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Le grand invité Afrique

Ebola (RDC): «Contre la défiance des gens, faisons confiance aux communautés»

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Ce n'est pas facile de lutter contre l'épidémie Ebola dans l'est du Congo-Kinshasa. La fièvre hémorragique tue de plus en plus de personnes et la défiance de certains habitants complique la tâche des personnels soignants. Pourtant, l'ONG Alima, Alliance pour l'action médicale internationale, ne baisse pas les bras. Avec ses quelque 200 agents de santé sur le terrain, elle multiplie les CTE, les Centres de traitement d'Ebola. Augustin Augier, directeur général d'Alima, est notre invité.

Dans un centre de traitement Ebola à Beni, le 31 mars 2019.
Dans un centre de traitement Ebola à Beni, le 31 mars 2019. REUTERS/Baz Ratner
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Augustin Augier est le directeur général de l'ONG Alima.
Augustin Augier est le directeur général de l'ONG Alima. alima-ngo.org

RFI : Plus de 1 000 morts depuis le mois d’août dernier au Nord-Kivu. Est-ce à dire que l’épidémie d’Ebola est devenue hors de contrôle ?

Augustin Augier : Hors de contrôle ? Je ne sais pas, mais en tout cas il y a de plus en plus de cas. Cela fait quatre semaines d’affilée que le nombre de cas confirmés par semaine est supérieur à la semaine précédente, donc l’épidémie est inquiétante, elle touche, elle tue beaucoup de gens au Nord-Kivu, c’est une réalité malheureusement.

Et alors ce que les gens ne savent peut-être pas, c’est qu’à la différence de l’épidémie en Afrique de l’Ouest en 2014, aujourd’hui en 2019, on soigne mieux la maladie.

On soigne mieux la maladie. On a des médicaments qui sont prometteurs pour traiter la maladie. On est capable de donner des soins de réanimation. Une ONG comme Alima a beaucoup appris de ce qui se faisait au Nord et de ce qui s’est fait en 2014-15. Avant deux personnes sur trois mourraient de la maladie, aujourd’hui c’est trois ou quatre sur dix seulement. Ça reste très élevé, mais c’est quand même beaucoup mieux. Les soins sont gratuits, disponibles pour tous et particulièrement efficaces si les gens viennent tôt dans leur épisode de la maladie.

Et pourtant, il semble qu’il y ait beaucoup de gens qui manifestent de la défiance vis-à-vis de tout ce que vous faites, vis-à-vis des CTE, les fameux Centres de traitement d’Ebola.

Les gens qui sont venus dans les CTE et qui en ressortent guéris manifestent beaucoup de confiance, parce qu’ils ont vu le travail phénoménal fait par les infirmiers, les médecins du ministère de la Santé, d’ONG comme Alima, sur le terrain pour les soigner. Une partie de la population continue à avoir de la défiance, parce qu’ils ne sont pas certains que cette maladie existe. Cette maladie, elle fait peur. Une maladie qui tue des personnes en bonne santé en moins de dix jours, ça fait peur. Et ça, il faut qu’on le reconnaisse et qu’on l’accepte. Et la meilleure façon pour lever cette défiance, c’est de faire confiance à la communauté. C’est elle qui peut résoudre le problème. Et pour ça, il faut qu’on lui donne les moyens de lutter contre cette maladie. Ce qu’on essaye de faire dans certains endroits en donnant, par exemple, tout le matériel, la formation, les éléments qui leur manquent, à des communautés des centres de santé pour prendre eux-mêmes en charge les cas suspects. Pendant deux jours, trois jours, le temps de savoir s’ils sont confirmés ou pas. On l’a fait dans la ville de Katwa et ça marche, parce qu’évidemment les communautés ont intérêt à y arriver et veulent apprendre à le faire. Donc si on leur fait confiance et qu’on leur donne les moyens, on y arrive.

En décembre dernier, les citoyens de Beni, Butembo, au Nord-Kivu, n’ont pas pu voter sous prétexte de l’épidémie d’Ebola, et du coup, ces derniers mois, des hommes politiques ont déclarés, c’est Kinshasa qui a inventé la maladie d’Ebola pour nous empêcher de voter.

Moi, je pense qu’il faut sortir des questions politiques. Il y a une urgence sanitaire pour ces populations, donc nous on est une ONG indépendante, apolitique, et je pense que l’ensemble de la riposte doit l’être, l’est. Les populations doivent savoir que, quelles que soient leurs opinions, leur ethnie, leur langue maternelle, ils seront pris en charge, ils seront soignés gratuitement et le mieux possible.

Mais de fait, l’élection manquée du mois de décembre a créé un climat de défiance, j’imagine.

Je pense que la plus grande partie des familles de Beni et de Butembo voit le travail que l’on fait, que c’est un travail indépendant, apolitique, qu’on est là pour soigner tout le monde et qu’on y arrive. Ce sont les meilleurs porte-parole de l’efficacité de la riposte, les patients guéris.

