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Aujourd'hui l'économie, le portrait

Saïd Hammouche: les têtes de l'emploi, dans leur diversité

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Fils d'immigrés marocains ayant grandi en banlieue parisienne, Saïd Hammouche est le fondateur de Mozaïk RH, un cabinet de recrutement qui s'adresse spécifiquement aux jeunes diplômés issus des quartiers défavorisés.

Saïd Hammouche,fondateur de Mozaïk RH.
Saïd Hammouche,fondateur de Mozaïk RH. RFI/David Baché
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Saïd Hammouche a beaucoup de choses à dire mais n'aime pas parler de lui. Le président et fondateur du cabinet de recrutement Mozaïc RH, n'est pas un chasseur de tête comme les autres : son public cible, ce sont les jeunes issus de l'immigration ayant grandi en banlieue, mais aussi dans les quartiers dits prioritaires, notamment en zone rurale. Au total, plus de 16 000 profils sont enregistrés dans la base de données de ce cabinet de recrutement alternatif. Saïd Hammouche sait de quoi il parle : né il y a 48 ans, il a grandi à Saint-Denis, en banlieue parisienne, dans le département le plus pauvre de l'hexagone.

Choisir plutôt que subir

Ses parents sont immigrés. Ils ont d'ailleurs fait figure de modèle, ou plutôt, de contre-modèle : « je suis fils d'immigrés marocains, avec un papa venu  travailler dans les mines du nord de la France, explique Saïd Hammouche, puis en tant que ferrailleur et dans les chantiers et le bâtiment. Ma maman n'a jamais travaillé, si ce n'est pour développer la cellule familiale ! Très rapidement, j'ai compris que je ne voulais pas être ouvrier, ni travailler dans le bâtiment. Faire des études, c'était aspirer à quelque chose de différent, plus choisi que subi. »

Pourtant, Saïd Hammouche va subir

Malgré des études longues -il est titulaire d'un DESS « Conseil en développement économique »-, Saïd Hammouche galère... Il enchaîne les petits boulots, envoie des CV à la pelle, connaît des expériences amères sans lendemain. Finalement, c'est dans une mission locale à Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, qu'il décroche un contrat d'un an. La vie est pleine d'humour : Saïd Hammouche est embauché pour aider des jeunes, comme lui, à trouver un boulot. Puis il passe le concours de l'Éducation nationale et devient fonctionnaire. « J'étais chargé de mission, je faisais le lien entre des formations en alternance et des entreprises qui recrutaient les jeunes. C'était déjà une expérience qui me permettait de comprendre l'intermédiation qu'il fallait créer entre les entreprises et les jeunes. »

À l'écouter, on a le sentiment que Saïd Hammouche a, en fait, toujours exercé le même métier, mais de manière différentes. « C'est très juste, reconnaît-il, abondant même en ce sens : j'ai aussi travaillé en centre de loisirs, en centre de vacances, et j'ai donc appris plein de choses qui se sont embouteillées au moment où j'ai créé Mozaïk RH. »

« Déconstruire cette réalité »

Saïd Hammouche crée son cabinet de recrutement alternatif en 2007. C'est à ce moment précis, une fois stabilisé, en accompagnant des jeunes en difficulté, que Saïd Hammouche prend la mesure des discriminations qu'il a lui-même subies. Au lendemain des « émeutes de banlieue » de 2005, il se rend compte de tout ce qu'il faut changer : « dans les années 2000-2005, on pensait que dans les quartiers il n'y avait que des délinquants et des candidats qui n'étaient pas en capacité de décrocher un diplôme. C'était l'image que pouvaient avoir les décideurs économiques et politiques de ces territoires !, se souvient-t-il dans une colère dissimulée. Un de mes moteurs, c'était donc de déconstruire cette réalité en mettant en lumière des candidats ayant décroché un diplôme de l'enseignement supérieur ou qui étaient tout simplement dans des dynamiques de réussite. »

Saïd Hammouche, aujourd'hui marié et père de quatre enfants, n'est pas naïf : pour y avoir été confronté, il ne nie pas les problèmes d'intégration, les manquements du système scolaire... mais il croit aussi dans le modèle de réussite et d'émancipation qu'offre, malgré tout, la République et son école gratuite. En fait, c'est une question de caractère : Saïd Hammouche préfère citer les entreprises au recrutement inclusif, plutôt que dénoncer les plus discriminantes ; il préfère le CV vidéo qui valorise les spécificités-et les origines- de chacun, plutôt que le CV anonyme, qui vise l'égalité en masquant les différences.

La nationalité du judoka

L'optimisme léger et la détermination farouche de Saïd Hamouche se complètent, tout comme sa voix douce rehausse son impressionnant physique de judoka. D'ailleurs, Saïd Hammouche est ceinture noire. C'est même grâce au judo qu'il est devenu Français. « C'est drôle, prévient-il avant de raconter l'anecdote, parce que moi je n'avais pas conscience de tout ça en tant que jeune ado... Quand on fait des compétitions, on nous propose de participer aux championnats de France. Mais pour aller aux championnats de France, il faut avoir la nationalité française!, rappelle le géant dans un doux éclat de rire. Comme mes parents sont Marocains, je n'avais pas la nationalité française. Il faut faire la demande. Je me suis finalement retrouvé au tribunal pour revendiquer ma nationalité française, je devais avoir 15-16 ans. Ce sont aussi tous ces éléments qui nous font comprendre qu'on n’est pas exactement les mêmes citoyens. » Saïd Hammouche a obtenu sans difficulté sa nouvelle carte d'identité, et il a pu participer à ces compétitions. Après avoir retenu une nouvelle leçon.

Ce sont cette mentalité et cette expérience qui sont aux racines de Mozaïk RH : en douze ans, le cabinet revendique 6 000 jeunes placés (en CDI, CDD ou, pour 2 000 d'entre eux, en alternance).

Mozaïk RH travaille avec toutes les entreprises du CAC 40, et avec plus de 200 entreprises du monde entier, y compris des PME (petites et moyennes entreprises), des start-ups et des associations. Ce sont elles qui font tourner la boîte en réglant les services fournis. Les jeunes accompagnés, eux, ne paient rien.

Un modèle de réussite dans ce qu'on appelle l'« entreprenariat social », qui attire l'attention : aujourd'hui, Saïd Hammouche a l'oreille des plus hauts dirigeants du pays. Le président français Emmanuel Macron lui a demandé de siéger au Conseil présidentiel des villes, ce qu'il a accepté, et Saïd Hammouche confie également s'entretenir fréquemment avec certains ministres. Visiblement impressionnés par son CV.

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