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Le grand invité Afrique

Zimbabwe: «Il y a beaucoup d'obstacles sur le chemin du projet d'Emmerson Mnangagwa»

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Qui gouverne au Zimbabwe ? La question se pose après la fusillade du 1er août, qui a fait six morts dans les rangs de l'opposition. Officiellement, après les élections du 30 juillet, Emmerson Mnangagwa préside aux destinées du Zimbabwe. Mais la réalité est plus complexe.Thierry Vircoulon est chercheur associé à l'Institut français des relations internationales, l'Ifri, et enseignant à Sciences Po Paris. Il rentre du Zimbabwe. Pour lui, c'est un tandem qui gouverne ce pays. Il s'en explique au micro de Christophe Boisbouvier.

Le président Emmerson Mnangagwa, à Harare, au Zimbabwe, le 3 août 2018.
Le président Emmerson Mnangagwa, à Harare, au Zimbabwe, le 3 août 2018. REUTERS/Philimon Bulawayo
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RFI: Avec la répression sanglante du 1er août, est-ce qu’on ne revient pas à la case départ ?

Thierry Vircoulon: On va voir si on revient à la case départ, mais ce qui est clair, c’est que la page que voulait tourner le président Emmerson Mnangagwa n’a pas été tournée, et que cette répression du 1er août, qui s’est étalée dans tous les médias internationaux, a été très préjudiciable à ce qu’il veut faire, à son projet politique.

« On a changé le chauffeur du bus, mais on n’a pas changé le bus », dit une habitante de Hararé…

Oui. C’est tout à fait cela. C’est normal d’ailleurs puisque [Robert] Mugabe est parti, mais il est parti parce qu’il a été « démissionné » par son parti, la Zanu-PF, et pas par l’opposition. En fait, le résultat des élections, qui ont été remportées par la Zanu-PF et Emmerson Mnangagwa contre le MDC [Mouvement pour la démocratie], s’inscrit dans la continuité de ce qui s’est passé en novembre 2017 lors de cette révolution de palais où c’est la Zanu-PF qui a mis fin à Robert Mugabe, et non pas le MDC.

Une victoire dès le premier tour avec 50,8% des suffrages exprimés. C’est crédible ?

La marge est en effet très étroite puisque c’est le 0,8 qui pose problème. On va voir ce que les différentes missions d’observation électorales disent sur le recomptage des voix, mais il est clair que ce passage au premier tour, à la limite si je puis dire à 50,8%, pose des questions. Mais même s’il est élu, Emmerson Mnangagwa avec ce score, qu’il soit sincère ou non, n’est pas bien élu.

L’opposition donne plusieurs exemples de fraude : des circonscriptions qui ont eu plus de votants que d’électeurs, et des procès-verbaux qui n’ont pas été signés…

Oui, c’est en effet le cas. Evidemment, il faut pouvoir comptabiliser ces exemples et voir ce qu’ils représentent en termes de voix. Ce sera évidemment le travail des différentes missions d’observation électorales qui sont encore au Zimbabwe en ce moment.

Le perdant, Nelson Chamisa, saisit la justice zimbabwéenne. Mais celle-ci est-elle indépendante ?

Non. Et d’ailleurs lui-même, lorsque j’étais à Hararé, a clairement dit qu’il ne fait absolument pas confiance dans les voies de recours légal. Il le fait parce qu’il faut évidemment le faire au plan politique. Mais il le fait sans illusion.

Donc les juges du Zimbabwe ne sont pas ceux du Kenya ?

Non. Il ne faut pas s’attendre à une surprise comme on l’avait eue au Kenya, surprise qui a été d’ailleurs assez éphémère.

Emmerson Mnangagwa affirme que ce n’est pas lui qui a envoyé la troupe dans le centre de la capitale le 1er août et que ce n’est pas lui non plus qui a envoyé la police au siège de la conférence de presse de l’opposition le 3 août. Est-ce que c’est crédible ?

Le message est un peu contradictoire parce que, quand j’étais à Hararé, sa première déclaration le soir du 1er août était pour justifier l’intervention militaire. On voit bien que ses messages sont parfois contradictoires et cela illustre le fait qu’en effet, il y a du flottement et qu’il doit rattraper des évènements qu’il n’a probablement pas voulus ou décidés lui-même.

En novembre 2017, c’est l’armée qui a renversé Robert Mugabe. Et la semaine dernière, c’est encore l’armée qui a tiré sur l’opposition. Peut-on dire qu’il y a un groupe de trois, quatre officiers qui gouvernent et qui donnent des ordres à Emmerson Mnangagwa lui-même ?

Je ne sais pas si cela fonctionne comme cela. Mais il est clair que, même avant le départ de Mugabe, l’armée jouait un rôle politique très important. C’est elle, comme vous le dites, qui a mis au pouvoir Emmerson Mnangagwa. Donc elle est le pouvoir derrière le pouvoir. Son chef d’état-major est devenu vice-président de la République. Et on considère qu’il y a en effet un tandem au sommet de l’Etat au Zimbabwe entre Emmerson Mnangagwa et [Constantino] Chiwenga, l’ex-chef d’état-major. Mais de toute façon ce qu’il faut bien voir, c’est que tous les officiers supérieurs de l’armée zimbabwéenne viennent tous du même moule, c’est-à-dire que ce sont tous des vétérans de la guerre d’indépendance. Et ils ont un intérêt commun au maintien de la Zanu-PF au pouvoir.

Peut-on parler d’une junte au pouvoir ?

Non. Parce que l’armée n’est pas officiellement au pouvoir. Mais elle est le pouvoir derrière le pouvoir. On pourrait plutôt dire qu’il y a un pouvoir militaire habillé avec des habits civils et derrière Emmerson Mnangagwa.

Du coup, le retour des investisseurs étrangers, est-ce que c’est compromis ?

En tout cas, c’est mal parti. Pas tant à cause des élections, évidemment qui ternissent l’image d’Emmerson Mnangagwa lui-même, mais je crois qu’au-delà de ça, il y a aussi des paramètres de pouvoir qui vont contrarier son projet qui est « Zimbabwe is open for business ». Le paramètre politique, c’est d’abord celui des barons de la Zanu-PF qui sont toujours là. Il faut qu’ils décident de partager l’économie zimbabwéenne avec des investisseurs étrangers. Pour le moment, ils ont une emprise considérable sur cette économie et en profitent largement. Donc si on veut que le Zimbabwe soit « open for business », il faut qu’ils acceptent de partager un certain nombre de leurs rentes avec des investisseurs étrangers. Donc il y a beaucoup d’obstacles sur le chemin du projet d’Emmerson Mnangagwa.

Donc le président officiellement élu risque d’être confronté à ses propres compagnons d’armes ?

Bien sûr. S’ils ne partagent pas sa vision, cela va être un peu difficile. On peut prendre un exemple qui est la question de la propriété des fermes. Lui, comme d’ailleurs Mugabe à une époque, a réaffirmé l’objectif d’interdire la propriété multiple des fermes, pour que les membres de la Zanu-PF n’aient qu’une seule ferme. Or il est de notoriété au Zimbabwe que les barons de la Zanu-PF possèdent plusieurs fermes. On va voir s’il arrive à les convaincre de limiter leurs propriétés foncières ou non.

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