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Cinéma/Espagne

Cinéma: «Estiu 93», une vie d'enfant, l'été d'un deuil

C'est un premier film subtil, émouvant et remarqué. «Estiu 93», titre en catalan de «L'été 93», réalisé par la jeune Carla Simón, a déjà été couronné aux festivals de Berlin et de Malaga. Plus récemment, sélectionné par le Festival Différent à Paris qui propose de découvrir la fine fleur de la production cinématographique espagnole, il a été récompensé par le prix Crimic (Institut d'études hispaniques de La Sorbonne) par un jury d'étudiants et d'enseignants. Un film grave et solaire, porté notamment par la qualité d'interprétation de ses acteurs, les enfants. Il sort ce mercredi 19 juillet sur les écrans français.

Frida se plaint de sa « boucle de travers »: une petite fille mal embarquée dans la vie qui doit apprendre le chagrin et le deuil pour se construire.
Frida se plaint de sa « boucle de travers »: une petite fille mal embarquée dans la vie qui doit apprendre le chagrin et le deuil pour se construire. www.pyramidefilms.com
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Les pétards et les feux d'artifice d'une fête, des jeux d'enfants   « Un deux trois soleil... si tu bouges tu es mort »  , les chuchotements des adultes et un appartement que l'on vide... Premières images du film, c'est la nuit. Frida, petite fille de six ans, assiste silencieusement au ballet des adultes et au jeu des enfants. « Pourquoi tu ne pleures pas ? », lui demande un petit camarade. Ses premiers mots seront pour la prière récitée avec sa grand-mère avant de partir, avec des inconnus pour une destination inconnue.

Clair-obscur

L'histoire de cette petite fille est dévoilée au spectateur au fil de la narration : des discussions off des « grands », des indiscrétions des commères chez la bouchère, des recommandations liturgiques de la grand-mère qui la rappelle à ses devoirs de petite chrétienne orpheline qui doit prier pour ses parents qui ont eu une vie fort dissolue, ou encore des -rares- indices que la petite fille livre au fil du film. On comprend que celle-ci a récemment perdu sa mère, Neus, et qu'elle a été adoptée par le frère de celle-ci et qu'il n'y a plus de père non plus. Et l'histoire du film, c'est l'histoire de ce deuil, des relations qui se cherchent puis se nouent entre les membres de cette nouvelle famille recomposée, chacun apprivoisant l'autre. L'histoire du temps qui passe - le temps d'un été - et de la parole qui peu à peu se libère pour pouvoir poser les vraies questions qui méritent d'être posées. L'histoire d'un chagrin qui peut enfin s'exprimer.

La réalisatrice joue sur les contrastes comme le cadre solaire dans lequel évolue désormais Frida et l'obscurité du deuil symbolisée par cette statue de la vierge dans son trou de verdure où Frida cherche sa mère disparue. Il y a le contraste entre les deux petites filles : Frida, âgée de six ans dans le film, est aussi nouée, brune et bouclée que l'autre est potelée et dans l'innocence d'une vie à inventer. Le regard direct de Frida et son petit visage sont souvent tendus, concentrés, laissant rarement la place au sourire ou au rire. Les regards d'enfants sont souvent des énigmes (celui de Frida n'est pas sans rappeler celui d'Ana Torrent dans le film L'esprit de la ruche de Victor Erice) et c'est un autre des contrastes qu'exploite la réalisatrice pour raconter l'ambivalence du lien entre les deux petites filles.

L'histoire aussi de la génération des années 1990

Elles sont au cœur du film. Leurs jeux, leurs dialogues (combien de kilos de mouches et d'araignées avale-t-on par nuit ?) et échanges sont filmés à hauteur d'enfant et la justesse de leur « travail » d'actrices, totalement construit à partir d'improvisations guidées, impressionne. Les adultes, tout aussi justes, sont dans un deuxième cercle. Une galerie de personnages qui va de la mère adoptive, Marga, très (trop) pédagogue, obsédée par le laçage des chaussures des enfants, en passant par le père, Esteban, plus câlin, mais coincé entre sa famille bien pensante et cette sœur fantôme trop tôt disparue, jusqu'à la grand-mère catholique donc, dont le chignon sévère et les boucles d'oreilles en perles évoquent une bourgeoisie étriquée de Barcelone.

En toile de fond, Carla Simón raconte aussi une tranche de l'histoire de l'Espagne, celle des années 1990, d'une jeunesse décimée par le sida (une maladie alors sans nom), des préjugés associés à la maladie, et du choc des générations. Mais par allusions, parce que le cœur de son histoire n'est pas là. C'est une toile de fond dont le spectateur doit reconstituer la trame. Carla Simón (Barcelone, 1986) raconte aussi sa propre histoire. La réalisatrice dit se souvenir de son sentiment de culpabilité de n'avoir pu ou su pleurer le jour de la mort de sa mère alors qu'elle était une enfant. L'histoire d'une petite fille à la « boucle tordue » qui a dû se réinventer une vie dans une nouvelle famille. Si le film est nourri de ses souvenirs et émotions d'enfant, il a gagné une vie propre et rencontre un succès public qui laisse à penser que la réalisatrice a réussi à transcender son expérience particulière pour proposer un film tout simplement lumineux sur la façon dont un enfant « apprivoise » la mort et la vie.

► Le Festival Différent (dont la 10e édition a eu lieu en juin) est organisé par l'association Espagnolas en Paris qui propose de découvrir le meilleur du cinéma d'auteur espagnol d'aujourd'hui.

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