la loi sur la Cour suprême va ramener l’âge de la retraite de ses membres de 70 à 65 ans. Cette mesure écarte donc plus d’un tiers des juges actuels, dont la présidente de la Cour suprême, Malgorzata Gersdorf, qui était élue pour siéger encore trois ans. L’argument avancé par la Pologne réside dans le fait que cette mesure réduirait le nombre de magistrats formés pendant l’ère communiste. Mais selon le politologue français spécialiste de l'Europe centrale, Jacques Rupnik, cet argument ne tient pas la route.

« C’est un argument à moitié convaincant puisque nous sommes quand même 30 ans après la chute du communisme, avance-t-il. Les juges qui avaient de grandes responsabilités sous l’époque communiste sont presque tous partis. Le vrai problème de la justice polonaise concerne sa lenteur, sa corruption et son inefficacité. »

Autre changement : le ministre de la Justice a désormais le droit de nommer et de démettre de leurs fonctions les magistrats à la tête des tribunaux de droit commun, y compris ceux des cours d'appel, sans consulter les assemblées générales des juges et le Conseil national de la magistrature.

►Un crash-test pour l’Europe ?

Depuis l'arrivée au pouvoir du parti « Droit et Justice » de Jaroslaw Kaczynski, les relations entre Varsovie et Bruxelles se sont tellement tendues que la capitale européenne a qualifié la situation politique polonaise « d'un des plus graves problèmes de l'Union européenne ». Après des mois de rappels à l’ordre, la Commission européenne a finalement considéré que la Pologne avait atteint un point de non-retour.

Les conséquences de ce bras de fer entre la Pologne et la Commission européenne pourraient être déterminantes pour l'avenir de l'Union européenne, selon l’historien et maître de conférence à l’université de Lorraine Paul Gradvhol.

« Nous avons affaire à un crash-test européen, analyse le chercheur. Si nous laissons la possibilité à un gouvernement de changer ses institutions de telle façon que la séparation des pouvoirs ne soit plus une donnée de base de fonctionnement du système, cela veut dire que le sens des institutions européennes est en péril parce que n’importe quel Etat pourra faire de même. C’est donc la notion d’Etat de droit pour l’ensemble de l’union européenne qui sera mise en danger. On est donc à un moment clé de l’évolution de notre continent. L’affaire polonaise peut à ce titre devenir l’un des points de bascule ou au contraire de réaction positive et démocratique de l’Europe. »

►Que risque la Pologne ?

La Commission européenne a envoyé lundi 2 juillet une lettre de mise en demeure à la Pologne.

Conséquence : si Varsovie n'obtempère pas, la Cour européenne de justice (CJUE) pourrait se saisir du dossier. Dans ce cas, la décision éventuelle de la CJUE pourrait avoir des conséquences très importantes puisqu'elle s'appliquerait à tous les pays membres, selon Paul Gradvohl :

« Le fait que la Cour européenne de justice intervienne pour dire que le processus de nomination des juges ne relève pas seulement de la politique intérieure polonaise mais du respect de l’Etat de droit tel que l’union européenne peut l’apprécier, c’est quelque chose de tout à fait essentiel parce que ça veut dire que l’union européenne se donne les moyens d’avoir un vrai regard sur les pratiques démocratiques et les normes démocratiques appliquées en son sein. Alors que jusqu’à présent, si Hitler prenait le pouvoir dans n’importe quel pays européen, on fermait les yeux parce qu’il avait été élu. »

Autre risque pour la Pologne : le retrait de son droit de vote au sein de l'Union Européenne. C'est ce que prévoit l'article 7 du traité de Lisbonne, déclenché par la commission européenne au mois de décembre. Mais pour Jacques Rupnik, spécialiste de l'Europe centrale, cette solution a peu de chances d'aboutir :

« C’est tout à fait improbable qu’une telle décision soit prise puisqu’il faudrait l’unanimité pour arriver à un tel vote. Or les pays d’Europe Centrale ne voteront jamais une telle mesure. La Hongrie a déjà dit qu’elle s’y opposerait tout comme d’autres pays du groupe de Višegrad à l’instar de la République Tchèque ou la Slovaquie ».

►Pourquoi l’Europe n’est-elle pas intervenue plus tôt ?

A Bruxelles, des voix s'élèvent pour critiquer le manque d'efficacité de l'Union Européenne, soulignant que la Pologne suit le chemin autoritaire de la Hongrie. Déjà en 2015, avant les élections parlementaires, le chef du parti « Droit et Justice » Jaroslaw Kaczynski, avait déclaré vouloir « faire Budapest à Varsovie ».

« Monsieur Orban prétend proposer un modèle autoritaire qui est approuvé par Monsieur Kaczynski. Ils ont fait des déclarations communes en ce sens au nom d’une révolution culturelle conservatrice et catholique. Le but c’est de fabriquer un pays où tous les citoyens ont peur de toutes les menaces qui les entourent et un pays dans lequel l’objectif est l’unanimisme et non plus le débat démocratique qui est considéré presque comme une preuve de faiblesse », analyse Paul Gradvohl.

Mais si l’Europe était consciente du risque depuis si longtemps, pourquoi les institutions européennes ont-elles tant tardé à intervenir ?

« Il y a eu en Hongrie le bénéfice du doute dans une période où l’Europe regardait ailleurs, explique Jacques Rupnik. Elle ne faisait pas attention à la question de la démocratie et de l’état de droit parmi ses pays membres. Les dérives hongroises n’ont pas été prises suffisamment au sérieux mais lorsque la Pologne a adopté une même politique qu’en Hongrie, l’Europe a compris que ce n’était plus un accident mais qu’il y avait un véritable problème en Europe centrale. Et c’est pour éviter que ces situations se propagent que la commission européenne a adopté une politique plus ferme. L’Europe s’est repolitisée en quelque sorte. »

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