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Le grand invité Afrique

Jean-Paul Kimonyo: «Le Rwanda n'a jamais cessé de faire partie de la francophonie»

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C’est maintenant officiel : la France soutient la candidature de la ministre rwandaise Louise Mushikiwabo à la tête de la Francophonie. Emmanuel Macron l’a annoncé hier en recevant son homologue rwandais Paul Kagame à l’Elysée. Est-ce à dire que Paris et Kigali se réconcilient et que les enfants rwandais vont à nouveau apprendre le français à l’école ? Le Rwandais Jean-Paul Kimonyo vient de publier chez Karthala, « Rwanda demain, une longue marche vers la transformation ». En ligne de Kigali, le chercheur et conseiller à la présidence rwandaise répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

Le président rwandais Paul Kagame lors de l'Assemblée mondiale de la santé à Genève, le 21 mai 2018.
Le président rwandais Paul Kagame lors de l'Assemblée mondiale de la santé à Genève, le 21 mai 2018. AFP/Fabrice Coffrini/ AFP
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La candidature de Louise Mushikiwabo à la tête de l’OIF. C’est une surprise pour vous ?

Jean-Paul Kimonyo : Par rapport à la Francophonie, un petit peu, mais bon. Il y a un processus de rapprochement de la Francophonie assez fort. C’est vrai que c’était un peu surprenant au premier abord, mais finalement c’était assez naturel.

Oui, mais depuis 9 ans, depuis qu’elle est ministre des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo est membre d’un gouvernement qui accuse la France de complicité dans le génocide de 1994...

D’abord, le Rwanda n’a jamais cessé de faire partie de la Francophonie, comme l’a bien rappelé le président Kagame hier. Le français a pris de plus en plus d’importance, a repris de l’importance au Rwanda. Et il faut pouvoir aussi différencier le fait de faire partie de la Francophonie et l’évolution des relations avec la France.

Est-ce le signe que pour le Rwanda, la page des très mauvaises relations avec la France est en train de se tourner ?

« Les très mauvaises », comme vous le dites, très certainement. Même si par exemple la France ne va pas nommer un ambassadeur directement au Rwanda. Mais c’est clair qu’il y un certain nombre de choses qui bougent sur plusieurs fronts. Un des fronts principaux, c’est la poursuite des génocidaires présumés Rwandais en France qui a commencé d’abord très tardivement, mais qui maintenant aujourd’hui prend une certaine vitesse de croisière. Et d’autre part, il y a quand même aussi des avancées par rapport à l’affaire de l’abattage de l’avion de Juvénal Habyarimana qui avait été l’objet d’une poursuite de la France depuis 1998, et qui maintenant touche à sa fin.

Depuis la présidence Obama, les relations entre Kigali et Washington se sont rafraichies. Est-ce aussi peut-être la raison du rapprochement entre Kigali et Paris ?

Non, je ne pense pas. Parce que le Rwanda a pour principe d’avoir plusieurs amis. Avant d’aller en France, le président Kagame était en Chine par exemple.

La relation quasi exclusive entre Kigali, Londres et Washington, c’est terminé ?

Oui, elle est terminée parce que cela date un petit peu d’une part, et d’autre part, même à l’époque on a toujours dit qu’il ne fonctionnera jamais dans une alliance particulière de façon générale.

En 2009, dans toutes les écoles primaires du Rwanda, le français a été remplacé par l’anglais. Que va-t-il en être aujourd’hui ?

Aujourd’hui, le français peut être une troisième langue. Parce que la première langue est quand même le kinyarwanda, la seconde langue est l’anglais. Tout simplement ce rapprochement pourra aussi apporter plus de ressources. Nous avons aussi besoin de ressources dans l’enseignement du français pour qu’on retrouve un français d’une certaine qualité. Maintenant revenir à la situation d’avant, ce serait difficilement envisageable. Il y a un coût d’opportunité, à savoir que l’anglais a déjà pris une certaine profondeur au Rwanda d’une part, et d’autre part, nous n’avons pas suffisamment de moyens pour mettre à égalité trois langues, de façon égale je veux dire.

Des enfants rwandais continueront à apprendre en priorité le kinyarwanda et l’anglais…

Je suppose, mais tout en leur offrant une option, s’ils le veulent, d’apprendre et d’approfondir le français s’ils ont ce courage-là.

La langue française qui était négligée ces dernières années dans les écoles rwandaises ?

Qui était passée au second plan, effectivement.

Quand Emmanuel Macron dit que la nouvelle coopération entre les deux pays va s’engager de manière pragmatique, sans rien effacer du passé. Qu’en pensez-vous ?

Je pense que c’est un petit peu dessiner des projets de coopération d’une part, mais d’autre part aussi, regarder de façon plus approfondie par rapport au passé turbulent entre la France et le Rwanda. Il ne nous a pas échappé que le président Macron a annoncé la formation d’un groupe d’historiens qui devrait plancher sur l’histoire du génocide des Tutsis.

Quand justement le président français dit qu’il veut placer le génocide des Tutsis au cœur de la mémoire française ?

Je pense que c’est une très bonne chose. Il serait tout à fait justifié que le génocide des Tutsis prenne une grande importance dans la mémoire française de façon générale.

Le président français a dit aussi que cette nouvelle coopération entre Paris et Kigali allait se construire sans le préalable d’une normalisation qui reste à faire. Est-ce à dire qu’il reste de la méfiance entre les deux pays ?

Je ne sais pas si c’est de la méfiance, mais certainement tous les problèmes ne sont pas complètement aplanis. Il y a un certain nombre d’irritants qui restent là. Il y a d’une part s’entendre sur le rôle de la France, un minimum de reconnaissance du rôle de la France dans le génocide. D’autre part, il y a aussi la clôture du dossier de l’abattage de l’avion de Juvénal Habyarimana. Deux éléments importants sur lesquels le Rwanda et la France veulent travailler. Mais il n’est pas dit que tout soit aplani. Je pense que c’est une façon pragmatique d’une part, mais d’autre part aussi, c’est peut-être une façon de montrer le sérieux des deux partis pour ce réchauffement des relations.

Vous demandez un minimum de reconnaissance de la part de la France de son rôle dans le génocide. Nicolas Sarkozy, lors de sa visite à Kigali, n’a-t-il pas parlé d’ « aveuglement de la part de la France ». N’est-ce pas cette reconnaissance que vous demandez ?

Si vous demandez à un Rwandais si c’est suffisant, il ne dira jamais que c’est suffisant.

Que répondez-vous à ceux qui disent que le Rwanda, où plusieurs figures de l’opposition sont en prison, est mal placé pour prendre la direction d’une organisation internationale qui veut défendre la démocratie ?

Je pense que ceux-là ont une appréhension un peu superficielle de la démocratie. Le Rwanda défend une démocratie qui répond d’abord avant tout aux besoins de la population, qu’elle soit en matière de développement, qu’en matière de leurs droits fondamentaux. Maintenant effectivement, la Constitution rwandaise qui découle directement de l’expérience du génocide est quelque peu restrictive par rapport aux dynamiques politiques. Le système constitutionnel rwandais ne s’arrête pas simplement à la neutralité du processus démocratique, et rentre aussi dans la substance de ces processus démocratiques-là en délimitant un certain nombre de positions politiques qu’ils considèrent comme inacceptables, notamment celles qui sont de nature sectaire. La question de démocratie par rapport aux Rwandais, il faut la voir beaucoup plus approfondie que simplement au niveau des processus formels.

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