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France / Migrants

Demandes d'asile en Europe: le retour de la question des quotas

Alors que la photo du corps sans vie d'un petit Syrien sur une plage turque a soulevé une vague d'émotion mondiale, l'Allemagne et la France ont lancé jeudi 3 septembre une initiative commune pour « organiser l'accueil des réfugiés et une répartition équitable en Europe ». L’Elysée et François Hollande, qui continuent d'éviter de prononcer le mot « quota », ont donc bien changé de ligne en la matière. Mais l'ONU invite les pays membres de l'UE à aller beaucoup plus loin. Le peuvent-ils seulement ?

Minute de silence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE lors d'un sommet extraordinaire organisé le 23 avril 2015 après le premier drame migratoire majeur de lannée.
Minute de silence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE lors d'un sommet extraordinaire organisé le 23 avril 2015 après le premier drame migratoire majeur de lannée. REUTERS/Yves Herman
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La photo du corps sans vie du petit migrant syrien Aylan, retrouvé sur la plage de Bodrum en Turquie, a peut-être autant choqué les dirigeants européens que leurs opinions publiques. L’émotion est désormais internationale. Le Premier ministre britannique David Cameron, très critiqué pour son manque d'implication dans la crise migratoire qui frappe l'Europe, mais bousculé par la presse de son pays, s'est par exemple déclaré « profondément ému » par ce cliché. Selon The Guardian, il pourrait annoncer que Londres accueillera « plusieurs milliers » de réfugiés syriens supplémentaires.

De son côté, François Hollande avait prévu de sortir de son silence estival sur le dossier migratoire lundi prochain. A sa conférence de rentrée, le président français voulait faire des propositions sur l’accueil des migrants. Mais voilà, « l’opinion publique bouge », avoue un conseiller de l’Elysée. Le président a donc changé ses plans pour accélérer. Dans la journée de jeudi, il a d’abord passé un coup de fil non prévu à la chancelière allemande. Puis, dans la foulée, il a annoncé son initiative. « Une initiative commune », insiste la présidence.

Mais quand Angela Merkel emploie bien le mot « quotas », François Hollande parle plutôt de « mécanisme permanent et obligatoire ». Ne pas parler de quotas est une manière de ne pas souligner que la France a changé sa position. Ce printemps, François Hollande répétait que les quotas n’étaient pas la bonne méthode. C'est une manière aussi de ne pas employer un mot dont on pense qu’il peut fâcher les Français. Un proche du président expliquait à l'époque : « Il faut faire très attention avec le chômage de masse et la montée en puissance de l’extrême droite, le pays n’est pas prêt à accueillir davantage de migrants. »

François Hollande a annoncé que l'accueil des migrants se ferait en Europe selon un « mécanisme permanent et obligatoire », lors d'une déclaration commune avec le Premier ministre irlandais Enda Kenny.
François Hollande a annoncé que l'accueil des migrants se ferait en Europe selon un « mécanisme permanent et obligatoire », lors d'une déclaration commune avec le Premier ministre irlandais Enda Kenny. REUTERS/Benoit Tessier

Combien de réfugiés l'Europe entend-elle accueillir ?

Jusqu'ici, le principe des quotas de répartition semblait avoir pris du plomb dans l’aile. La Commission européenne l’avait proposé début mai, lors des premières négociations après le déclenchement de la crise migratoire du printemps, mais les Européens n'étaient parvenus à un compromis partiel qu'à la fin juillet. Ils n’avaient de surcroît réussi à s’entendre que sur l’accueil de 54 000 réfugiés sur les 60 000 initialement proposés par Bruxelles. Et encore, il leur avait fallu l’aide de la Suisse et de la Norvège. L'urgence est pourtant telle que la Commission pourrait doubler son objectif de départ, demandant que les pays membres accueillent 120 000 personnes.

Il pourrait même être question d'un nombre encore supérieur. Le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, doit présenter ses nouvelles propositions le 9 septembre. Histoire de mesurer les besoins réels, le Haut Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (UNHCR) a demandé, ce jeudi dans un communiqué, que les Vingt-Huit assurent l'accueil, non pas de 50 000 ou 120 000 personnes, mais d'au moins 200 000. Et le haut commissaire Antonio Guterres estime lui aussi que tous les Etats membres de l'UE devraient avoir l'obligation de participer à ce programme. « Les personnes qui ont une demande de protection valide (...) doivent bénéficier d'un programme de réinstallation de masse », plaide-t-il.

Entre les propositions franco-allemandes, celles de la Commission européenne, et l'appel du HCR, il va donc bien falloir négocier de nouveau entre les Vingt-Huit. Et ces discussions ne seront pas plus faciles, analyse notre correspondant à Bruxelles Pierre Benazet. Déjà, on ne sait pas si les 120 000 réfugiés dont parle la Commission concernent de nouvelles personnes ou si elles comprennent les réfugiés qu’il était déjà prévu d’accueillir. Ensuite, l’idée que ces quotas contraignants devraient de surcroît être permanents est nouvelle, par rapport aux propositions de mai. La proposition faite au printemps ne portait que sur deux ans.

