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Le grand invité Afrique

Ethiopian Airlines: «Tous les regards se tournent vers le constructeur»

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Depuis le crash aérien qui a fait 157 morts le 10 mars en Ethiopie, certains experts s'interrogent sur Ethiopian Airlines. Le Malien Cheikh Tidiane Camara, qui préside à Paris le cabinet de conseil Ectar, constate que la compagnie a grandi très (trop ?) vite. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

Des hommes transportent les boîtes noires du Boeing 737 MAX 8 d'Ethiopian Airlines au siège du BEA au Bourget, au nord de Paris, le 14 mars 2019.
Des hommes transportent les boîtes noires du Boeing 737 MAX 8 d'Ethiopian Airlines au siège du BEA au Bourget, au nord de Paris, le 14 mars 2019. REUTERS/Philippe Wojazer
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RFI : Pourquoi Ethiopian Airlines a-t-elle envoyé ses boîtes noires en France et pas ailleurs, pas aux Etats-Unis par exemple ?

Cheikh Tidiane Camara : Moi, je pense que la première raison est que le Bureau d’enquêtes et d’analyses français [BEA] est reconnu et a une compétence incontestable et incontestée. Accessoirement, sans mettre en cause l’impartialité des Américains, la France dans l’affaire peut paraître impartiale.

Justement, est-ce que les Américains ne peuvent pas soupçonner le Bureau français de mauvaises intentions à l’égard de Boeing pour favoriser le concurrent Airbus ?

Très honnêtement, je ne le crois pas. Le Bureau d’enquêtes français a fait ses preuves, est composé d’experts tout à fait compétents et indépendants. Et jusque-là, ils n’ont pas été pris à défaut. Et l’avion étant de fabrication américaine, les experts américains seront probablement sollicités.

Au niveau de l'Agence fédérale de l'aviation américaine (Federal aviation administration-FAA) ?

Absolument. Parce que c’est l’autorité de tutelle en la matière.

Alors quelles sont à vos yeux les hypothèses les plus plausibles pour expliquer la catastrophe du 10 mars ?

Je ne me hasarderais pas à donner une hypothèse, même si aujourd’hui, tous les regards se tournent vers le constructeur américain qui, semble-t-il, pour cette version-là [du Boeing 737] n’a pas, pour ce qui est des instruments informatiques, des logiciels qui se trouvent dans l’avion, peut-être pas pris toutes les précautions qui s’imposent. Tous les regards se portent vers l’avion.

Est-ce que tous les pilotes qui volent sur ce nouvel appareil 737 MAX ont bien été formés ?

En théorie, on devrait le supposer. Mais, vu les informations qui courent, cela n’a pas été le cas parce que, si c’est ce logiciel qui est en cause, visiblement les pilotes ou n’ont pas été formés, ou n’ont pas été suffisamment briefés sur les procédures à appliquer en cas de décrochage lié à ce pilote automatique quand il prend en charge l’avion. Il est évident que, même des pilotes formés, on les forme sur des simulateurs et quand on vit l’incident en réalité, les réactions peuvent être différentes de ce qu’en théorie on est supposé faire.

De façon générale, est-ce que les pilotes d’Ethiopian Airlines sont bien formés ?

Oui. On ne peut pas mettre en cause la formation des pilotes d’Ethiopian comme de toutes les autres compagnies africaines, de la grande majorité des compagnies africaines. Il n’y a pas de raison de douter. Ethiopian Airlines respecte tous les standards requis en la matière. Donc je ne suspecte pas la formation des pilotes et la compétence des pilotes d’Ethiopian, même si quand même je dois dire qu’à écouter tout ce qui se dit ces jours-ci, on a le sentiment que la compétence en la matière en Afrique se trouve chez Ethiopian. Ce que je veux dire là-dessus, il y a beaucoup de compagnies aériennes qui respectent les mêmes normes, qui ont les mêmes standards, qui sont toutes aussi compétentes qu’Ethiopian Airlines.

