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Invité

Migrations: «ne pas réformer le droit d'asile mais l'appliquer»

Deux rapports en deux jours, celui de l’Organisation internationale pour l’immigration (OIM) et celui d’Amnesty International dressent un constat similaire : le nombre de migrants qui périssent en Méditerranée est de plus en plus élevé, plus de 3 000 depuis début janvier, un bilan désastreux et qui pourrait prendre de l’ampleur si les autorités européennes ne prennent pas des mesures d’urgence. Claire Rodier, juriste au GISTI (Groupe d’Information et de soutien des immigrés) est l'invité de RFI. 

A Lampedusa, le cimetière de bateaux des migrants fait face au port.
A Lampedusa, le cimetière de bateaux des migrants fait face au port. Cécile Debarge
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RFI : 2014 est une année on ne peut plus meurtrière pour les migrants qui tentent de rejoindre l’Europe. Comment expliquer que ce bilan soit si lourd ?

Claire Rodier : Quand on prend connaissance de la nationalité des victimes, l’explication vient à peu près de façon évidente. On a énormément ce qui arrive en Italie, ce sont essentiellement des Africains de la Corne de l’Afrique - Erythrée, Somalie, Ethiopie -, beaucoup de Syriens aussi. Et en gros, ce sont des pays en guerre. Ce sont des pays en conflit dont les personnes ont absolument besoin de fuir pour trouver protection quelque part.

Ces personnes qui sont demandeurs d’asile n’ont aucun moyen légal de venir dans les Etats de l’Union européenne qui sont censés les accueillir puisqu’ils sont tous signataires d’une convention internationale sur l’accueil des réfugiés. Donc ils prennent les moyens illégaux que l’on connaît, c'est-à-dire pour beaucoup des barques très fragiles qui traversent la Méditerranée et avec tous les drames que l’on connaît. En fait, c’est un processus qui est parfaitement explicable pour peu qu’on regarde un petit peu ce qui se passe de l’autre côté de nos côtes méditerranéennes.

Il y a un an, les naufrages au large de l’île italienne de Lampedusa qui ont fait plus de 500 morts avaient déclenché l’émoi et la mise en place de l’Opération Mare Nostrum. L’Italie a déployé une partie de sa marine pour sauver des vies. Certains disent que cette mission encourage aussi les migrants à tenter l’aventure puisqu’ils savent qu’ils peuvent être sauvés. C’est une réalité ?

Je ne sais pas si c’est une réalité. Moi, je ne parlerais pas de tenter l’aventure. Je dirais simplement que ça offre peut-être à des personnes qui ont absolument besoin de quitter leur pays et qui ne trouvent pas de terre d’accueil, l’idée ou la possibilité de prendre la mer avec un peu moins de risques. Mais il faut savoir quand même que ce sont des expéditions extrêmement périlleuses. Le nombre de morts que vous avez cités tout à l’heure en atteste. Et cette Opération Mare Nostrum a été particulièrement utile pour sauver des vies humaines puisque jusqu’à présent aucun des dispositifs mis en place par l’Union européenne n'a réussi à le faire. Et c'est normal car l'objectif de l'Union européenne est de protéger les frontières contre les réfugiés, plutôt que de protéger les réfugiés eux-mêmes.

Amnesty dénonce, tout comme vous le faites, un manque de coopération entre les Etats. Qu’est-ce qu’il faudrait faire ?

Il est évident que les Etats devront simplement respecter le droit international. Le droit international prévoit l’accueil des réfugiés pour les personnes qui justifient des craintes de persécution. Simplement on préfère que les réfugiés restent le plus loin possible des côtes européennes. Bien sûr qu’il faut accueillir les réfugiés, bien sûr qu’il faut donner des visas aux personnes. Aujourd’hui, la France par exemple, refuse des visas à des personnes de nationalité syrienne qui viennent de Homs, en raison du risque migratoire. Et tous les Etats peu ou prou ont ce type d’attitude. C'est-à-dire essayer – excusez-moi l’expression – de se refiler la patate chaude et de laisser finalement à l’Italie, à la Grèce ou à Malte, les pays les plus exposés à l’arrivée directe des migrants par bateau, et surtout de ne pas en accueillir. Bien sûr qu’il faut une solidarité européenne, et surtout le respect des textes que les Etats européens eux-mêmes ont adoptés. Mais aujourd’hui ce qu’ils mettent en avant c’est la sécurisation de leurs frontières, la protection de leurs côtes, plutôt que l’accueil des réfugiés.

C’est une catastrophe qui va croissante. Le rapporteur spécial de l’ONU sur les migrants dénonce depuis plusieurs années le rôle de l’Union européenne en tant qu’institution et la très mauvaise politique d’asile et de protection des frontières. On est dans une situation aberrante à laquelle il faut absolument mettre fin. Peut-être que cet anniversaire du 3 octobre devrait donner le coup de fouet qui n’a pas été provoqué par les multiples drames auxquels on assiste depuis maintenant des mois et des mois.

Il y a maintenant une nécessité, si l’on vous comprend bien, de réformer également le droit d’asile de l’Union européenne...

Il ne faut pas le réformer, il faut l’appliquer. Le droit d’asile est parfaitement clair. Il dit que toute personne persécutée a droit de trouver accueil dans les pays qui ont signé la convention de Genève. C’est le cas de tous les Etats de l’Union. Simplement, les Etats trichent en s’arrangeant pour dissuader les migrants de venir, à l’exception de l’Italie aujourd’hui avec Mare Nostrum, qui va peut-être s’arrêter – vous le savez – puisque c’est une opération que les Italiens n’ont pas envie d’assumer pour toute l’Europe.

Une opération qu’ils voulaient mener à court terme ?

Oui, ils vont arrêter. Simplement appliquer le droit international ce serait déjà très bien. Il n’y a pas besoin de réformer le droit d’asile. Il y a besoin de réformer les politiques de l’Union européenne en matière de migration et de contrôle des frontières pour cesser de faire de l’Europe une forteresse qui se défend contre les réfugiés au lieu de les protéger.

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