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Malte / Agriculture

A Malte, l’eau ne coule pas de source

Plus petit pays de l’Union européenne, Malte a tout d’un territoire idyllique flottant au cœur de la Méditerranée. L’île se trouve néanmoins confrontée depuis toujours au manque d’eau, un problème qui risque de s’accroître avec le changement climatique. Heureusement, les solutions ne manquent pas pour y faire face. 

Cité chargée d'histoire, La Valette sera capitale européenne de la Culture en  2018.
Cité chargée d'histoire, La Valette sera capitale européenne de la Culture en 2018. Christophe Carmarans / RFI
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C’est le plus petit pays de l’Union européenne, 316 km2 à peine, trois fois seulement la superficie de Paris intramuros, trente fois plus petit que Chypre et ses 9 251 km2. Tellement petit qu’il faut une loupe pour le situer sur une carte du continent : trois îles de taille inégale (Malte, Gozo, Comino) qui flottent au cœur de la Méditerranée, entre la Sicile au Nord, la Tunisie à l’Ouest et la Libye au Sud. Vous y êtes ? Mais Malte, c’est aussi 5 000 ans d’histoire, un brassage culturel très singulier, un État qui n’a acquis son indépendance des Britanniques qu’en 1964 et n’est entré dans l’UE qu’en 2004. Ce minuscule archipel, qui offre bien des charmes, détient également la particularité d’être plus densément peuplé que le Bangladesh et de ne compter ni lac ni rivière sur son territoire. Ces deux facteurs concomitants conduisent Malte à s’inquiéter pour l’avenir à propos d’un élément essentiel : l’eau.

Le problème ne date pas d’hier évidemment, mais le pays se trouve actuellement confronté à un déficit de pluie jamais vu en un siècle sauf en 1946. A ce manque de précipitations viennent s’ajouter d’autres motifs de préoccupation. D’abord, la demande en eau qui s’est amplifiée ces dernières années en raison de la croissance démographique (305 000 habitants en 1976, 440 000 aujourd’hui), de l’essor d’un tourisme en pleine expansion (1,8 million de touristes en 2015, soit plus de quatre fois la population totale du pays !) et des besoins de l’agriculture locale qui est très morcelée et spécifique, on y reviendra plus tard. Autre souci : les nappes phréatiques. De plus en plus sollicitées, elles ont du mal à se renouveler, à plus forte raison quand les pluies se font rares. Près des côtes, les nappes sont infiltrées par l’eau salée de la mer ; et sur les terres, par les eaux usées et les déchets. A plus long terme, la montée des océans pourrait même accélérer leur salinisation et mettre en réel danger le déjà fragile équilibre hydrique de l’île.

Critique mais pas désespérée

Un climat méditerranéen aride où les chutes de pluie sont très irrégulières.
Un climat méditerranéen aride où les chutes de pluie sont très irrégulières. Christophe Carmarans / RFI

Pour critique qu’elle soit, la situation n’est pas désespérée, loin s’en faut. Ainsi le manque de précipitations n’affole-t-il pas outre mesure les autorités pour le moment. Malte en a vu d’autres, vous dirait Manuel Sapiano, un hydrologue qui dirige le Département de l’énergie durable et de la conservation de l’eau de l’île à Luqa, près de l’aéroport de La Valette. « Malte dispose d’un climat méditerranéen aride d’une très grande variabilité », souligne-t-il.« En moyenne, nous enregistrons autour de 500 mm de précipitations par an, mais cela peut être 200 mm une année et 800 mm la suivante. »Pour combler le déficit hydrique, Malte a jusqu’ici su s’adapter. Trois usines de désalinisation ont vu le jour depuis les années 1980. Le principe : pomper l’eau de mer et la purifier grâce à l’osmose inverse, une technique de purification avec un système de filtrage très fin qui ne laisse passer que les molécules d’eau.

