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La semaine de

Kako Nubukpo ou la solitude des élites…

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Là où les médiocres sont aux commandes, l’Afrique, souvent, laisse sur la touche les meilleurs qui manqueraient de docilité.

Jean-Baptiste Placca.
Jean-Baptiste Placca. Claudia Mimifir
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« Changeons le modèle de croissance ! » Et c’est cela, l’urgence pour l’Afrique, selon l’économiste Kako Nubukpo, qui vient de publier un nouvel ouvrage. Cet ouvrage, dites-vous, est un apport à la réflexion sur les défis qui sont ceux du continent africain aujourd’hui. Pourquoi alors préférez-vous évoquer ici le destin de l’auteur, plutôt que du contenu ?

Parce que ce destin est édifiant, et que Kako Nubukpo a d’autres rendez-vous sur l’antenne de RFI, où il sera largement question de son livre. Avant d’aborder l’auteur, deux mots, tout de même, sur le livre, dont le titre exact est : « L’urgence africaine ». Avec un sous-titre que vous avez donné : « Changeons le modèle de croissance ». Il est plaisant à lire, parce que c’est un ouvrage d’un vrai économiste, en l’occurrence, celui qui sait, avec les outils de sa discipline, aborder tous les défis de la société. Et ce livre balaie tout le spectre des préoccupations qui sont ou devraient être, aujourd’hui, celles de l’Afrique et des Africains soucieux du devenir de leurs nations, de leurs peuples.

Où l’on comprend que les populations, en dépit des colonnes d’apothéoses dressées au moindre point de croissance enregistré, sont loin de voir leurs besoins fondamentaux satisfaits. Et pourtant, nous sommes à quelques semaines du 60e anniversaire des indépendances. Ou bien le continent continue de se mentir, parce que quelques-uns trouvent leur bonheur dans cette conspiration du silence, ou bien l’on pose sur la place publique les questions auxquelles doivent répondre les élites de gouvernement. C’est ce que fait cet ouvrage. Avec une franchise qui pourrait en gêner plus d’un.

Kako Nubukpo était, jusque-là, plutôt connu pour ses prises de position contre le franc CFA…

C’est un professeur agrégé des universités, et son horizon d’économiste est bien plus vaste que celui de seul CFA. Mais, c’était du devoir du chercheur de s’interroger sur une expérience qui n’a pas fait la preuve de son éblouissante utilité pour les populations, censées en être les premiers bénéficiaires. À chaque critique contre le franc CFA, ses gardiens vous jettent à la figure l’inflation limitée et la stabilité en matière de taux de changes. Mais à quel prix ? L’ouvrage y revient dans une démonstration, qui vaut un cours magistral sur le « triangle des incompatibilités » du Nobel canadien Robert Mundell.

En juillet dernier, vous vous en souvenez, le chef de l’État français, Emmanuel Macron a voulu tester une implication de la diaspora africaine de France dans l’établissement d’un pont de confiance et d’efficacité avec la France. On se serait attendu à ce que, pour monter sur l’estrade en une telle occasion, le chef de l’État français invite à ses côtés un dirigeant de ce qui était naguère considéré comme le pré-carré français. Mais il est allé chercher le président du Ghana, pays entouré de trois États de la zone Franc, qui se bat et se débat, depuis plus de soixante ans, avec une monnaie nationale, le cedi. Ce Ghana-là est non seulement parvenu à bâtir une économie avec des bases solides et qui inspire confiance, mais aussi une démocratie des plus crédibles que lui envieraient bien des peuples de toute la zone Franc, qui nous vend des taux de croissance reluisants, sans jamais pouvoir dire à quelles catégories précises de citoyens cela profite.

Kako Nubukpo a bien été débarqué de la Francophonie à cause du CFA !...

Pour avoir dit ce que nous venons de rappeler sur le franc CFA, et l’histoire semble lui donner raison. Mais la situation personnelle de Kako Nubukpo est surtout la parfaite illustration de la solitude des intellectuels, cadres et autres élites qui n’acceptent pas de rentrer dans les rangs, sur un continent où les médiocres sont, hélas, souvent aux commandes, avec l’arrogance de ceux que Léopold Sédar Senghor appelait jadis « les ignares triomphants ». L’Afrique est le seul continent qui laisse les meilleurs de ses éléments sur la touche, parce qu’ils s’autorisent à manquer de docilité, à oublier d’être des militants du parti au pouvoir et des laudateurs obséquieux du Président.

Certains survivent tout de même…

À de telles liquidations de carrières ? Oui ! Mais par une résilience qui relève du miracle, dans un environnement où l’on s’emploie souvent à organiser votre paupérisation, après vous avoir réduit au silence. L’Afrique est le seul continent où des polytechniciens – sortis du même moule qu’un Valéry Giscard d’Estaing –, des centraliens et d’autres grandes écoles qui forment l’élite occidentale sont réduits à presque rien, dès lors qu’ils ne savent pas se taire, face aux (mauvais) choix faits par leurs dirigeants.

Mais, comme disait le Dr Martin Luther King Junior, le sentiment de sûreté que donne la couardise n’est pas durable, loin de là. Il faut, en toute chose, savoir faire ce qu’impose la conscience. Ce qui est juste.

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