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La semaine de

Urgence d'un leadership clairvoyant

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Pour que l'Afrique, après deux siècles de souveraineté internationale, n'en soit pas à se demander, comme Haïti : « Qu'avons-nous fait de notre indépendance ? », elle devrait méditer sans cesse cette phrase, contenue dans le discours prononcé par Ahmadou Ahidjo, lors de la proclamation d'indépendance du Cameroun : « Il n’y a pas de dignité pour ceux qui attendent tout des autres ».

Jean-Baptiste Placca
Jean-Baptiste Placca RFI
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Une nouvelle année commence. Et 2020 est particulière, puisqu’elle marque le 60e anniversaire de la plupart des indépendances africaines. Et d’ailleurs, nous avons consacré, le 1er janvier, sur cette antenne, une édition spéciale à l’indépendance du Cameroun, proclamée à l’aube du jour de l’an 1960. Édition spéciale à laquelle vous semblez décerner un 20 sur 20, sans jeu de mots. Expliquez-nous donc pourquoi ?

Cette édition spéciale vaut, en effet, un cours magistral d’initiation à la politique africaine de la France, telle qu’elle a été conçue, au moment des indépendances, et telle qu’elle sera conduite, des décennies durant, par différents gouvernements. Et ceux qui veulent comprendre pourquoi les Africains sont si suspicieux vis-à-vis de la France dans ses rapports avec l’Afrique trouveront, dans ces trente minutes d’édition spéciale, des explications comme on les aura rarement enseignées dans les amphithéâtres, y compris des meilleures universités de par le monde.

Où l’on apprend que les indépendances ont rarement été concédées de bon cœur par la France. Il faut, évidemment, souligner que le Cameroun n’était pas une colonie française, comme l’étaient, par exemple, le Sénégal, la Guinée ou la Côte d’Ivoire. Le Cameroun et le Togo étaient des colonies allemandes. Et une des humiliations infligées à l’Allemagne, après sa défaite dans la Première Guerre mondiale, a été de la déposséder de ses colonies en Afrique. Et la Société des Nations, ancêtre de l’ONU avait divisé le Cameroun en deux, pour en confier la partie qui jouxte le Nigeria à la couronne britannique. Et à la France, l’autre morceau, aux confins du Congo-Brazzaville, de la Centrafrique, du Tchad et de la Guinée équatoriale.

Après la Deuxième Guerre mondiale, le conseil de tutelle de l’ONU, qui a pris la suite de la Société des Nations, a exigé de la France et de la Grande-Bretagne qu’elles laissent les territoires sous leur tutelle accéder à l’indépendance.

La France était donc, d’une certaine manière, contrainte d’accorder l’indépendance au Cameroun. Voilà pourquoi la France du général de Gaulle a dû user de subterfuges divers pour préserver ses intérêts, comme on a pu l’entendre dans l’édition spéciale.

C’est aussi parce qu’ils sentaient que l’indépendance réelle qu’ils réclamaient était en train d’être viciée, que les militants indépendantistes de l’UPC (Union des population du Kamerun) avaient pris le maquis, pour empêcher une indépendance « factice », « sous contrôle », comme l'a dit Laurent Correau dans l’édition spéciale.

À écouter sur RFI : [Édition spéciale] 1er janvier 2020: Cameroun, 60 ans d’indépendance

La France n’avait, par contre, aucune contrainte, donc, pas besoin de subterfuges pour décoloniser ses autres colonies.

Oui. Sauf que la Guinée de Sékou Touré – et quelques « porteurs de pancartes » de Dakar et d’ailleurs – avaient défié le général de Gaulle qui, en réaction, a alors décidé de les laisser tous accéder à l’indépendance. Et ses collaborateurs se sont employés, dans la plupart des pays, à remettre les clés de la nation indépendante à des dirigeants politiques acquis à la France, qui n’étaient pas nécessairement ceux qui réclamaient la véritable indépendance. Des nationalistes qui luttaient réellement pour l’indépendance comme Um Nyobe, il y en avait dans presque tous les pays. Mais la métropole a fait en sorte que ceux-là ne deviennent pas les dirigeants des nations souveraines.

D’où une forme plus ou moins visible de servilité chez nombre de chefs d’État qui arrivent au pouvoir en 1960. Ils étaient d’ailleurs, à l’époque, dénoncés avec une certaine virulence par les associations d’étudiants d’Afrique noire, notamment en France et au Sénégal. Et si Ahidjo, Senghor, Houphouët-Boigny, et tant d’autres étaient si décriés, c’est parce qu’ils avaient été choisis par la France, pour servir de desseins que redoutait la partie la plus éclairée de l’opinion. Ces indépendances piégées expliquent d’ailleurs des ouvrages comme L’Afrique noire est mal partie de René Dumont.

Ahidjo, Senghor, Houphouët-Boigny et les autres dirigeants favorables à la France étaient-ils pour autant des traîtres à la patrie ?

Pas nécessairement. Mais ils étaient plus enclins à tout céder à la France, et à se fondre sans mal dans le moule de la Françafrique. Terme, du reste, usité par Félix Houphouët-Boigny, qui rêvait de la communauté de destin voulue par le général de Gaulle. Cette « docilité » supposée, Houphouët-Boigny s’en est servi pour faire avancer la Côte d’Ivoire, qui n’était pas la mieux lotie des anciennes colonies, mais elle était « couvée » par Paris, qui l’a voulue comme vitrine, pour montrer à tous que l’allégeance pouvait être payante. Ahmadou Ahidjo ne disait pas autre chose, lorsqu’il suggérait, en janvier 1960, que la France devait être « le guide naturel des premiers pas » du Cameroun indépendant !

Soixante ans plus tard, les anciennes colonies britanniques, qui ont eu leurs propres démons, ne sont pas les plus mal en point du continent.

Pour que l’Afrique, dans 150 ans, n’en soit pas à se poser la question cruelle qui hante aujourd’hui Haïti : « Qu’avons-nous fait de notre indépendance ? », un sursaut s’impose, qui passe nécessairement par un leadership clairvoyant et exemplaire.

Ahmadou Ahidjo était peut-être soumis à la France. Et si son discours du 1er janvier 1960 a été rédigé par un conseiller français, c’est néanmoins sa voix que l’on entend dire ceci, qui relève du bon sens de son terroir : « Il n’y a pas de dignité pour ceux qui attendent tout des autres ».

► À consulter aussi notre dossier RFI Savoirs : Indépendances africaines, le Cameroun

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