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Le grand invité Afrique

Rami El Obeidi (Libye): «Je trouve M. Takieddine plus crédible que M. Sarkozy»

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Nicolas Sarkozy a été mis en examen pour recel de fonds publics libyens pendant sa campagne électorale de 2007. La décision du juge français est tombée mercredi soir. Première réaction, ce jeudi matin d'un chef espion libyen. En 2011, juste après la chute du colonel Kadhafi, Rami El Obeidi a dirigé les services de renseignement extérieur du nouveau régime libyen, le CNT, le Conseil national de transition. Croit-il à la culpabilité de l'ancien président français ? En ligne de Benghazi, cet homme politique libyen répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

Le leader libyen Mouammar Kadhafi et le président Nicolas Sarkozy, à l'Elysée, le 10 décembre 2007.
Le leader libyen Mouammar Kadhafi et le président Nicolas Sarkozy, à l'Elysée, le 10 décembre 2007. (Photo : Reuters)
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Rfi : Rami El Obeidi, en France, la justice soupçonne Nicolas Sarkozy d’avoir fait financer sa campagne de 2007 par Mouammar Kadhafi. Qu’est-ce qu’on en pense en Libye ?

Rami El Obeidi : L’affaire est très, très loin de nous, et, pour le peuple libyen, l’affaire de Sarkozy, qu’il soit en garde à vue, qu’il soit déclaré innocent, qu’il soit déclaré coupable, n’est pas une priorité en Libye. C’est malheureux, mais on est en pleine guerre civile et il y a un esprit de survie économique.

En mai 2012, cinq ans après les faits supposés, le site Mediapart a publié un document libyen, dans lequel le ministre Moussa Koussa demande le versement de 50 millions d’euros au candidat Sarkozy. Celui-ci s’est alors écrié : « C’est un faux ! ». Qu’est-ce que vous en pensez ?

Je crois que c’est un faux aussi. Je ne doute pas pour le financement. Mais je crois que le document est aussi un faux. Il n’y a pas ce genre de documents entre les services. Ce n’est pas parce que je défends Monsieur Sarkozy, mais j’ai toujours trouvé ce document pas compatible aux normes de Moussa Koussa dans ce temps-là et aux normes des communications avec le bureau de Kadhafi.

« Je crois beaucoup plus Monsieur Takieddine que Monsieur Sarkozy »
 

Moussa Koussa pouvait signer des documents, mais pas de cette façon-là ?

La lettre n’était pas écrite dans le style des services de renseignements extérieurs libyens. Donc, je doute que ce document-là soit un vrai. Je crois qu’il est falsifié.

Quel est le style, justement, des services de renseignements extérieurs libyens ?

Les phrases, l’écriture, les normes, la façon dont le sujet est annoncé… C’est complètement différent. Je peux vous montrer des archives. Ce n’est pas du tout ça.

En novembre 2016, l’intermédiaire franco-libanais Ziad Takieddine a affirmé avoir transporté 5 millions d’euros de Tripoli à Paris, lors de trois voyages entre la fin 2006 et le début 2007. Est-ce que ce témoignage vous paraît crédible ?

Oui, absolument. Je ne connais pas ce monsieur, mais j’ai vu ses interviews. Il est aussi compatible avec le mode opératoire des services de renseignements libyens et la façon dont l’argent aurait pu être transporté. Donc, je crois beaucoup plus Monsieur Takieddine que Monsieur Sarkozy.

Bien que Ziad Takieddine ait souvent varié dans ses versions...

Oui, c’est un homme d’affaires, il doit se protéger. Je peux le comprendre. Peut-être qu’il y a des exagérations dans d’autres propos qu’il tient, mais je le trouve plus crédible, dans cette histoire de transport de fonds de la Libye à Paris, que les propos de Monsieur Sarkozy.

Il y a deux mois, l’enquête a connu un rebondissement important avec l’arrestation à Londres d’un autre intermédiaire, l’homme d’affaires Alexandre Djouhri. Est-ce qu’il peut avoir apporté de nouveaux éléments à la justice ?

Tout est possible. Moi-même, je ne connais pas ce monsieur et j’ai vu de lui ce qu’on lit dans la presse.

Nouveau rebondissement: il y a un mois en Afrique du Sud, Béchir Saleh, l’ex-argentier du colonel Kadhafi a été  blessé par balle. Est-ce que cette agression peut être liée à l’affaire Sarkozy ?

Je ne crois pas. L’agression était liée au fonds souverain libyen et l’argent qui est détenu en Afrique du Sud. L’homme garde énormément de secrets. Mais je ne crois pas, jusqu’à maintenant, que c’est lié. Mais c’est lié beaucoup plus à, peut-être, une intimidation pour lui faire signer des documents, parce qu’il y a plusieurs milliards de dollars, de l’argent du peuple libyen, qui est en Afrique du Sud et qui est bloqué.

« Saleh avait l’oreille de Mouammar Kadhafi »

Depuis plusieurs années, Béchir Saleh, le grand argentier du colonel, affirme qu’il n’est au courant d’aucun versement entre Tripoli et Paris à l’époque...

Qu’il dise qu’il n’est au courant de rien, j’ai du mal à croire cela. Il avait énormément de pouvoir. C’était quelqu’un qui pouvait voir Kadhafi, qui avait l’oreille de Mouammar Kadhafi.

