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Le grand invité Afrique

Algérie: «Gaïd Salah est une bête blessée»

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En Algérie, les autorités lancent un mandat d’arrêt international contre le général Khaled Nezzar, qui a été l’homme fort du pays dans les années 1990 et qui séjourne actuellement en Espagne. Pourquoi le nouvel homme fort d’Alger, le général Gaïd Salah, s’en prend-il à l’un de ses compagnons d’armes ? Ihsane El Kadi est une figure de la société civile algérienne. Il dirige le journal en ligne Maghreb émergent et la webradio Radio M. En ligne d’Alger, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

Manifestation dans les rues d'Alger, le 24 mai 2019.
Manifestation dans les rues d'Alger, le 24 mai 2019. REUTERS/Ramzi Boudina
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RFI : Pourquoi ce mandat d’arrêt international contre le général Nezzar ?

Ihsane El Kadi : C’est la nouvelle étape dans l’escalade de la lutte du chef d’état-major, l’homme fort du système algérien, le général Ahmed Gaïd Salah, la lutte contre tout ce qui dans l’ancien système peut lui résister ou lui nuire. Il s’est attaqué au général à la retraite Toufik et à Athmane Tartag, le général qui lui avait succédé à la tête du DRS. Et puis, le chef de file de cette mouvance qui avait plus ou moins été en place dans les années 90, c’est quand même le général Nezzar qui, lui, est quelqu’un qui est combatif et il a choisi de partir à l’étranger et de lancer une forme d’opposition personnelle contre ce qu’est en train de faire le général Gaïd Salah. Et donc, dans la continuité des arrestations en cours, depuis plusieurs mois, c’est au tour de Khaled Nezzar d’être attaqué à l’international.

Est-ce que le général Nezzar faisait partie du clan Saïd Bouteflika jusqu’au mois de mai dernier ?

On ne peut pas dire cela. Il a toujours tenu une certaine distance vis-à-vis du clan Bouteflika, mais c’est quelqu’un qui est resté relativement influent dans l’armée, c’est un aîné qui est écouté. C’est aussi quelqu’un qui avait une très grande fragilité, c’est quelqu’un qui aurait pu se retrouver devant la Cour pénale de La Haye, parce qu’il était à la tête de l’arrêt du processus électoral au début des années 90. L’homme le plus fort du pays jusqu’à 94, au moment de l’arrivée à la présidence de la République du général à la retraite Liamine Zéroual. On peut lui imputer une bonne partie de la politique répressive qui a été engagée contre les islamistes, y compris ceux qui n’avaient pas encore pris le maquis ou qui n’envisageaient pas de le prendre. Je fais référence notamment à l’internement administratif de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Donc, c’était quelqu’un qui pouvait se retrouver en prison, peut-être comme un criminel de guerre, et c’est sur ce thème qu’aujourd’hui il semblerait que tente de l’attaquer l’actuel homme fort du pays.

En lançant des poursuites contre le général Nezzar, mais aussi contre Saïd Bouteflika et le général Toufik Mediène, est-ce que le général Gaïd Salah, l’homme fort, essaye de se dédouaner aux yeux de l’opinion publique ?

Alors le général Gaïd Salah a déjà tenté de se dédouaner de son soutien à Bouteflika pour briguer un cinquième mandat. Ça, il a essayé de faire oublier à la population en étant extrêmement dynamique, zélé, dans l’arrestation de tous ceux qui ont soutenu le cinquième mandat, à peu près tous. Une branche de ceux qui ont soutenu le cinquième mandat est proche de lui, notamment l’actuel responsable à la tête du FLN, monsieur Djemiai. Mais il a réussi à essayer de vendre à l’opinion algérienne, au mouvement populaire, cette idée que lui n’a rien à voir avec cela. Maintenant, en allant au-delà, il ne peut pas attaquer le général Nezzar pour être un soutien de Bouteflika, parce qu’il ne l’était pas réellement. Il veut l’attaquer sur un autre terrain, celui des crimes des années 90. Mais là, c’est la boîte de Pandore, s’il devait l’ouvrir, il y a toute une partie de l’armée, les services de sécurité, la police, la gendarmerie, etc, qui est impliquée. Ouvrir ce dossier est une très grosse prise de risques. Mais on a pris l’habitude, nous les Algériens, depuis quelques mois, avec les prises de risques complètement insensées du général Gaïd Salah.

