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Le grand invité Afrique

Mali: «On voit une reprise en main par IBK», selon l'anthropologue Gilles Holder

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Le Mali a un nouveau Premier ministre, l'économiste Boubou Cissé. Est-ce une victoire pour le chef islamiste Mahmoud Dicko, qui militait contre le Premier ministre précédent, Soumeylou Boubèye Maïga ? Pas si sûr, estime l'anthropologue Gillles Holder, chercheur à l'IRD et qui copilote à Bamako le Laboratoire mixte international MaCoTer.

Le président malien Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), le 24 septembre 2018 à la tribune de l'Assemblée générale de l'ONU, à New York.
Le président malien Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), le 24 septembre 2018 à la tribune de l'Assemblée générale de l'ONU, à New York. Don EMMERT / AFP
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RFI : L’arrivée de Chérif Haïdara à la tête du Haut Conseil islamique du Mali (HCIM), est-ce que c’est un tournant pour ce mouvement religieux qui est le plus important du Mali ?

Gilles Holder : Oui, effectivement. On peut parler de tournant. Le Haut Conseil islamique a été présidé pendant deux mandats successifs par l’imam Mahmoud Dicko, qui est un imam wahhabite, et il a monopolisé, mobilisé aussi, une bonne partie de la communauté musulmane, notamment contre la réforme du code de la famille à partir de 2009. Puis les élections générales de 2018 se sont caractérisées par l’alliance du chérif Bouyé de Nioro et de Mahmoud Dicko à l’encontre du président Ibrahim Boubacar Keïta. Celui-ci a quand même été élu et il a été élu grâce à son Premier ministre, en particulier, qui a réussi à mettre en place une campagne électorale extrêmement productive pour les élections. Le même Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga qui vient de démissionner récemment.

Alors Mahmoud Dicko, le président sortant du Haut Conseil islamique, n’était pas candidat ce dimanche. Mais visiblement, il est très contrarié par la victoire de Chérif Haïdara. Peut-on parler d’un autre islam avec Chérif Haïdara ?

On n’est pas dans un autre islam au sens religieux du terme, il n’y a qu’un seul islam pour tout le monde. Mais c’est effectivement une autre approche de l’islam. D’abord, il se caractérise par une opposition déclarée aux réformistes de type wahhabite et autres, sans être littéralement un mouvement soufi, une confrérie soufie de type Tidjaniya, Qadiriyya, etc. D’une part, il se caractérise par une opposition déclarée avec les réformistes wahhabites et, d’autre part, c’est un islam que l’on pourrait qualifier de populaire, c’est-à-dire que c’est un islam de prêcheurs, de cadets sociaux, des gens qui n’ont pas vraiment de place dans les mosquées, à commencer par le prêcheur lui-même qui n’est pas imam. Donc il en ressort en fait du profil de Chérif Haïdara un mouvement que j’ai qualifié de légalisme soufi par opposition au wahhabisme républicain que manifestaient Mahmoud Dicko et son entourage. Donc légalisme soufi, cela veut dire que la ligne de conduite de Chérif Hadaïra a toujours été de proclamer la séparation stricte du pouvoir politique et du religieux au nom de la laïcité, mais aussi au nom du respect de l’autonomie des mouvements religieux. À cela, il faut tout de même ajouter que son mouvement lui-même est fondamentaliste. Sans être salafiste, il est fondamentaliste. Mais ce fondamentalisme, il le conçoit au sein de l’organisation musulmane, et non pas en termes de citoyenneté ou de Constitution du pays.

Et le 10 février 2019, lors de la manifestation géante dans un stade de Bamako contre le gouvernement Soumeylou Boubèye Maïgan, Chérif Haïdara n’était pas présent ?

Tout à fait. 

Alors pour diriger le Haut Conseil islamique ces dernières années, Mahmoud Dicko a fait tandem avec un imam très influent dans l’ouest du Mali, le chérif de Nioro. Est-ce que ce tandem va tenir ?

S’agissant du chérif de Nioro, une alliance de circonstance a été faite avec Mahmoud Dicko, non pas contre IBK, mais contre son gouvernement dirigé par Boubèye Maïga. Cette alliance, on peut penser qu’elle ne se maintiendra pas. On peut le penser et, si on se met du point de vue de l’État, l’État a tout intérêt à ce que cette alliance capote, se délite pour isoler d’une certaine manière Mahmoud Dicko qui se retrouve, si j’ose dire, à la rue, c’est-à-dire sans l’institution au Haut Conseil islamique qui lui apporte une grande légitimité en termes de contestation sociale, et sans son appui soufi qu’incarne le chérif de Nioro. Il se retrouve donc réduit aux acquêts, c’est-à-dire à sa propre définition de l’islam qui est un islam réformiste wahhabite.

Et si Mahmoud Dicko perd la main sur le Haut Conseil islamique, est-ce qu’il peut investir le champ politique comme les islamistes d’Afrique du Nord ou du Moyen-Orient ?

