Accéder au contenu principal
Le grand invité Afrique

Attaques à Ouagadougou: «Les autorités dans un étau sécuritaire et social»

Publié le :

Ouagadougou a été frappée vendredi 2 mars par deux attaques simultanées qui ont visé l'état-major général des forces armées du Burkina Faso et l'ambassade de France. Depuis 2015, le Burkina Faso est la cible d'attaques jihadistes, qui ont déjà frappé sa capitale sans jamais toutefois atteindre un tel niveau d'organisation. Entretien avec Rinaldo Depagne, spécialiste de l’Afrique du l’Ouest pour l'International Crisis Group.

De la fumée s'échappe d'un des lieux des attaques menés à Ouagadougou, le 2 mars 2018.
De la fumée s'échappe d'un des lieux des attaques menés à Ouagadougou, le 2 mars 2018. REUTERS/Anne Mimault
Publicité

RFI : Le Burkina Faso a été la cible d’une double attaque, vendredi, dans la capitale, Ouagadougou. Tout d’abord, cette attaque a-t-elle été une surprise ?

Rinaldo Depagne: Non, ce n’est pas une surprise, dans la mesure où cela montre une fois de plus les difficultés de la reconstruction de l’appareil de sécurité burkinabè après le départ de Blaise Compaoré en octobre 2014, et particulièrement le système de renseignement et d’intelligence. Sachant que ce système reposait sur les épaules d’un homme, Gilbert Diendéré, chef d’état-major particulier de Blaise Compaoré. Une fois que cet homme est parti, il n’y avait plus de structure, il n’y avait pas d’institution.

Cependant, il y a maintenant une difficulté des autorités burkinabè à détecter des actions qui sont, on le voit, de plus en plus audacieuses. Pour rappel, celle d’août 2017 avait touché un café sur la principale avenue de la capitale, l’avenue Kwame N'krumah, avec deux personnes qui ont tiré sur la foule. Vendredi, on est passé à une étape supérieure. Nous avons deux commandos et l’état-major, hautement symbolique, qui est attaqué ainsi que l’ambassade de France qui est le partenaire principal du Burkina, en matière de développement et en matière militaire. Par conséquent, c’est une attaque retentissante.

Voulez-vous dire que le départ de l’ex-président Compaoré il y a quatre ans a laissé un vide d’un point de vue sécuritaire ?

Il a laissé un vide dans l’appareil sécuritaire dans la mesure où l’unité spéciale qui était à son service, le régiment de sécurité présidentielle, a été démantelée et est aujourd’hui peu à peu remplacée par d’autres unités.

Il est aussi clair que Blaise Compaoré évoluait dans un monde qui était un peu différent de celui d’aujourd’hui. Il avait affaire à des groupes actifs, en particulier dans le nord du Mali, qui n’étaient pas encore aussi bien constitués qu’aujourd’hui. A l’époque, on avait des katibas avec des fanatiques. Aujourd’hui, nous avons des groupes beaucoup plus larges, avec des relations et des réseaux internationaux certainement beaucoup plus construits.

Blaise Compaoré trouvait des arrangements avec ces groupes qui, aujourd’hui, ne sont certainement plus désireux d’avoir ces arrangements avec le nouveau régime.

Tout cela fait donc que le Burkina Faso est devenu un peu le « ventre mou » de la région, alors qu’avant, il était le pays le plus protégé des attaques armées. Je rappelle que jusqu’en 2014, il y a eu très peu ou même pas du tout d’enlèvements, ni d’attaques terroristes à Ouagadougou.

Donc, une situation sécuritaire qui s’est détériorée. Quelle est, selon vous, la part de responsabilité des nouvelles autorités dans cette dégradation ?

Les nouvelles autorités sont face à une équation très dure à résoudre et elles sont piégées par un cercle vicieux. En effet, plus la demande sécuritaire augmente, moins ils peuvent se concentrer, à la fois financièrement et même intellectuellement sur la demande sociale.

Or, cette demande sociale a émergé après le départ de Blaise Compaoré, avec des attentes de la population pour un mieux-être et le gouvernement burkinabè actuel se retrouve donc un peu coincé, en ayant à gérer un dossier sécuritaire. On l’a vu à Ouagadougou mais aussi, plus quotidiennement, dans le nord frontalier du Mali. Dans la province du Soum, il y a eu depuis 2015 plus de 80 attaques. Le gouvernement se retrouve donc à la fois avec ce dossier-là et un dossier de demande sociale et il est pris en fait dans cet étau-là.

Certains évoquent la responsabilité de l’ex-président Compaoré qui, selon eux, tire les ficelles depuis son exil. Quel est votre avis là-dessus ?

Ce sont des hypothèses. Il n’y a pas eu de revendications. Pour rappel, dans l’attentat d’août 2017, il y a eu aussi beaucoup d’hypothèses. C’est toujours très difficile à vérifier et à documenter ce genre d’accusations, même si certains membres du cercle de Blaise Compaoré à l’époque entretenaient des relations très amicales avec des membres de groupes qui étaient déjà considérés comme terroristes. Ces relations leur servaient par exemple pour la libération d’otages occidentaux ou étrangers, dans la zone sahélo-saharienne.

Tout à l’heure vous parliez de « ventre mou ». Le Burkina Faso est-il aujourd’hui le point faible de la région, d’un point de vue sécuritaire ?

Tous les points sont assez faibles. Quand on voit le déroulement des choses au Mali depuis le mois de janvier, à savoir une impressionnante augmentation de la violence dans le nord et dans le centre du pays, quand on voit également les problèmes que connaît le Niger à sa frontière malienne, dans la région de Tillabéri, tous ces pays sont faibles.

Le Burkina a cette particularité d’être plus petit que les autres et d’avoir été pendant des années protégé de tout cela. Cependant, il apparaît aujourd’hui comme étant effectivement le point le plus faible, sans doute aussi parce qu’on se souvient que c’était un pays stable – plus stable, à l’époque, que le Mali le Niger –, mais aussi parce qu’il est victime d’attentats beaucoup plus spectaculaires commis dans sa capitale avec des bilans très graves.

Par conséquent, il y a effectivement aussi un effet de sidération qui est peut-être aussi cherché d’ailleurs par ces groupes.

Il y a en tout cas une hypothèse, c’est que la France et les Forces armées maliennes sont actuellement dans une logique très militariste, au nord et au centre du Mali. Elles ont entamé des opérations visant à réduire considérablement la force du groupe armé et la réponse de ces groupes armés est de porter le fer à Ouagadougou, à l’ambassade de France et à l’état-major, dans un pays qui est déjà un membre de la force du G5 aussi. Donc ces deux cibles ne sont pas très innocentes. C’est une fois encore une hypothèse.

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Voir les autres épisodes
Page non trouvée

Le contenu auquel vous tentez d'accéder n'existe pas ou n'est plus disponible.