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Le grand invité Afrique

Gilles Yabi: au Liberia, «c'est une situation inhabituelle»

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Au Liberia, il n'y aura pas de second tour de la présidentielle avant la fin de ce mois, voire le mois prochain. Ainsi en ont décidé les juges de la Cour suprême, qui demandent à la Commission électorale de repeigner les résultats du premier tour. Est-ce un mauvais coup pour le favori, George Weah ? Le chercheur béninois Gilles Yabi est le fondateur de Wathi, le think tank citoyen de l'Afrique de l'ouest. Il vient justement de publier un dossier très documenté sur le Liberia. En ligne de Dakar, il répond aux questions de RFI.

Gilles Yabi.
Gilles Yabi. © Erick-Christian Ahounou
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RFI : Au Liberia, la présidentielle  a été suspendue par la Cour suprême. Est-ce que c’est une mauvaise nouvelle pour le candidat George Weah ?

Gilles Yabi : Il est certain qu’il était en tête de ces élections du premier tour, donc en position de force pour le second tour. C’est sans doute une moins bonne nouvelle pour George Weah que pour son adversaire, le vice-président sortant Joseph Boakai. C’est évidemment une bonne nouvelle pour celui qui a porté le recours auprès de la Cour suprême, le candidat arrivé en troisième position, Charles Brumskine.

L’origine de cette décision de la Cour suprême, il y a en effet cette plainte de Charles Brumskine, candidat du parti de la Liberté, qui a dénoncé « des fraudes systématiques et à grande échelle ». Est-ce que c’est crédible ?

Il y avait des difficultés dès l’enregistrement des électeurs et il y a eu des critiques assez fortes de la Commission électorale avant même la tenue des élections. On ne peut pas exclure qu’il y ait eu des irrégularités.

Mais pourtant en 2005 et en 2011, les élections s'étaient plutôt bien passées ?

Il est toujours difficile lorsqu’on parle d’élection de dire « cela s’est bien passé ». Tout est dans le standard qu’on essaie de se donner et, en tout cas, auquel on veut aspirer en matière de crédibilité du processus électoral. Je crois qu’en 2005 et en 2011, il y avait déjà eu des protestations. D’ailleurs en 2011, le duo de Winston Tubman et de George Weah, qui était alors candidat à la vice-présidence, avait finalement boycotté le second tour et avait eu un résultat de 9%, précisément parce qu’il avait finalement appelé au boycott.

Est-ce qu’il y a un « effet Kenya » ? Est-ce que la Cour suprême de Monrovia s’est inspirée de celle de Nairobi il y a deux mois ?

Il y a effectivement sans doute une décision au Kenya qui va avoir des répercussions, au moins psychologiques, sur les juges de cours suprêmes ou de cours constitutionnelles appelés à se prononcer sur des recours. C’est une attitude qui me semble raisonnable. Lorsqu’on a un processus de recours, je crois qu’il est raisonnable, pour la crédibilité du processus, que les plaintes qui ont été adressées soient examinées et qu’il y ait une transparence. La décision qui sera prise doit être comprise par les populations. C'est la condition de la stabilité du Liberia dans une période électorale.

D’habitude, c’est l’opposition qui crie à la fraude contre le parti au pouvoir. Mais là, il s'agit notamment le parti au pouvoir de Joseph Boakai qui crie à la fraude contre le parti d’opposition de George Weah. Est-ce une première dans l’histoire ?

C’est une situation pour le moins inhabituelle, effectivement, que ce soit le parti au pouvoir, associé au parti du candidat arrivé troisième, qui ait porté le recours devant les juges. C’est effectivement assez inhabituel. Cela montre bien au fond la complexité politique de la situation, puisque le candidat du parti au pouvoir, le vice-président Boakai, ne semble pas être vraiment soutenu par la présidente sortante, Ellen Johnson Sirleaf.

Peut-on alors parler d’une alliance secrète et contre-nature entre Ellen Johnson Sirleaf et George Weah ?

Ce serait aller très loin, en l’absence de preuves d’une telle entente. Il est vrai que la présidente Ellen Johnson Sirleaf n’a pas montré beaucoup d’engouements et ne s’est pas investie personnellement dans la campagne du vice-président Joseph Boakai. Ce n’est pas si surprenant dans le contexte politique et institutionnel du Liberia. Au fond, on choisit le vice-président souvent parce qu’il peut apporter des voix. Ce n’est pas forcément parce qu’on a une proximité très forte. On peut aussi penser qu’Ellen Johnson Sirleaf a peut-être également fait des calculs par rapport à l’avenir, et que George Weah apparaissait comme le candidat ayant le plus de chance de l’emporter cette fois-ci.

On sait que la société est très divisée au Liberia entre les descendants de ceux qui sont revenus des Etats-Unis et les autres. Qu’en est-il entre George Weah et Ellen Johnson Sirleaf ?

C’est aussi une des lignes de fractures de la société libérienne qui se retrouve au niveau politique. C’est-à-dire qu’on considère Ellen Johnson Sirleaf comme étant, en partie en tout cas, américano-libérienne, et donc de cette élite qui est très proche des Etats-Unis, qui vit plutôt dans des conditions économiques et sociales bien meilleures que celles de la majorité des populations dites autochtones. Et George Weah a lui l’avantage d’être du côté des populations dites autochtones, et donc d’avoir un ancrage plus important auprès des classes populaires. Cette ligne de fracture de la société libérienne n’a pas vraiment été fermée par les douze années de la présidence d’ Ellen Johnson Sirleaf.

Quand l’opposant Charles Brumskine dit redouter un retour de la guerre civile des années 1990, est-ce qu’il n’exagère pas tout de même ?

Oui. Je crois qu’aujourd’hui, il y a sans doute une exagération. Il y a de bonnes raisons de croire que la société libérienne a été tellement marquée par la guerre civile qu’elle n’est pas prête à retourner dans ce schéma-là. Mais je crois qu’il faut aussi être très prudent. On ne peut pas exclure par exemple des violences si on à nouveau l’impression que le processus électoral n’est pas crédible. Il ne faut pas oublier qu’en 2005 et en 2011, il y avait de fortes contestations. Je crois que, pour George Weah par exemple, si le processus actuel, de manière non-transparente, aboutissait à nouveau à une défaite au second tour, il pourrait y avoir des réactions violentes. Quel que soit le gagnant, ce qui est vraiment important, c’est la crédibilité du processus. Cela renvoie aussi à la situation au Kenya.

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