Alors tout est imaginable. Je pense par ailleurs que le gouvernement a tout intérêt à ce qu’il entre en politique, qu’il revête effectivement la forme d’un parti politique d’opposition. Et là, c’est un autre jeu qui se mettra en place, c’est-à-dire que les régimes de légitimité vont complètement changer. Il va se retrouver dans l’arène politique et politicienne, l’arène du pouvoir cru et nu. Je pense qu’il est conscient que son engagement personnel dans le jeu politique et partisan sonnera le glas probablement de son influence. En revanche, il est permis de penser qu’il favorise l’émergence d’un parti sinon islamiste, en tout cas qui revendique une éthique morale, une éthique islamique. Il peut inciter à la création d’un parti, de toute façon qui ne sera pas religieux, la Constitution l’en empêche. Et de toute façon, il ne sera pas à mon avis président de ce parti.

Quand le Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, a démissionné jeudi 18 avril, tout le monde a dit que c’était une victoire pour Mahmoud Dicko qui a organisé depuis plusieurs semaines des manifestations contre lui. Mais trois jours plus tard, les partisans de Mahmoud Dicko ont perdu la majorité à la tête du Haut Conseil islamique. Alors on n’y comprend plus grand-chose. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

Je ne sais pas si c’est un paradoxe. Les manifestations s’inscrivaient dans un contexte assez complexe. L’élément majeur, c’est que Soumeylou Boubèye Maïga incarne probablement une approche assez traditionnelle de l’État malien, tel qu’il était il y a quelques années, c’est-à-dire qu’elle est assez laïque, pour ne pas dire laïcarde. Et par ailleurs, autre difficulté pour Soumeylou Boubèye Maïga, c’est que c’est un interlocuteur de la France qui est reconnu comme tel. Et pour Mahmoud Dicko, il est justement situé là où il y a les revendications populaires et populistes de Mahmoud Dicko à l’encontre de la Minusma [Mission de l’ONU au Mali], de « l’occupation » du pays, de la « recolonisation » du pays par la France... Tout ce discours qui apparaît à longueur d’interviews. Maïga finalement cristallise l’ensemble de ces critiques, à savoir la sécurité, la fermeté, la gestion de l’armée, la gestion de la question des ministres, la laïcité puisqu’il y a une revendication laïcarde qui est un peu plus forte chez Boubèye Maïga, et le fait qu’il entretient un dialogue jugé constructif avec la France.

« Le seul problème du Mali, c’est la France », disaient les manifestants pro-Mahmoud Dicko ces dernières semaines à Bamako…

Oui, ce n’est pas nouveau. La cinquième région et ce qui s’est passé dans la cinquième région, c’est-à-dire au centre du pays où Barkhane [opération au Sahel et au Sahara de l'armée française contre les groupes armés salafistes jihadistes] était assez peu présente, n’a fait que renforcer ce sentiment. Puis politiquement parlant, du point de vue de Mahmoud Dicko, le seul problème, c’est effectivement la France.

Quel est le jeu du président Ibrahim Boubacar Keïka (IBK) dans tout cela. A-t-il sacrifié son Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga pour répondre à la pression de la rue et des islamistes. A–t-il pris sa revanche en quelque sorte en favorisant l’éviction des partisans de Mahmoud Dicko à la tête du Haut Conseil islamique ?

L’interprétation qu’on peut faire, en tout cas, c’est celle que je propose, c’est qu’on voit à travers ce qu’il vient de se passer une reprise en main, une initiative en tout cas de la part de l’Etat et d’IBK. Je rappelle les faits : effectivement, une manifestation extrêmement bien suivie bouscule, voire demande la démission de Boubèye Maïga ; IBK a réussi à faire valoir la démission de Boubèye Maïga, en tout cas la chute du gouvernement, en transférant en quelque sorte le régime de légitimité de la rue que manifestait Mahmoud Dicko vers les députés et l’Assemblée nationale. Donc avec le dépôt d’une motion de censure soutenue par le RPM [Rassemblement pour le Mali].

Le parti d’IBK…

Le parti présidentiel. Et c’est très habile parce que, d’une certaine manière, il a réussi à enlever des mains des opposants emmenés par Mahmoud Dicko le fait de changer de Premier ministre. C’est assez habile. On sent que là, l’Etat est plus à la manœuvre : d’une part, Mahmoud Dicko n’est plus président du Haut Conseil islamique, donc il perd une base de légitimité importante ; d’autre part, on peut imaginer que le pouvoir a travaillé à rassurer le chérif de Nioro…

Pour le désolidariser de Mahmoud Dicko peut-être ?

Tout à fait, pour le désolidariser, pour isoler Mahmoud Dicko. De l’autre côté, Chérif Haïdara va porter une autre forme de légitimité populaire, et ce Premier ministre devra résoudre le problème de la relégitimation de l’État, le problème de la reconquête de la sécurité des populations, le problème d’une diplomatie plus hardie, plus sonore de la part du Mali, y compris à l‘égard de ses alliés qui sont la France, etc. et puis satisfaire aussi la donne religieuse, puisque l’opinion publique est quand même traversée par le religieux.

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