Ces usines sont devenues la deuxième source d’eau du pays après les nappes phréatiques, mais elles ont l’inconvénient d’être gourmandes en énergie, et en énergie fossile malheureusement, pratiquement la seule en cours à Malte où le solaire et l’éolien sont, pour l’heure, quantité négligeable. En 2014, les trois usines consommaient encore, à elles seules, 4 % de l’électricité du pays (le coût de l’électricité sur l'archipel est d'ailleurs le plus cher des 28 pays de l’UE). Là aussi, Manuel Sapiano veut demeurer positif : « Les infrastructures se sont améliorées ces dernières années, si bien que nous n’avons plus à utiliser les usines de désalinisation en pleine capacité. Et les usines elles-mêmes se sont améliorées en termes de performance. Désormais, il faut autour de 3 kilowattheures pour produire 1 mètre cube d’eau dessalée (l’équivalent de 28 douches ou de 14 lessives en machine à laver, NDLR) contre 7 kilowattheures il y a vingt ans. »

S’il n’est, pour l’heure, pas question de mettre en service d’autres usines de dessalement, car elles coûtent très cher à la construction (environ 100 millions d'euros) et en entretien, Malte veut promouvoir le traitement des eaux usées. L’usine de traitement des eaux de Sant’Antnin, à l’extrême Est de l’île, est en service depuis déjà 30 ans et trois autres usines du même type sont actuellement opérationnelles, dont une sur l’île de Gozo. Cette eau recyclée sert pour une grande part à l’irrigation des zones agricoles, si l’on peut parler de zones pour un pays où l’agriculture est extrêmement morcelée. Malte est en effet le pays de l’Union européenne où les exploitations agricoles sont les moins étendues (0,9 hectare en moyenne contre 53 hectares en France et 14 hectares dans l’UE), ce qui ne va pas sans causer toutes sortes de problèmes.

Savoir mieux gérer l'eau

Justin Zahra reconnaît que Malte se trouve à une période critique.
Justin Zahra reconnaît que Malte se trouve à une période critique. Christophe Carmarans / RFI

« La structure agricole de Malte est très spéciale : les exploitations agricoles sont très petites et les terres appartiennent pour deux tiers à l’Etat », confirme Justin Zahra, qui nous reçoit dans les locaux du MEUSAC (Malta EU Steering and Action Committee), une agence gouvernementale créée en 2008 pour faciliter la coordination avec l’Union européenne. Cet ancien représentant de Malte à Bruxelles dirige à présent l’Agence de paiement du secteur rural au ministère de l’Agriculture et il est l’un des mieux placés pour saisir la complexité du particularisme maltais. Pour résumer : d’abord l’agriculture y est très gourmande en eau alors qu’elle ne représente qu’1,6 % du produit national brut ; ensuite sa production très diversifiée est relativement mal adaptée au climat de l’île ; enfin elle ne fait vivre à plein temps qu’une infime partie de la population alors qu’elle occupe, malgré ses petites parcelles, 47 % de la surface du pays.

« Nous sommes à une période critique, reconnaît Justin Zahra. Quand on regarde les chiffres, on s’aperçoit qu’en 2001, on avait 11 000 fermiers dont seulement 3 000 étaient des professionnels à plein temps ; en 2010, année du dernier recensement, on avait 17 000 fermiers mais seulement 1 400 à plein temps ». En d’autres termes : davantage d’eau utilisée pour moins de production agricole, certains de ces « fermiers » étant ce que l’on appelle ici des « hobbyists » : des propriétaires de terrain qui ne vont à la campagne que le week-end et ne cultivent que d’infimes parcelles pour leurs propres besoins. C’est l’une des raisons pour lesquelles la nouvelle Politique agricole commune 2014-2020 (129 millions d’euros pour Malte) met l’accent sur une meilleure gestion des ressources d’eau, la préservation de l’écosystème ainsi qu’une plus grande professionnalisation de l’agriculture, un secteur qui peine à attirer les jeunes.

Pour le premier problème, un début de solution a été trouvé avec la généralisation de la télérelève. Elle permet aux usagers de suivre leur consommation d’eau et d’énergie en continu au moyen de compteurs individuels et elle permet aussi au gouvernement de veiller à ce qu’il n’y ait pas trop d’abus. Les propriétaires de terrains sont également encouragés à installer de plus en plus de réservoirs aptes à stocker l’eau de pluie. Mais cela ne suffit pas. «  Si la sécheresse se prolonge, estime Justin Zahra, il faudra que nous insistions encore plus pour mieux répartir l’irrigation car on ne peut pas continuer à utiliser 50 % des terres cultivables pour les plantes fourragères destinées au bétail ». « C’est un problème national, conclut-il, mais personne n’a la solution car on ne peut quand même pas confisquer la terre aux paysans ».

