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La semaine de

L'union par le libre-échange?

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À défaut de l'unité à laquelle appelait l'Osagyefo Kwame Nkrumah, l'Afrique va, à présent, s'essayer au libre-échange continental. Mais avec quelles chances de succès, lorsque l'on sait que nombre d'Etats du continent rechignent à se lancer dans cette nouvelle aventure, qui trahit un cruel déficit de courage dans le leadership actuel du continent ?

Jean-Baptiste Placca.
Jean-Baptiste Placca. Claudia Mimifir
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Avec l’entrée en vigueur de la Zone de libre-échange continentale, le Marché commun africain est officiellement né, ce 30 mai 2019. L’événement n’est, certes, pas banal. Peut-on pour autant considérer que l’Afrique est entrée, là, dans une dimension nouvelle de son unité ?

Ceux qui s’en tiennent à la dimension strictement statistique de l’événement pourraient, pourquoi pas, s’autoriser quelque frisson panafricaniste, en se convaincant que si ce projet va à son terme, l’on aboutirait au plus vaste marché commun de la planète, depuis la création de l’Organisation mondiale du commerce, il y a bientôt un quart de siècle. Mais, il faut avancer avec prudence et modestie. Parce que ceux qui s’en vantent se vantent de ce que la population africaine dépasserait, aujourd’hui, 1,200 milliard d’habitants. Cela paraît d’autant plus impressionnant que les démographes annoncent que cette population pourrait doubler à l’horizon 2050. Et déjà, l’on extrapole, pour parler d’un marché de 2,5 milliards de consommateurs, en 2050. C’est exactement ce type de manipulation des chiffres qui a suscité la fameuse boutade que l’on prêtait naguère au général de Gaulle, affirmant que l’Afrique est un continent d’avenir, et le demeurera.

Si l’Afrique a pu être raillée comme étant un continent éternellement d’avenir, c’est parce que certains de ses dirigeants ne semblent pas avoir compris que le poids des marchés ne s’apprécie pas du seul point de vue de la densité humaine. Un pays peuplé ne devient un marché que si sa population sait devenir solvable.

Il n’empêche qu’un marché de 1,2 milliard d’âmes peut faire rêver…

Justement, l’Afrique, avec sa Zone de libre-échange continentale, ne peut, en l’état, que faire rêver. Ô, peut-être même saliver un peu ! Mais si certaines dispositions ne sont pas prises, on rêvera encore longtemps, et on salivera éternellement. Jusqu’à ce que les bouches se dessèchent…

N’est-ce pas, là, le discours des adversaires de la Zlec ?

Peut-être faut-il, déjà, commencer par donner à cet espace une appellation plus engageante. De manière triviale, certains diraient « plus sexy », et ce n’est pas un détail insignifiant. Il est des noms de grandes figures africaines inscrites dans l’histoire ; de fleuves et de monts majestueux ; de vallées impressionnantes. L’Afrique n’a que l’embarras du choix : des reines et des rois aux patronymes sonnants justes, de divinités qui font vibrer. Rien n’oblige à s’astreindre à ce sigle à la fois imprononçable et incongru. Dès lors qu’on lui aura trouvé un nom plus engageant, il faudra définir un contenu concret à toute cette aventure. Car, pour le moment, l’on semble avoir mis la charrue avant les bœufs. Et, comme dit le chansonnier, la charrue avant les bœufs ne fait guère que de beaux terrains bourbeux.

L’enjeu demeure le libre-échange de productions entre nations.

Pour échanger librement, il faut, justement, produire. Et tous ceux qui produisent aujourd’hui échangent dans leur propre monnaie. Mais, l’Afrique a-t-elle seulement identifié les préalables au libre-échange ? Et puis, quel est donc ce continent si subitement pressé d’échanger librement, alors qu’il a abandonné en rase-campagne le rêve panafricaniste des pères fondateurs ? Un jeune Américain de l’Arkansas peut choisir d’aller s’établir librement dans n’importe quel État des États-Unis. Il circulera dans les cinquante États avec la même monnaie, le dollar. Vous voyez à quel point peut paraître vain ce projet de libre-échange, lorsque le jeune Ghanéen formé en Grande-Bretagne et qui voudrait s’établir au Cameroun, rencontre tellement de difficultés, tellement de barrières, qu’il finit par réaliser que son Afrique, dont il clame être si fier, lui est, de fait, interdite, et qu’il n’est, au fond, citoyen que d’un petit bout d’Afrique, situé entre la Côte d’Ivoire et le Togo, écrasé par le Burkina, et risquant de s’enfoncer dans l’Atlantique.

La Zlec, dans un tel contexte, pourrait n’être que la dernière illusion vendue aux peuples africains. Il y a comme un cruel déficit de courage dans le leadership actuel du continent, alors que la plupart des dirigeants sont des ex-militants, que l’on croyait panafricanistes jusqu’au bout des ongles. Ils ont, tous, la culture qu’il faut, pour savoir et comprendre qu’il est plus facile et plus utile d’unir les peuples que de rêver de leur faire faire des échanges que leurs peuples faisaient déjà de toute façon, et depuis la nuit des temps.

Quant aux exceptions et autres dérogations au respect des règles du libre-échange, il faudra tellement les multiplier qu’à la fin, il ne restera plus rien de l’esprit initial de l’accord.

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