Le général Gaïd Salah qui doit se sentir assez fort pour s’attaquer non seulement au clan Bouteflika, mais à Toufik Mediène et à Khaled Nezzar ?

Et à toute la nomenclature d’entreprises privées qui a fleuri dans les années de Bouteflika et même au-delà. Il s’attaque aussi au mouvement populaire. Il y a des dizaines d’arrestations de gens qui ont porté des drapeaux amazigh, il y a des porte-parole, des leaders qui ont été inquiétés. Il y a des sites internet qui ont été coupés. Il y a une politique de la main de fer qui est en train de tenter de s’abattre sur le mouvement populaire et qui bloque le dialogue. Est-ce que Gaïd Salah se sent fort pour faire tout cela ? Moi, à mon avis, c’est plutôt l’inverse. C’est la démarche, je dirai, d’une bête blessée qui coure dans tous les sens, qui fait des dégâts, qui se sent traquée et qui va attaquer tout le monde et qui va aller au-delà de ce qui est nécessaire pour se protéger.

Ce général Gaïd Salah et le président par intérim Abdelkader Bensalah viennent de mettre en place une instance nationale de dialogue, un panel pour discuter avec la société civile du calendrier à venir des élections. Est-ce que vous y croyez ?

Moi, personnellement, j’aurais bien voulu y croire, parce qu’il faut proposer une issue politique à tout ce qui est en train d’arriver. Les Algériens ont énormément d’énergie pour dégager ce pouvoir. 24e semaine, c’est quand même inédit. Et donc l’issue politique, c’était intéressant. Le problème, c’est que ce panel est un peu malmené, parce que les personnes qui étaient pressenties, qui étaient relativement représentatives, qui étaient rentrées dans une forme de discussion avec la personne qui était désignée pour coordonner ce panel, monsieur Karim Younès, ces personnes-là ont été abandonnées en cours de route, parce que Karim Younès a malheureusement fait une concession au président Bensalah en ne les mettant pas dans le panel. Et puis surtout dans la démarche, il s’est trop précipité et il se retrouve aujourd’hui prisonnier d’un groupe de personnes qui n’ont pas beaucoup de crédit et sont décriées. Est-ce que pour autant c’est déjà un échec ? À mon avis, il faut attendre pour voir, notamment attendre de voir ce que va faire la société civile. Il y a eu une conférence unitaire le 15 juin de toutes les tendances dans la société civile : syndicats autonomes, associations, collectifs nés dans le feu de l’action depuis le 22 février dernier, cette société civile qui produit elle aussi une solution de dialogue politique et qui peut éventuellement pallier la faiblesse du panel. Est-ce que c’est une démarche alternative pour sortir avec une seule proposition de feuille de route politique comme cela s’est passé au Soudan ? On le verra plus tard, mais clairement ce panel a fait un faux pas à son départ et il aura du mal à le réparer.

Les marches continuent tous les vendredis, mais il y a moins de monde qu’au mois de février, qu’au mois de mars, qu’au mois d’avril. Est-ce que le mouvement ne risque pas de s’essouffler ?

C’est une vraie question. Ça continue. Aujourd’hui, je dirai qu’il y a un matelas de mobilisation et de manifestants tous les vendredis dans la rue qui est suffisant pour empêcher le pouvoir de développer sa feuille de route. Évidemment, on ne peut pas revenir au niveau du mois de mars, à l’échelle nationale. On comptait par millions les gens qui étaient dans la rue. Aujourd’hui, ça se compte par dizaine de milliers si on engage à l’échelle nationale. À Alger, cela reste entre 15 et 20 000 tous les vendredis, c’est quand même significatif au cœur de l’été, au cœur des congés, mais le temps ne joue pas nécessairement contre le mouvement populaire. Si le mouvement populaire arrive à maintenir ce seuil de mobilisation, il est suffisamment fort pour empêcher la récupération et la perpétuation du système.

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