Contre Nicolas Sarkozy, il y a un témoignage important. C’est celui de Saïf al-Islam, le fils du colonel, qui a affirmé en mars 2011 que Nicolas Sarkozy devait rendre l’argent que la Libye lui avait donné quatre ans plus tôt. Le problème, c’est que les affirmations du fils du Guide n’ont jamais été suivies de preuves...

Est-ce que Mouammar Kadhafi lui-même a donné des preuves ? On parle de la crédibilité d’un chef d’Etat.

Justement, non, Rami El Obeidi. Entre le début de la guerre de Libye en mars 2011 et l’assassinat du colonel en octobre 2011, il se passe sept mois. Et pourquoi le numéro un libyen ne profite pas de ces sept mois pour livrer ses preuves ?

Parce que c’était un jeu d’échecs. Je crois que Kadhafi utilisait toujours un jeu d’échecs, en plaçant ses cartes au moment qu’il croyait avantageux. Et puis les événements se sont accélérés.

Oui, mais ce que disent les avocats de Nicolas Sarkozy, c’est que Mouammar Kadhafi et son fils Saïf al-Islam n’ont pas apporté de preuves parce qu’il n’y en a pas. Parce que tout cela est du mensonge...

Eh bien écoutez, l’homme doit se défendre. Et il a bien placé le Conseil national de transition au pouvoir à Tripoli. Il est très possible que le CNT, qui était dirigé par Mustafa Abdul-Jalil ait détruit ces mêmes preuves.

Oui, c’est-à-dire que votre hypothèse, c’est après l’arrivée au pouvoir des révolutionnaires du CNT, avec Mustafa Abdul-Jalil et vous-même, que les documents compromettants pour Nicolas Sarkozy ont été détruits ?

Je n’en doute pas. J’en suis sûr même. Je suis sûr que c’était une des priorités. Non seulement pour Monsieur Sarkozy, mais probablement pour beaucoup d’autres Etats, détruire des preuves et énormément d’autres choses.

Visiblement, ces derniers mois, les juges français ont trouvé de nouveaux éléments à charge contre Nicolas Sarkozy. Est-ce qu’il y a parmi les grands prisonniers de Tripoli – on pense à l’ancien chef espion Abdallah al-Senoussi, l’ancien Premier ministre Baghdadi Ali al-Mahmoudi ou d’autres – est-ce qu’il y a quelqu’un qui peut avoir parlé aux juges français ?

J’en doute. Monsieur Senoussi aurait eu la chance de parler aux juges, il aurait aussi parlé d’autres affaires et donné d’autres informations, ce qui serait embarrassant pour l’actuel Premier ministre Fayez el-Sarraj ou pour Abderrahmane Souihli [le président du Haut Conseil d’Etat libyen]. Il veut s’assurer de ne pas être en situation précaire avec la France.

Vous parlez d’Abdallah al-Senoussi?

Oui.

Est-ce que vous avez eu connaissance d’un déplacement de magistrat français en Libye ces derniers mois ?

Non, pas du tout.

Et si un magistrat français était venu, vous le sauriez ?

Non. Non plus.

Donc, un magistrat peut être venu discrètement à Tripoli ?

Pourquoi Tripoli ? Pourquoi pas Misrata, par exemple ? C’est le siège du pouvoir de l’ouest de la Libye. Toutes les archives des services de renseignements du camp de Kadhafi ont été transportées à Misrata en 2011. Les archives qui existaient dans les renseignements extérieurs libyens, dans les renseignements militaires et dans les renseignements intérieurs et tous les organes de renseignements ont été transportées de Tripoli à Misrata. Même les archives des centres d’écoute libyens ont été transportées à Misrata. Donc c’est pour cela aussi que d’autres enregistrements entre Kadhafi et d’autres chefs d’Etat sont sortis sur les réseaux d’Internet, comme YouTube, par exemple les conversations entre Kadhafi et l’ex-Émir du Qatar qui parlaient de l’Arabie Saoudite, etc.

Mais comment savez-vous que cet enregistrement a été mis sur YouTube par les gens de Misrata ?

On le savait de l’intérieur. On avait des sources à Misrata qui nous l’ont dit. On avait des sources d’information. En 2011 ou en 21012, le pays n’était pas divisé, donc on avait toujours des canaux de communication [entre l’est et l’ouest de la Libye].

Mais concrètement, Rami El Obeidi, de grands suspects comme Abdallah al-Senoussi, l’ancien chef espion, et Baghdadi Ali al-Mahmoudi, l’ancien Premier ministre, ils ne sont pas à Misrata. Ils sont à Tripoli...

Oui, mais ils sont contrôlés par des miliciens de Misrata.

Basés à Tripoli ?

Oui, bien sûr. Ils peuvent être très facilement transportés à Misrata, très discrètement. C’est facile. Il faut parler aussi à Monsieur Moftah Missouri. L’ancien interprète de Kadhafi, Monsieur Moftah Missouri, est en France, à ce que je sache. Il faisait toutes les interprétations en langue française pour Mouammar Kadhafi, ce qui inclut toutes ses rencontres avec Nicolas Sarkozy, qu’il soit ministre de l’Intérieur dans le temps ou président de la République.

Et lui aussi peut avoir parlé au juge ?

Il est très possible, parce qu’il détenait des documents très importants. Il aurait été un témoin clé.

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