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Le grand invité Afrique

Un milliard pour ND-de-Paris et «seulement 4 millions pour Tombouctou»

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Pour la reconstruction de Notre-Dame de Paris, un milliard d'euros sont déjà promis par de riches mécènes. El Boukhari Ben Essayouti, conservateur du patrimoine est le chef de la Mission culturelle de Tombouctou au Mali. Il a supervisé la reconstruction des mausolées détruits en 2012 par les islamistes et cette somme le fait rêver...

El-Boukhari Ben Essayouti.
El-Boukhari Ben Essayouti. facebook.com/benessayouti
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RFI : Cela fait quoi de voir Notre-Dame de Paris en feu ?

El-Boukhari Ben Essayouti : C’est franchement quelque chose de très tragique. Quand on l’a vu, ici à Tombouctou, cela a été une onde de choc et cela nous a rappelé ce qui nous est arrivé il y a quelques années. Et je pense que le pic des émotions, c’est quand on a vu la flèche s’effondrer.

Depuis une semaine, en France, il y a une querelle entre les anciens et les modernes autour de la reconstruction de la flèche de Notre-Dame. Faut-il la reconstruire à l’identique ou innover ? Qu’est-ce que vous en pensez ?

Personnellement, je pense qu’il faut reconstruire à l’identique. Parce que nous avons eu les mêmes expériences ici, nous avons eu des mausolées détruits et rasés au bulldozer à Tombouctou. Et à l’orée de la reconstruction, nous nous étions posé les mêmes questions. Est-ce qu’il faudrait faire quelque chose de moderne, ou retourner à la source primitive ?

Pourquoi dites-vous tout cela ? Parce qu’il faut respecter l’âme du monument ?

Oui, il faut respecter l’histoire, il faut respecter l’esprit dans lequel le monument a été érigé il y a plusieurs siècles. Il faut respecter, aussi, les critères de classement, parce que le monument est classé sur la liste du patrimoine mondial, selon des critères bien définis. Et je pense qu’il faut aussi faire appel à l’expertise de l’Unesco pour cette reconstruction.

À Tombouctou, depuis 2013, vous avez supervisé la reconstruction de treize mausolées classés à l’Unesco. Et puis, je crois, d’une dizaine d’autres mausolées qui avaient été vandalisés par les islamistes. Est-ce que vous avez veillé, justement, à ce que tout soit reconstruit à l’identique ?

Exactement. Et nous avons eu des surprises. Parce que, pour reconstruire, nous avons passé deux ans à nous documenter, à faire des relevés architecturaux, à faire des fouilles archéologiques… Et nous nous sommes rendu compte, justement, qu’avant même la sale besogne des islamistes, ces édifices avaient été détériorés dans leur forme primitive par les reconstructions qu’il y a eu. Parce que ce sont des mausolées pour lesquels, chaque année, il y a un crépissage annuel pour ces édifices et il n’y avait pas de cahier de prescription pour faire ces reconstructions auparavant. Donc nous avons tenu à ce que ces mausolées soient comme ils pourraient l’être il y a plusieurs siècles.

Sans être certain que ce soit authentique, puisque vous ne saviez évidemment pas exactement à quoi cela ressemblait il y a plusieurs siècles.

Oui, bien sûr. Nous ne savions pas exactement, mais nous avons fait des fouilles, nous avons interrogé les anciens… Et, bien entendu, nous avons essayé seulement d’imaginer ce que ces mausolées pouvaient être il y a plusieurs siècles.

À Notre-Dame, il y a un grand débat sur la charpente qui avait été construite avec du bois de chêne du XIIIe siècle. Elle ne sera sans doute pas reconstruite avec le même bois. Est-ce que, vous aussi, à Tombouctou, vous avez changé de matériaux ?

Oui, nous avons changé de matériaux, ne serait-ce que la qualité des matériaux qu’il y avait dans ces mausolées il y a très longtemps, qui n’existent plus aujourd’hui. Il y a des qualités de bois, il y a des espèces végétales qui ont disparu du fait de la déforestation et de la désertification. Donc nous avons dû, souvent, remplacer ces qualités de bois par de l’eucalyptus, qui est de moins bonne qualité.

Est-ce que vous avez, à Tombouctou et à Bamako, la même querelle des anciens et des modernes qu’à Paris ?

Non, parce que, ce que nous faisons c’est qu’on discute avec les communautés locales qui, traditionnellement, ont à charge la restauration. Et nous avons rencontré les anciens et avons pu rapidement trouver un terrain d’entente. Donc il n’y a pas du tout eu de querelle entre les anciens et les modernes.

C’est-à-dire que vous avez attendu que le consensus soit fait pour travailler ?

Oui, nous avons déblayé le terrain avec les experts de l’Unesco, avec des architectes maliens et français. Nous avons rencontré les maçons locaux, nous avons fait un stage pour les principaux acteurs à Grenoble et nous nous sommes rapidement mis d’accord sur un canevas de réhabilitation.

Un stage pour les principaux acteurs, vous avez dit ?

Oui, notamment les architectes maliens, français, les gestionnaires de sites. Nous faisons un stage à CRAterre. CRAterre, c’est le Centre sur l’architecture de terre, qui se trouve à Grenoble, pour ceux qui veulent réhabiliter l’architecture de terre.

À Grenoble, dans le sud-est de la France ?

Dans le sud-est de la France, oui.

Un milliard d’euros qui sont déjà promis par de riches mécènes pour reconstruire Notre-Dame de Paris, vous en pensez quoi ?

Oui, justement… Cela fait beaucoup jaser, ici. Les gens se sont posé des questions. Parce que, vous savez, pour reconstruire l’ensemble des édifices à Tombouctou – pas seulement de Tombouctou, mais du nord du Mali –, l’Unesco avait demandé 11 millions d’euros. Et sur les 11 millions d’euros, nous n’avons pas pu collecter que 4 millions d’euros, des fonds qui provenaient essentiellement de l’Union européenne et de la Suisse. Mais un milliard d’euros - en France -, on comprend aisément qu’il y a des mécènes, mais il y a aussi beaucoup de marketing pour des entreprises comme Total, LVMH ou autres, qui donnent leur argent aussi pour recevoir quelque chose. Ce que nous n’avons pas chez nous. Cela nous fait saliver. Avec un milliard d’euros, nous pourrions reconstruire, peut-être, une bonne partie du Mali - du nord du Mali – et en finir avec nos problèmes. C’est comme ça, Tombouctou n’est pas Notre-Dame et le Mali n’est pas la France.

Mais quelque part, c’est injuste pour vous, j’imagine, non ?

Oui. On pourrait penser cela. Mais, au regard des réalités de l’économie, de la finance internationale, de la géopolitique, nous comprenons aisément pourquoi cela s’est fait.

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