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Le grand invité Afrique

Sahel : «Aujourd'hui, les jihadistes se financent localement»

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Au Sahel, dans la zone des trois frontières du Mali, du Niger et du Burkina Faso, les groupes jihadistes s'infiltrent désormais dans l'économie locale. Ils s'autofinancent grâce aux trafics en tout genre, mais aussi grâce à l'impôt sur le bétail et à l'exploitation de l'or. C'est ce que révèle une étude de l'ISS, l'Institut d'études de sécurité, menée pendant deux ans auprès de 800 interlocuteurs, notamment auprès de certains jihadistes en prison. William Assanvo est chercheur senior à l'ISS. En ligne de Ouagadougou, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

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SAHEL RFI
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RFI : On dit souvent que les conflits locaux et communautaires sont exacerbés par les groupes extrémistes, mais vous, vous dites que c’est plus compliqué.

William Assanvo : Oui, effectivement, c’est plus compliqué que cela. C’est parce qu’il y a effectivement le cas où les groupes exacerbent ces conflits, mais il y a aussi des situations où les groupes interviennent comme des régulateurs sociaux. Ils apparaissent comme des acteurs ou des médiateurs pour calmer les tensions au niveau local. Et dans d’autres cas aussi, leur arrivée, leur implantation, contribue de facto à instaurer un certain ordre qui contribue à geler les conflits et les tensions.

Et vous parlez, dans cette région, d’une véritable complicité, quelquefois, entre ces groupes extrémistes et les populations locales qui peuvent maintenant braconner, par exemple, en toute impunité ?

Oui, effectivement. Il y a une forme de collaboration, des alliances de circonstance qui s’établissent dans certaines communautés. On peut faire particulièrement référence à la région de l’est du Burkina, où il y a effectivement des tensions depuis plusieurs années, qui opposent les communautés locales à l’État ou au représentant de l’État, notamment les agents des eaux et Forêts, autour d’espaces protégés, dont l’accès est restreint, sinon interdit, aux populations qui n’ont pas la possibilité de pratiquer la chasse et la pêche.

Les groupes extrémistes violents, en arrivant, ont exploité ces ressentiments-là en disant aux populations : « Votre État vous interdit de bénéficier de ces ressources naturelles qui vous appartiennent et qui n’appartiennent à personne d’autre. Nous, on vous autorise à le faire. On va même assurer votre protection ». Et donc ce positionnement a contribué au sein de certaines communautés à développer une forme de sympathie envers les groupes extrémistes violents, qui ne sont pas perçus comme des oppresseurs, mais plutôt comme des réparateurs d’une injustice, dont les populations s’estiment être victimes. Donc c’était un moyen pour ces groupes de recruter et renforcer leurs rangs.

Mais quand ces groupes jihadistes assassinent un chef de village ou un instituteur, comment réagissent les populations ?

Ce n’est pas forcément dans l’intérêt des groupes d’arriver et de se mettre à assassiner des figures locales. Il y a toujours une tentative de pouvoir bénéficier du soutien de ces représentants, de ces figures traditionnelles des chefferies. Et c’est lorsqu’ils ne parviennent pas à cette fin, que très souvent ils intimident. Et si l’autorité ne quitte pas la région, cela peut conduire à son assassinat.

Et justement, quand un groupe jihadiste assassine une figure locale, comment réagit la population ?

Elle est tétanisée. Il y a une situation de psychose qui s’instaure. Même souvent, lorsque l’on enregistre des attaques dans des villages voisins, il y a déjà une psychose qui commence à s’établir.

Donc il n’y a pas que de la sympathie. Il y a aussi de la peur.

Il y a très souvent de la peur. Généralement, c’est de la peur et dans certains cas il y a de la sympathie, une forme de sympathie.

Les trafics illégaux sont au cœur des stratégies de survie des groupes extrémistes - dites-vous - et tout d’abord, le trafic d’armes. Dans votre rapport, on apprend que des groupes signataires de l’accord d’Alger, comme le MNLA, sont impliqués dans ce trafic d’armes.

Oui, effectivement. Les groupes signataires apparaissent comme un acteur majeur de la prolifération des armes dans cette région, notamment au niveau de la frontière entre le Mali et le Niger.

Il y a donc des groupes signataires de l’accord d’Alger qui jouent double jeu ?

On ne pourrait pas le dire ainsi, mais il y a des individus au sein de ces groupes armés signataires, qui tremperaient dans un trafic d’armes dans la région.

Autre trafic, celui des motos qui sont très prisées par les groupes jihadistes. Vous décrivez les filières depuis le Nigeria et le Togo, jusqu’au Burkina, le Niger et le Mali. Et vous expliquez que les motos les plus prisées sont les motos de marque Honda, qu’on appelle souvent « Boko Haram ». Pourquoi ?

Effectivement, ces groupes sont particulièrement friands de ce type de moto, parce que ces motos sont réputées comme moins bruyantes et particulièrement robustes. Il y a aussi une dynamique qui s’est développée par rapport à l’association qui est faite entre les motos Honda et les groupes extrémistes violents. C’est que, de plus en plus, les commerçants de motos sont réticents à commercialiser ce type de moto parce que justement elles sont trop associées aux groupes extrémistes violents.

Et à lire votre rapport, on a le sentiment que les groupes jihadistes s’insèrent de plus en plus dans l’économie locale de cette zone des « trois frontières ».

Effectivement. Très souvent, on parle du financement reçu de l’extérieur. Mais véritablement, c’est au niveau local que les groupes tentent de mobiliser des ressources. Et là, cela s’est observé dans le cadre d’activités de vol et d’enlèvement de bétail, dans le cadre d’une forme d’impôt sur le bétail. Il y a aussi l’exploitation artisanale de l’or. Cela s’est vu notamment dans la région de l’est du Burkina, dans le département du Torodi, à la frontière entre le Niger et le Burkina Faso, où véritablement il y a une volonté de faire main basse sur les sites d’extraction artisanale de l’or, avec en filigrane l’idée de pouvoir générer les ressources de cette activité.

Les solutions sont locales, dites-vous.

Oui, le problème est local, les stratégies sont locales, donc forcément les solutions sont locales et transnationales. C’est-à-dire que, dans les zones frontalières, forcément les dynamiques sont transnationales, transfrontalières. Donc il faudrait trouver des solutions de part et d’autre des frontières, entre les autorités locales du Mali et du Niger, entre les autorités locales du Mali et du Burkina Faso.

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