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Le grand invité Afrique

Soudan: «Ce risque de coup d'État était largement prévisible»

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Au Soudan, l’armée a procédé à une série d’arrestations la semaine dernière. Après avoir déjoué, selon elle, une tentative de coup d’État. On ne sait pas combien de personnes ont été arrêtées. Mais certains chercheurs parlent au moins une 50 de personnes, dans les rangs de l’armée, des services de renseignements, du parti de l’ex-président Omar el-Béchir. Y a-t-il réellement eu une tentative de putsch ou s’agit-il d’une purge ? La chercheuse Anne Laure Mahe répond à Alexandra Brangeon.

Le général Hemeti lors de son arrivée à l'aéroport de Juba au Soudan du Sud le 27 juillet 2019.
Le général Hemeti lors de son arrivée à l'aéroport de Juba au Soudan du Sud le 27 juillet 2019. REUTERS/Jok Solomun
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Mercredi dernier, le 24 juillet, le régime militaire à Khartoum affirmait avoir déjoué une tentative de coup d’État et a procédé à un certain nombre d’arrestations au sein de l’armée, des services de renseignements, mais pas uniquement ?

Anne-Laure Mahé: Tout à fait. Ça semble une coalition assez diversifiée parce qu’on a eu des arrestations dans les rangs de l’ancien parti au pouvoir, le National Congress Party (NCP) d’Omar el-Bechir, mais on a aussi eu des arrestations de certains dirigeants d’un parti qui fait une dissension au sein du parti au pouvoir, également des personnalités dans des entreprises privées, un dirigeant de Sudatel (Sudatel Telecoms], qui ont été arrêtés. Donc, c’est une coalition qui paraît un peu étonnante et qui semble peut-être unie par l’idée que ce soient des membres du mouvement islamique sachant qu’on retrouve bien entendu des islamistes au sein de l’armée, au sein de l’appareil sécuritaire, au sein des services secrets, etc.

Tous ont tout de même été, à un moment ou à un autre, alliés de l’ex-président Omar el-Bechir ?
Oui, effectivement. Même s’il y a eu des dissensions au fil des années, ça reste des gens qui ont été tous à un moment donné aux manettes du projet finalement islamique révolutionnaire qui était celui de régime depuis 1989.

Pourquoi ces arrestations ? Comment les expliquez-vous ?
D’abord, c’est assez logique. Il y a eu une menace de coup (d’État) qui est arrivée aux oreilles des dirigeants actuels, c’est certain qu’il fallait réagir. Il faut savoir que ce risque de coup d’État, c’est quelque chose qui était largement prévisible, d’abord parce que l’armée soudanaise a souvent réalisé des coups : en 1989, le régime arrive au pouvoir par un coup d’État ; durant les 30 ans du règne d’Omar el-Béchir, il y a des tentatives de coups qui ont été mis à jour, etc. Disons que cela fait partie un peu de la vie politique soudanaise dans une large mesure. Donc, c’est un risque prévisible. Et évidemment, on est aussi, avec ce tout nouveau régime, dans un régime de transition, qui conduit un certain nombre de purges pour se débarrasser de ses adversaires. Et là, on est peut-être dans un processus de démantèlement potentiellement de l’ancien régime et de ceux qui pourraient s’opposer aux dirigeants actuels.

Certains, et notamment dans l’opposition, réfutent l’idée d’un coup d’État et parlent plutôt de purge ?
C’est toute la question. En fait, c’est la cinquième tentative de coup d’État qui aurait eu depuis la mise en place de la nouvelle junte au pouvoir. Et à chaque fois, ce sont les mêmes questions qui se posent : est-ce qu’on est face réellement à une tentative de coup d’État ou à un conflit interne en fait à cette nouvelle direction du pays ou est-ce qu’on est face à une stratégie de la part de la junte qui viserait à asseoir son pouvoir encore davantage en agitant le spectre du chaos, du renversement pour pouvoir accroître son pouvoir de négociations.

Et ce nettoyage se fait au profit de qui ? Du Conseil militaire de transition ou du général Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemetti, le numéro 2 de la junte ?
Ce serait peut-être avant tout au profit de Hemetti qui est le vice-président de la junte et qui est un personnage assez particulier, puisque Hemetti, c’est le dirigeant des «Rapid Support Forces» (Forces de soutien rapide) qui sont une milice paramilitaire qui est née en fait des Janjawids, les milices Janjawides qui avaient réprimé pour le compte du régime le conflit au Darfour. Donc Hemetti, ce n’est pas un militaire de carrière. Il est arrivé aujourd’hui au pouvoir au Soudan par une série de choix pertinents stratégiquement pour lui. Donc là, on serait dans une consolidation de sa position au pouvoir.

Oui, puisque l’ascension du général Hemetti et notamment de ses Forces de soutien rapide n’est pas forcément vue comme un bon œil au sein de l’armée et les forces de sécurité en général…
Tout à fait. Cela a causé quelques tensions puisque ce n’est pas un militaire de carrière. On leur a donné des grades militaires. Et d’ailleurs les RSF ont été intégrés à l’armée alors qu’ils n’ont pas suivi la même carrière. Ce sont des mercenaires en réalité. Évidemment, pas nécessairement la même éthique professionnelle, les mêmes normes, etc. Donc cette ascension au pouvoir a été assez mal vue par certains militaires, d’autant plus que c’est un personnage qui vient du Darfour, de régions marginalisées, etc. Donc les officiers de l’armée en général viennent, quant à eux, des régions plutôt centrales du pays. On aurait peut-être là aussi une division identitaire.

Mais pourquoi ces purges maintenant, deux mois après la chute d’Omar el-Béchir ?
Il y a déjà eu des purges auparavant. On n’est pas dans quelque chose d’une ampleur aussi grande que ce qui y a pu y avoir par exemple en 1989 parce qu’on est dans un contexte qui est bien différent, on est dans un contexte de transition potentiellement démocratique, de négociations avec les civils, etc., et non pas de mise en place d’un régime militaire qui aurait vocation à s’installer dans la durée. Évidemment, l’attitude pour effectuer des purges de grande ampleur est plus réduite. Mais on a déjà eu, au moment où Omar el-Béchir a été renversé, des arrestations, mais surtout, c’est vrai au sein du parti du NCP et pas tant au sein de l’armée.

Est-ce que l’arrestation de ces alliés d’Omar el-Béchir est un signal envers l’opposition alors que des négociations ont lieu en ce moment ?
Oui, certainement. Puisque quand même, l’une des grandes critiques ça a été que ces gens au sein de la junte étaient des restes de l’ancien régime. Ils restaient liés, et finalement le système n’avait pas été mis à terre alors que c’était uniquement la tête qui avait été renversée.

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