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Le grand invité Afrique

Madagascar: «En ne jouant pas la transparence financière, les candidats méprisent les citoyens»

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Le 7 novembre prochain, à Madagascar, aura lieu le premier tour de l’élection présidentielle qui verra s’affronter 36 candidats. Ketakandriana Rafitoson est la directrice exécutive de Transparency International Initiative Madagascar. En tant que représentante de la société civile, elle dénonce la débauche de moyens des trois plus gros candidats, les promesses ubuesques lancées à la foule lors de meetings fastueux, l’absence de projet concret de société et le manque de transparence des fonds investis dans la campagne. Une « situation indécente » explique Ketakandriana Rafitoson, « pour les millions de Malgaches qui peinent à se nourrir au quotidien ». Elle répond aux questions de Sarah Tétaud.

Ketakandriana Rafitoson, politologue et directrice exécutive de l'organisation de lutte contre la corruption Transparency International Intitiative Madagascar.
Ketakandriana Rafitoson, politologue et directrice exécutive de l'organisation de lutte contre la corruption Transparency International Intitiative Madagascar. RFI/Sarah Tétaud
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RFI: Nous sommes à dix jours du premier jour du scrutin. Quel est votre ressenti sur la tournure que prend cette campagne ?

Ketakandriana Rafitoson: Beaucoup d’écœurement tout d’abord, par rapport à la débauche de moyens déployés par les plus grands candidats. On a l’impression qu’ils sont, en fait, quatre ou cinq à être dans la compétition et que les autres sont totalement dépassés et noyés dans la masse. Il n’y a pas de propositions concrètes en termes de projets de société ; c’est juste des gesticulations, du show. Par conséquent, c’est dangereux pour les électeurs.

Des gesticulations, du show mais surtout des promesses quasi irréelles lancées par certains candidats ?

Oui, tout à fait, comme par exemple la promesse faite par Andry Rajoelina de transformer Tamatave en le « Miami Malgache ». On ne sait pas ce que ça va apporter concrètement, en termes de développement et on n’a pas parlé de pêche ni de gestion du port, etc… C’est juste du visuel et, le plus dangereux, c’est que cela a l’air de séduire certains électeurs potentiels.

Et la vraie question c’est surtout, comment finance-t-on ces promesses faramineuses ?

Eh bien à cela, personne n’a donné la réponse.

Est-ce que cette élection se distingue des précédentes, d’une manière ou d’une autre, du moins cette campagne ?

Oui. Tout d’abord par le nombre de candidats. Nous n’avons jamais eu un nombre aussi important. Trente-six. Ensuite, par l’importance des moyens déployés par des grands candidats comme Andry Rajoelina, par exemple, qui se déplace constamment en hélicoptère d’une région à l’autre alors qu’on estime le coût de location d’un hélicoptère à 2 000 voire 3 000 euros par heure de vol. Sachant que si le candidat utilise son hélicoptère au moins quatre heures par jour, cela ferait déjà aux alentours de 12 000 euros de dépenses par jour. Donc, rien que pour l’hélicoptère et sachant qu’il en a sept, cela atteint déjà des sommes qui dépassent l’entendement du simple Malgache qui n’a rien à se mettre sous la dent.

On a l’impression que les débats de fond de cette campagne sont complètement occultés. Les citoyens peinent à connaitre les candidats et ignorent totalement le programme de chacun. Pourquoi tant de diversion ? Pourquoi tant de dispersion ?

Tout simplement parce qu’ils n’ont rien de solide à présenter, je pense. Ils ont pris l’habitude, lors des campagnes et des scrutins électoraux à Madagascar, de miser un peu plus sur la forme plutôt que sur le fond. Dans cette mesure, cette élection-ci n’échappe pas à cette règle qui est malheureuse.

En effet, aucun débat par exemple sur les stratégies de lutte contre la corruption, aucun débat sur le foncier ni sur la gestion des ressources naturelles. C’est à peine si cela a été effleuré lors de quelques rencontres entre les candidats.

La lutte contre la sécurité est aussi un sujet sur lequel la population attendait vraiment les candidats. Jusque-là, nous n’avons pas l’impression qu’ils aient vraiment touché le cœur du problème.

Cependant, il faut quand même remarquer que certains petits candidats ont pris la peine d’écrire un projet de société qui semble intéressant à bien des points, mais qui malheureusement est noyé sous cette cacophonie, on va dire, orchestrée par les grands candidats.

Concernant le financement de la campagne, l’opacité règne toujours. La récente commission chargée du contrôle des financements des comptes de campagne a avoué ne bénéficier d’aucun budget de fonctionnement, à dix jours de l’élection. De votre côté, le questionnaire que vous aviez envoyé aux candidats pour qu’ils indiquent leurs sources de financement et leurs budgets de précampagne et de campagne n’a, pour l’heure, été complété que par un seul candidat. Que faut-il y voir ?

Il faut y voir du mépris, tout d’abord du côté des candidats, pour ce qui est de cette question de transparence financière car en effet, l’exercice n’est pas compliqué. Il suffit de dévoiler les origines des noms des contributeurs et le montant de la contribution.

Par ailleurs, c’est aussi une intention délibérée d’entretenir le flou en disant « Ce ne sont pas vos affaires ». Or, le rôle de la Société civile c’est justement de poser les bonnes questions que les citoyens pourraient se poser mais qu'ils n’ont pas l’occasion de poser.

Différentes sources affirment que plusieurs puissances étrangères comme la Chine, la Russie, la France voire le Sénégal appuient financièrement certains candidats à coups de millions d’euros. Quelles sont vos informations là-dessus ?

Nous sommes vraiment inquiets par rapport à ces informations, justement, surtout au niveau de la contrepartie que de tels financements auraient sur le pays. Il est clair que ces contreparties étrangères ne vont pas juste financer le candidat pour ses beaux yeux. Ils vont, à coup sûr, réclamer quelque chose en échange et nous craignons que ce soit encore une affaire de trafic de ressources naturelles ou bien d’ouverture d’un marché parallèle qui va saigner le pays à blanc. C’est pour cela que nous demandons vraiment aujourd’hui à tous ceux qui pourraient avoir des preuves tangibles pour recouper ces informations, de nous les donner. Donc si vous avez quelque chose - que vous soyez journaliste ou employé d’une ambassade, etc - s’il vous plait, contactez-nous. Nous sommes vraiment preneurs de toute info là-dessus.

D’autres personnes affirment que les dés sont pipés, que l’élection est complètement instrumentalisée et jouée d’avance. Quelle est votre réaction ?

Il est vrai que le régime actuel ainsi que Andry Rajoelina ont déjà essayé de verrouiller cette élection, chacun à sa manière, depuis le début. Cependant, nous restons quand même optimistes parce que la clef se trouve entre les mains des électeurs.

Quoi que l’on dise et quoi qu’ils aient fait pour essayer de piper les dés justement, si chaque électeur votait vraiment en son âme et conscience, s’il ne se laissait pas obnubiler par le clinquant des meetings électoraux, on aurait quand même une petite chance de s’en sortir avec un résultat qui ne soit pas trop catastrophique.

J’aimerais quand même lancer un appel envers les potentiels électeurs en leur disant : il vous reste dix jours pour faire un choix éclairé. S’il vous plait, réfléchissez-y à deux fois. Il faut arrêter de mettre des gens qui sont pourris et qui sont corrompus, à la tête de l’Etat. Il faut trouver une troisième voie. Aujourd’hui, nous avons le choix, alors pensons-y pour le 7 novembre.

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