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Le grand invité Afrique

Père Pedro (Madagascar): «La pauvreté c’est une prison qui tue l’âme»

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Trente ans après Jean-Paul II, le pape François vient à son tour rendre visite aux Malgaches. Parmi les temps forts de son séjour de 4 jours sur la Grande Île, la messe ce dimanche matin où près d’un million de fidèles sont attendus. Mais également la visite de l’un des 22 villages d’Akamasoa, créés à Antananarivo par l’emblématique Père Pedro, prêtre lazariste arrivé en 1975 sur l’île. En trois décennies, Akamasoa a accueilli plus d’un demi-million de Malgaches issus de l’extrême pauvreté. Ces villages créés de toute pièce par Pedro et ses proches, offrent à ces laissés pour compte de la société, un toit, un travail et de la dignité. A quelques heures de la venue du Pape à Akamasoa, Père Pedro se confie au micro de notre correspondante.

Père Pedro à Akamasoa, le jour de l'arrivée du Pape François à Madagascar. Dans le village d'Andralanitra, c'est l'effervescence.
Père Pedro à Akamasoa, le jour de l'arrivée du Pape François à Madagascar. Dans le village d'Andralanitra, c'est l'effervescence. RFI/ Sarah Tétaud
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RFI: Le pape, vous le connaissez bien puisqu’il a été aussi votre professeur de philosophie en Argentine. Il vient vous rendre visite, ici à Akamasoa ? C’est une reconnaissance du travail envers les pauvres, réalisé par les missionnaires et les religieuses, mais peut-être également un besoin de connaître la réalité du quotidien de cette grande partie de la population. Que révèlent vos projets de la situation sociale à Madagascar ?

Père Pedro: Akamasoa est née sur une décharge. Ce lieu, c’était un enfer où les gens mourraient. Ici, dans la décharge, il y avait 800 familles, à l’époque. Dans chaque famille il y avait un, deux, trois, quatre, cinq, six, jusqu’à sept enfants morts par famille. Le pape vient ici. Il va marcher sur notre terre, là où nous avons tellement souffert, là où nous avons tellement vu de douleur, de violence, d’insultes. La pauvreté, c’est une prison qui tue l’âme. Ici, en 30 ans, nous avons remonté et le pape vient nous encourager à continuer.

Qu’attendent vos frères ici, à Akamasoa, de la visite du pape François ?

Dans le cœur, j’espère beaucoup de choses mais celui qui amènera le changement, c’est chacun de nous qui allons écouter le pape. Ce sont les enfants qu’il va retrouver, les jeunes qu’il va rencontrer, les politiciens qu’il va retrouver. Chacun de nous doit amener le changement là où nous vivons. Le pape ne peut pas travailler à notre place. Il va rester trois jours et il va repartir mais il va nous laisser des paroles qu’il dit avec cœur, avec conviction. Il ne parle pas la langue de bois. Le pape s’expose et c’est pour cela qu’il y a autant de sécurité autour de lui. Il dit la vérité et dire la vérité, c’est toujours gênant. C’est un homme droit, un homme sincère et nous devons tous être sincères, surtout les politiciens d’Afrique, de Madagascar et du monde entier qui ont demandé à être élus. Soyez cohérents avec votre cœur, avec votre esprit. Ne trompez pas votre peuple.

Que leur dites-vous, justement, à tous vos frères, là,  lors de vos sermons à la messe ? Vous leur avez dit évidement que le pape allait venir. On le voit puisque dans le village d’Akamasoa il y a des drapeaux du Vatican, un petit peu partout. Que leur avez-vous dit pour préparer cette venue ?

J’ai dit à mes frères: vous savez, il y a tant d’autre frères, tant d’autres peuples et tant d’autres cités qui voudraient recevoir le pape. Alors, soyons à la hauteur de cette visite. Soyez également curieux de ce qu’il va dire. Ecoutez les paroles qu’il va dire et retenez-les dans votre cœur parce que ce qu’il dit, c’est pour vous encourager à être des éléments positifs pour votre pays, parce que c’est vous qui allez changer Madagascar, l’Afrique. Et soyons vrais. Ne jouons pas sur des apparences. Ici, il n’y a pas de façades. Nous sommes ce que nous sommes et nous voulons recevoir le pape avec toute notre spontanéité. Souvent le protocole nous dérange, même le protocole du Vatican nous dérange. Alors voilà, soyons vrais partout parce que seule la vérité nous fera libres, comme dit Jésus.

Du fait de la venue du pape, la société civile a pris la parole et l’a interpellé sur différents sujets, notamment dans les réseaux sociaux, et notamment sur la question de l’avortement qui, je le rappelle, à Madagascar est un crime passible de dix ans de prison. Vous qui êtes témoin, à Akamasoa, de la réalité des grossesses précoces, des drames humains causés par l’absence d’éducation sexuelle, quelle est votre position là-dessus ?

Ecoutez, moi je ne suis pas venu à Madagascar pour faire la morale. Si les hommes trompent les femmes et qu’ils s’amusent avec beaucoup de filles. S’ils vous mènent en bateau, s’ils vous font un enfant et qu’ils partent, qu’ils vous laissent toutes seules… Cette vie qui est née, pourquoi faut-il la tuer ? Je ne sais pas. Je pense, moi, en tant que Homme de Dieu, que Dieu a créé la vie et je pense qu’il faut respecter la vie mais je ne condamne personne. Chacun a sa conscience. Jésus n’a jamais rien imposé. Il a seulement appelé les gens à le suivre, à être honnêtes et vrais. Je ne peux pas dire autre chose que cela.

« Le peuple se meurt mais avant de mourir, il éclate. Aussi, celui qui maintenant va gagner, est obligé de faire quelque chose, sinon ici, ça éclatera encore plus fort ». Ce sont vos paroles et c’est ce que vous nous disiez, à notre micro, à la veille du second tour de l’élection présidentielle, en novembre dernier. Le nouveau président est au pouvoir, depuis huit mois. Voyez-vous une évolution sur le plan social ?

Il y a un nouvel esprit déjà. On commence à lutter contre la corruption et ça, c’est un bon signe parce que la corruption gangrène tout. Elle empêche le développement et que de nouvelles entreprises puissent se créer. Chaque année, 250 000 jeunes de Madagascar entrent dans le marché du travail et il n’y a pas de travail parce que tout est corrompu et qu’il n’y a rien qui tient debout.

Ensuite, le nouveau président a commencé aussi à faire des routes et l’assainissement. Il commence à apporter de l’eau. Nous n’avons pas eu d’eau. Voilà que le pape arrive et l’eau aussi arrive à Akamasoa. Aussi, je pense qu’il faut lui donner le temps de montrer de quoi il est capable. Je vous le dis, président: si vous nous décevez, je ne sais plus à qui croire. Il faut encourager cet homme à concrétiser ses serments parce que sinon, cela va être dur, très dur. Je ne veux pas employer de mots que je déteste mais les gens comprennent ce que je veux dire. Quand les gens sont pauvres, ils n’ont plus d’esprit et ils commencent à tout casser. Il n’y a plus de valeurs, il n’y a plus de civilisation. C’est pour cela qu’il faut s’occuper de l’eau potable, de l’éducation, des logements, de la santé. Il y a beaucoup de gens qui souffrent ici et il faut les aider. Je suis sûr que le nouveau gouvernement va les aider.

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