Une agriculture qui doit s’adapter

Sur sa propriété de Wardija, Sam Cremona est un fervent promoteur de l'huile d'olive locale.
Sur sa propriété de Wardija, Sam Cremona est un fervent promoteur de l'huile d'olive locale. Christophe Carmarans / RFI

Devoir de réserve oblige, Justin Zahra ne le dira pas, mais Malte gagnerait à mettre en place une agriculture mieux structurée qui se concentrerait sur quelques produits typiquement locaux : vigne, oliviers, grenadiers, élevage caprin et fromage de chèvre, tous parfaitement adaptés aux caractéristiques de l’archipel et, surtout, faibles consommateurs en eau. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter Sam Cremona, un producteur d’olives qui est intarissable sur la question. Avouez que cela tombe bien en période de sécheresse. Sam Cremona s’est lancé il y a une vingtaine d’années dans l’huile d’olive, une denrée dont la production avait disparu sous la gouvernance britannique, au point qu’il n’y avait même plus un seul pressoir sur l’archipel. « Nous dépensons des millions pour changer l’eau de mer en eau potable et nous utilisons nos réserves d’eau naturelle pour cultiver des tomates et des fruits. C’est ridicule ! Autant les importer de Sicile où ils coûtent deux fois cher » s’exclame-t-il.

« Franchement, cultiver des tomates ou des pommes de terre à Malte pour les exporter en Hollande, cela n’a aucun sens ! », renchérit cet ancien négociant en pierres précieuses devenu le « pape » de l’olive maltaise. Même s’il prêche évidemment pour sa paroisse, Sam Cremona tient un discours frappé du sceau du bon sens. « Pour commencer, explique-t-il, l’olivier n’a même pas besoin d’une eau de bonne qualité. Même avec de l’eau saumâtre, il peut survivre. Et un olivier est parfaitement adapté à la sécheresse, il peut durer très longtemps sans avoir besoin d’eau. » Autre avantage : la prolifération d’arbres comme l’olivier ou le grenadier finit par créer un écosystème qui favorise les chutes de pluie, c'est du « win-win », tout le monde y gagne.

« Comme l’olivier, le grenadier n’a même pas besoin d’un sol de qualité pour s’épanouir » précise Sam Cremona, qui ne se fait pas prier quand on lui demande les trois premières choses qu’il ferait s’il était ministre de l’Agriculture : « D’abord, je planterais des milliers d’arbres chaque année pour améliorer l’écosystème. Ensuite, je taxerais d’avantage les agriculteurs qui extraient l’eau de façon inconsidérée et j’imposerais qu’au moins 20 % de leur production viennent de la culture de l’olive. Enfin, j’investirais dans la recherche, un domaine où l’on doit faire plus. »  L’avis de Sam Cremona est trop tranché ? Même pas. Tous les interlocuteurs rencontrés lors de notre visite sont du même avis. Le haut fonctionnaire Justin Zahra comme le scientifique Manuel Sapiano plaident également pour une meilleure utilisation des terres à Malte et en faveur de plus d’investissement pour la recherche.

Lui-même producteur de vin et ancien diplomate (il fut notamment ambassadeur de Malte à Washington lors de la précédente décennie), Mark Miceli-Faruggia résume bien la situation : « A l’heure actuelle, dit-il, les agriculteurs ne peuvent pas s’en sortir en cas de manque de pluie car nos nappes phréatiques ont été surexploitées. Il faut donc encourager l’utilisation d’eau recyclée et que notre agriculture se concentre sur des produits niche, car je suis certain que des pays comme le nôtre peuvent cultiver des produits de très grande qualité. » Reste à trouver des entrepreneurs capables de se lancer. « Il faut rendre l’agriculture de nouveau à la mode, conclut-il. Ce que Sam Cremona fait avec les olives et moi avec le vin, d’autres aussi peuvent le faire. »
 

Face à l'une des pires sécheresse de son histoire, Malte a décidé de faire front

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