Le 19 avril, c’était à Butembo au Nord-Kivu, le médecin épidémiologiste camerounais Richard Valery Mousoko Kiboung a été assassiné en plein jour lors d’une réunion médicale. Pourquoi cet assassinat ?

C’est très difficile de comprendre cela d’abord. C’est très triste pour sa famille, ces proches, pour toute la communauté humanitaire qui est touchée. Les gens sur le terrain prennent des risques face à la maladie, face à la sécurité, font des efforts pour les populations et personne ne peut comprendre qu’on les prenne pour cible, à aucun moment. Et d’ailleurs, la communauté, la population de Butembo et de Katwa ne le comprend pas. À la fin du mois de février, au début du mois de mars, deux centres de traitement ont été attaqués et brûlés, ce qui a fait que des ONG, notamment Médecins sans frontières, c’est retiré. Qui sont les perdants de ce type d’acte ? C’est la population, toute la population.

À la suite de cet assassinat, onze suspects ont été arrêtés. Et la responsabilité d’un groupe Maï-Maï a été évoquée par les autorités. Est-ce que des mouvements rebelles utilisent la mobilisation internationale contre Ebola pour essayer de faire parler d’eux par exemple ?

Je pense que l’on peut faire davantage pour ces populations. La première chose, c’est que les besoins ne sont pas uniquement sur Ebola dans cette zone-là. Il y a des besoins en santé de manière générale, et la population, une partie de la population attend de l’aide plus globalement. Est-ce que des gens utilisent cela pour monter la population contre la riposte ? Je ne sais pas. En tout cas, des tracts sont distribués dans ce sens-là. Et pour autant, les gens comprennent qu’ils sont face à une maladie qui les touche. C’est des drames. Il faut voir ce que c’est Ebola. Cela touche souvent plusieurs personnes dans la même famille. Vous pouvez avoir un parent, un ou deux enfants qui vont mourir. Les autres, qui arrivent à en survivre, mais dans quel état sont-ils en sortant ? Les gens ne sont pas dupes, parce qu’ils voient bien que c’est possible si jamais on vient se faire soigner, qu’on vient tôt. Donc je pense que les discours consistent à créer la défiance ne marcheront pas. La meilleure façon d’aider la population aujourd’hui du Nord-Kivu, qui fait face à cette épidémie, c’est de ne pas politiser cette affaire.

Est-il vrai que l’on a forcé des gens à aller se faire soigner dans des CTE, dans des Centres de traitement d’Ebola ?

À ma connaissance, personne n’a été forcé. On n’est pas dans une contrainte. Il faut convaincre les gens. Il y a de très bonnes raisons de les convaincre. Les soins sont efficaces, les soins sont gratuits, la famille peut venir vous voir tous les jours. Quand vous repartez guéris, on vous donne de quoi repartir à la maison avec de la nourriture, des habits neufs, un nouveau téléphone. Tout est fait pour qu’il y ait de la transparence, de la confiance et l’efficacité médicale pour les patients.

Jusqu’à présent, au Congo-Kinshasa, c’était le ministère de la Santé qui s’occupait du traitement d’Ebola, et le président Tshisekedi vient d’annoncer que désormais d’autres ministères seront impliqués, notamment ceux de la Défense et de l’Intérieur. Est-ce que cela ne risque pas de politiser le traitement d’Ebola ?

Je ne l’espère pas. Le président Tshisekedi a estimé qu’il devait revoir l’architecture de la riposte, et il est souverain, c’est normal. On espère que cette réforme permettra à nous tous d’être plus efficaces dans la lutte contre la maladie.

Le docteur Tedros Ghebreyesus, le directeur général de l’OMS, était à Butembo il y a quelques jours. Il a déclaré : « On ne va pas être intimidé par ceux qui s’attaquent à la riposte d’Ebola. On va terminer le travail. » N’est-ce pas une peu trop optimiste au vu des derniers évènements ?

En tout cas, nous on est là pour la population et ça ne servirait pas la population qu’on se fasse intimider et qu’on parte. On restera, parce que tant que la population souhaite qu’on soit là, elle a besoin de nous, et nous demande de rester, on restera.

Mais vu l’insécurité, j’imagine que vous avez dû retirer du personnel depuis l’attaque de Butembo ?

On a à un moment retiré du personnel. Mais oui, il faut souligner le courage des gens qui sont sur le terrain. Bien sûr. Déjà que travailler contre la maladie Ebola, ça fait peur et c’est dangereux, je le rappelle. La première population touchée est le personnel de santé, plus de 90 personnels de santé ont été infectés depuis le début de cette épidémie et 35 en sont morts, c’est énorme. Donc, avoir des gens qui acceptent au jour le jour de soigner des gens Ebola extrêmement contagieux, parce qu’ils ont beaucoup de virus au moment où ils viennent dans les centres de traitement. À ça s’ajoute un vrai risque pour l’intégrité physique via l’insécurité. Oui, le courage de ces gens est absolument exceptionnel. Je sais que la communauté, la population de Beni, de Butembo, de Katwa, des autres zones touchées au Nord-Kivu, c’est ça, c’est ce courage et le besoin qu’ils ont que ces gens restent.

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