Le Premier ministre hongrois Viktor Orban, en conférence de presse après une rencontre avec le président du Conseil, le Polonais Donald Tusk. Bruxelles, le 3 septembre.
Le Premier ministre hongrois Viktor Orban, en conférence de presse après une rencontre avec le président du Conseil, le Polonais Donald Tusk. Bruxelles, le 3 septembre. REUTERS/Eric Vidal

Le poids des opinions publiques sur la prise de décision

Vingt-huit pays membres, ce sont tout autant de positions sur les questions des migrations : histoires différentes ; gouvernements de gauche, de droite, de coalition... D'où la question des alliances. Plusieurs réunions sont d'ores et déjà prévues ce vendredi en Europe. A Prague par exemple, les pays réputés hostiles à l'accueil vont se retrouver en sommet ce vendredi. Seront présents les chefs des quatre gouvernements de Hongrie, Slovaquie, République tchèque et Pologne. Ce que l'on sait d'ores et déjà, c'est que l'idée franco-allemande n’enchante ni le Premier ministre hongrois Viktor Orban, ni son homologue slovaque Robert Fico.

Si la Hongrie n’est pas le seul pays d’Europe centrale à se cantonner dans le repli identitaire et nationaliste, Viktor Orban est néanmoins celui qui l’affirme le plus franchement, décrypte notre correspondante à Budapest, Florence La Bruyère. « L’afflux de réfugiés menace les racines chrétiennes de l’Europe », dit-il. « Nous ne voulons pas d’un grand nombre de musulmans dans notre pays, parce que nous avons été occupés par les Ottomans pendant 150 ans », ajoute-t-il. Paradoxal d'une certaine manière, puisqu’un accord est en vue, entre les gouvernements hongrois et turc, pour qu’une mosquée soit construite à Budapest.

Victor Orban, en première ligne sur le dossier, a choisi une posture nationaliste et a pris la tête des récalcitrants. Mais son discours reflète ce que pensent beaucoup d’électeurs de droite dans son pays. La Hongrie est une nation insulaire avec une langue unique, très originale. Les Hongrois se perçoivent comme un peuple à part et doivent le rester. Dans la capitale, à la gare de l’Est par exemple, on peut croiser des Hongrois qui parlent de manière très courtoise et très avenante à des réfugiés syriens, mais pour leur dire en substance : « Nous, on ne peut pas vous accepter chez nous, parce que nous sommes des chrétiens et que nous voulons rester des chrétiens. Nous voulons rester entre nous. »

Conseil européen, Bruxelles, en décembre 2014.
Conseil européen, Bruxelles, en décembre 2014. AFP PHOTO/Emmanuel Dunand

Vers un marchandage au sein du Conseil européen ?

L'exemple hongrois le montre : les opinions publiques pèsent lourdement sur le débat au sein du Conseil européen. Mais ce n'est pas le cas qu'en Hongrie. En France également, si l’opinion publique semble bouger, sous le choc suscité par la mort du petit Aylan, l’Elysée semble tout faire pour ne jamais la brusquer, d'où la prudence sur le terme de « quotas ». Résultats : le sentiment de virevoltes incessantes. L'opposition ne manque d'ailleurs pas de le pointer. Sébastien Huyghe, porte-parole du parti Les Républicains (ex-UMP), ironise : « François Hollande a opéré un revirement à 180 degrés », estime-t-il. Et de critiquer les « positions à géométrie variable », une « politique en zigzag ».

Pour lui, le président a « des difficultés à se faire entendre sur le plan international. Il est à la remorque des autres pays. » Un gouvernement à la traîne ? C'est aussi l'avis de Julien Bayou, porte-parole d'Europe Ecologie-Les Verts, qui considère que « Hollande et Valls sont tétanisés par les enquêtes d’opinion qui disent ou prétendent que les Français ne veulent pas de migrants ou de réfugiés. C’est pour ça qu’on a laissé la Grèce et l’Italie en première ligne. » « Je pense que François Hollande commence à prendre la mesure de la responsabilité qui est la nôtre : l’hospitalité, l’accueil, la dignité pour ces personnes qui fuient les exactions », continue M. Bayrou.

Hollande prêt à en découdre au sein du Conseil, aux côtés d'une chancelière allemande qui a elle-même initié l'appel à plus de solidarité ? Peut-être. Mais le Conseil européen reste le Conseil européen. Sur la question de l'accueil des réfugiés, il y aura nécessairement une sorte de marchandage posé sur la table, le principe d'un « donnant-donnant » dans lequel l’accueil des réfugiés sera contrebalancé par des propositions sur le renforcement des frontières extérieures de l’UE, avec en particulier une intensification de l’identification des candidats à l’entrée dans l’Union. Et il devrait y avoir du même coup une intensification du tri aussi, entre ceux qui peuvent effectivement prétendre au statut de réfugié et les migrants économiques, qui seront renvoyés vers leur pays d’origine.

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