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Le grand invité Afrique

Tunisie: «Il y a une forme d'hypocrisie à mettre des femmes têtes de liste aux municipales»

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Un peu plus de cinq millions d’électeurs sont appelés à voter, ce dimanche, en Tunisie pour les premières municipales depuis la Révolution de 2011. Une élection à un tour, reportée à quatre reprises, mais qui franchit un pas vers la décentralisation, inscrite dans la Constitution. Malgré tout, les observateurs s’attendent à une forte abstention, car de nombreux Tunisiens, confrontés au chômage et à l’inflation, semblent démobilisés. Kmar Bendana, professeure d’histoire à l’université de la Manouba, à Tunis, répond aux questions de Magali Lagrange.

Des gens passent devant les affiches pour les élections municipales à Tunis, en Tunisie, le 27 avril 2018.
Des gens passent devant les affiches pour les élections municipales à Tunis, en Tunisie, le 27 avril 2018. REUTERS/Zoubeir Souissi
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RFI: Les Tunisiens votent pour les premières municipales, depuis la Révolution. En sept ans, qu’est-ce qui a changé dans le paysage politique ?

Kmar Bendana: D’abord le fait que nous ayons des élections municipales. Nous espérons qu’elles soient un peu plus participatives qu’avant parce qu’il y a de nouvelles structures. Ce sont en effet des élections qui ne se passent tout de même pas sous le monitoring du ministère de l’Intérieur. En même temps, nous avons aussi une instance supérieure des élections qui a été drôlement secouée, depuis 2011. On en a changé le président deux fois et on a eu un nouveau président. Cela veut dire qu’il y a une sorte d’instabilité dans cette instance. On ne sait pas ce qui va en sortir.

Si on en vient aux candidats de ces municipales, il y a une parité qui a été instaurée, depuis 2014, par la nouvelle Constitution, une égalité entre le nombre d’hommes et le nombre de femmes sur les listes. Est-ce que le fait d’avoir des femmes têtes de liste change quelque chose pour le rôle des femmes en politique ?

Pour des élections municipales, je pense qu’on les met dans le four le plus difficile.

Pourquoi ?

Parce que je pense que ce sont des élections qui demandent une très grande présence sur le terrain et la présence sur le terrain est, politiquement, quelque chose de très dur. Nous n’avons pas tous les éléments, ni toutes les institutions et nous n’avons pas non plus toutes les lois qui peuvent faire fonctionner les institutions locales. Par conséquent, mettre les femmes en tête de listes pour les municipales, certes, on lâche du lest mais pour des postes extrêmement ingrats pour elles. Il y a une forme d’hypocrisie à faire que les femmes soient en tête de liste dans les municipales alors qu’elles sont quand même encore brimées, au niveau de la politique en général.

La jeunesse était moteur de la Révolution, il y a sept ans. Sept ans après, qu’est-ce qu’il en reste, puisqu’il y a là aussi un quota de trois jeunes par liste ? Est-ce que les jeunes restent mobilisés, sept ans après ?

Il y en a un peu plus et cela fait assez plaisir de voir qu’il y a des jeunes qui sont dans ces listes-là. Autant pour les femmes, je trouve que c’est une hypocrisie, autant pour la jeunesse, je pense que c’est une porte qu’elle peut exploiter.

Est-ce que ces jeunes renouvellent ou ont déjà renouvelé le paysage politique ou bien est-il encore dominé ?

Hélas, non. Le paysage politique est encore dominé par les vieux et par les hommes. Encore une fois, je pense qu’il y a quand même beaucoup d’hypocrisie. Par exemple, il n’y a aucun Noir ou presque pas de Noirs dans les listes. Je pense qu’il y a un travail d’affichage, du point de vue du législateur tunisien, pour une certaine image de la démocratie tunisienne, mais pas pour d’autres.

Le fait que des femmes non voilées soient sur des listes Ennahdha, pour vous, c’est de l’affichage ?

Je ne suis pas complètement crédule, vous savez ? Même quand on a vécu en dictature, on n’est pas vraiment imbécile. Il y a aussi du marketing dans les élections, je ne suis pas dupe.

Il y a des jeunes, il y a des femmes. On a l’impression qu’il y a un certain renouvellement, en tout cas. Pourtant, les policiers et les militaires qui avaient, pour la première fois, l’opportunité de voter étaient très peu nombreux à se rendre aux urnes la semaine dernière ?

C’est la méfiance des policiers et des militaires envers le système. Je pense qu’ils sont bien placés pour voir que le système bouge moins qu’on ne le dit. Peut-être qu’ils n’ont pas confiance. Les policiers et les militaires, c’est la société tunisienne aussi. Ils ne sont pas en dehors. Je pense que ce sont des gens qui disent beaucoup de choses sur la société tunisienne et, comme ils sont un peu dans les coulisses, peut-être qu’ils voient des choses auxquelles ils ne croient pas, non plus. S’ils ne se sont pas déplacés et qu’ils n’ont pas voté, c’est qu’il y a peut-être aussi chez eux, une crise de foi. C’est cela, le problème en Tunisie. Il y a une crise de foi, quand même.

Il y a des candidats de l’ancien régime à ces municipales. Est-ce qu’ils ont des chances de l’emporter, dans certaines municipalités ?

Ce qui est intéressant, c’est qu’ils sont là mais ils ne sont pas seuls. Pour moi, le résultat le plus significatif va être une lecture un peu indiciaire des résultats. Ce qui m’intéresse, c’est de voir jusqu’à quel point les candidats de ces listes mélangées vont être enrôlés dans les nouvelles équipes.

Qu’attendent les Tunisiens de ces élections municipales ?

Je ne sais pas. Je peux vous parler de moi, de ce que j’attends car je trouve que le pays va mal, qu’il y a justement une sorte de désintérêt de la politique et qu’il y a un manque de confiance envers les politiques. J’observe aussi, autour de moi, que les gens n’y croient plus.

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