Vous pensez à Royal Air Maroc (RAM), à South African Airways ? Vous pensez à quelles compagnies ?

Je pense à toutes ces compagnies-là. Personne ne mettrait en cause les compétences sur la formation des pilotes de la RAM, de Tunis Air, d’Ethiopian Airlines, de South African ou de Kenya Airways.

Ou d’Air Mauritius ?

Ou d’Air Mauritius ou même d’Air Burkina. Et Air Burkina est la plus petite compagnie d’Afrique de l’Ouest, elle existe depuis maintenant… [1967- A l'origine dénommée Air Volta]. C’est la plus ancienne et elle n’a pas connu un seul incident, pas un seul accident. Et ses avions volent tous les jours. Les compagnies aériennes ont des autorités de tutelle qui veillent au respect des normes de sécurité dans l’exploitation. Et les aviations civiles africaines, dans leur très grande majorité, ont les compétences qu’il faut pour ce faire.

Alors Ethiopian Airlines a connu une croissance très rapide ces dernières années. Est-ce que c’est bon signe ?

On peut légitimement se poser cette question : est-ce qu’on peut croître de cette façon exponentielle, en si peu de temps, sans que cela ait des conséquences ? Moi, j’avoue que je suis un peu bluffé par la croissance d’Ethiopian. En dix ans, elle a multiplié son trafic passager par sept ou par huit, en dix ans ! Aujourd’hui, son trafic passager doit tourner autour de 10 millions. Ça devait être autour de 2 millions il y a dix ans. Au-delà de la croissance propre d’Ethiopian Airlines, est-ce qu’Ethiopian Airlines a suffisamment de compétences, de ressources humaines pour gérer, pour animer, pour encadrer tout ça ? Ce sont des questions qu’on peut se poser. A priori, oui, puisque ça se passe bien.

Mais peut-être a-t-elle eu les yeux plus grands que le ventre ?

Je ne dirais pas ça. Je dirais qu’elle a profité de circonstances   exceptionnellement favorables. Il faut dire qu’Ethiopian n’a en face presque pas de concurrents. Elle a profité d’un certain nombre de choses liées à la libéralisation de l’exploitation des droits de trafic, donc la décision de Yamoussoukro qui est entrée en vigueur en 2002, année où Air Afrique a disparu. Et toutes ces compagnies en Afrique de l’Ouest et du centre, toutes les compagnies qui étaient là, qui auraient pu être des concurrentes à Ethiopian Airlines ont disparu. C’est le cas d’Air Afrique, d’Air Zaïre, d’Air Gabon, de Camair, que ce soit en Afrique de l’Ouest et du Centre ; en Afrique de l’Est, il y avait Eastern Airways, qui a disparu et puis, des trois pays qui l’ont composée, il n’y a que Kenya Airways, qui a un réseau qu’on peut considérer comme relativement panafricain. Pour l’Afrique australe, il y a South African dont l’histoire n’a pas privilégié son expansion en Afrique. Elle a mis du temps à regarder de ce côté-là. L’instabilité presque chronique de son « top management » n’a pas facilité les choses. Or ces circonstances, combinées au fait que vous avez à Addis-Abeba le siège de l’Union africaine, de la CEA [Commission économique pour l’Afrique] avec toutes ses ambassades, ce sont des millions de passagers. Et ce marché est captif pour Ethiopian Airlines. Il a été totalement captif. Il l’est un peu moins aujourd’hui qu’il y a quelques années. Ethiopian bénéficie de la protection totale des autorités éthiopiennes. Donc toutes ces circonstances font qu’une telle croissance peut s’expliquer. Voilà ce que j’en pense. Est-ce que Ethiopian a eu les yeux plus grands que le ventre ? Pour l’instant, on ne peut pas le dire puisque cela se passe relativement bien.

Mais la croissance a été très rapide ?

A oui, plus que ça. Je ne sais pas s’il y a un équivalent dans le monde, mais j’avoue que c’est assez bluffant comme croissance. Et là, il faut que le reste suive.

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