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Le grand invité Afrique

Chloé Josse-Durand: au Kenya, «Odinga contestait déjà la commission électorale»

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La commission électorale a promis d’annoncer ce vendredi à la mi-journée les résultats définitifs de la présidentielle. Pourtant les résultats provisoires publiés sur le site de l’instance électorale donnent d’ores et déjà 54,25 % des suffrages à M. Kenyatta, contre 44,86 % à M. Odinga, sur un total de 15 millions de votes comptabilisés dans près de 99 % des bureaux de vote. Des résultats contestés jeudi soir par l’opposition pour qui la commission électorale doit déclarer son candidat Raila Odinga «vainqueur». Dans ce climat d’attente et de tension, Chloé Josse-Durand, chercheuse à l’Institut français de recherche en Afrique (Nairobi), revient sur les enjeux de cette élection.

Chloé Josse-Durand, chercheuse à l'Institut français de recherche en Afrique.
Chloé Josse-Durand, chercheuse à l'Institut français de recherche en Afrique. IFRA
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RFI : Le comptage est presque terminé et il donne une avance de près d’1,5 million de voix au président sortant. Le candidat de l’opposition, Raila Odinga, conteste ouvertement ces résultats et se dit vainqueur de l’élection. C’est la stratégie de la dernière chance, selon vous ?

Chloé Josse-Durand : Il faut savoir que Raila Odinga est un personnage de l’opposition historique au Kenya. Son père étant lui-même un des premiers opposants au président Jomo Kenyatta, qui a permis l’indépendance du Kenya.

C’est la quatrième fois qu’il se présente à la présidentielle, la quatrième et la dernière puisque c’est la fin de sa carrière politique. Il a aujourd’hui 72 ans. Et pour lui, cette victoire est très importante, notamment en raison des élections de 2007 où, justement, les résultats du vote étaient en sa faveur, auraient été truqués, et il a été relégué au poste de Premier ministre.

On parle ici d’une frustration de plusieurs décennies de carrière politique qui n’aboutissent pas à le voir être couronné président du Kenya.

Mais se déclarer vainqueur, alors même que la Commission électorale est en train de compter les votes et que les observateurs internationaux ont parlé d’un scrutin qui s’est globalement bien déroulé. N'est-ce pas une stratégie un peu risquée ?

Si on revient sur l’actualité politique du Kenya de ces derniers mois, Raila Odinga conteste les résultats déjà depuis quatre ou cinq mois, en décrédibilisant la Commission électorale, en accusant le système technologique utilisé, les tablettes qui servent à identifier les électeurs, qu’il dénonce comme faillible.

Donc c’est une stratégie de long terme et ce n’est pas du tout surprenant qu’aujourd’hui encore, vu l’écart annoncé au moment de l’annonce des résultats - provisoires certes, mais presque définitifs -, qu'il reprenne cette position ferme qu’il avait déjà annoncé depuis quelques mois.

Comment s’explique cette défiance vis-à-vis de la Commission électorale et sa capacité à rester neutres ?

Du fait que les élections étaient truquées en 2007 fait planer un climat de défiance quant-au processus électoral en lui-même. La Commission, en 2013, a également connus quelques failles dans son système en termes de transmission des résultats, des téléphones portables étaient utilisés, des résultats transmis par SMS en 2013 se sont avérés faux, mais ont quand même été entrés dans la base de données.

Donc, cette année, la Commission électorale pour redorer l’image qu’elle avait auprès des Kényans a vraiment mis en place un système plus sophistiqué, plus sécurisé, qui utilisent différents réseaux internet. Un système beaucoup plus élaboré.

Il n’empêche qu’un certain nombre de fausses informations circulent sur les réseaux sociaux qui viennent en permanence décrédibiliser la Commission électorale. Et l’opposition a déposé plus de 18 recours en justice sur les six derniers mois. Du coup, la crédibilité de la Commission électorale est en partie endommagée.

Comment s’explique selon vous cette soudaine montée de tensions depuis hier avec ces accusations de fraudes de l’opposition et les premières violences ?

Ces tensions sont latentes et elles montent aujourd’hui mais elles sont là depuis plusieurs mois. Et on a aussi le meurtre, il y a une semaine, de Chris Msando qui était le responsable technologique de la Commission électorale en charge justement du bon fonctionnement de ce système électoral mis en place cette année. Son meurtre qui reste encore inexpliqué pour l’instant, qui fait l’objet de recherche par la police kenyane, a alimenté les passions les derniers jours avant l’élection.

Tout le monde a en tête le spectre des violences en 2007, lorsque la contestation des élections par Raila Odinga, déjà, avait donné lieu à des violences avec plus de 1 200 personnes tuées dans des affrontements ethniques. Dix ans plus tard, pourquoi cette crainte de violences ethniques pèse-t-elle toujours sur ce scrutin ?

Il faut relativiser cette question des violences interethniques, puisqu’un rapport International crisis group et aussi le rapport Human right watch, a montré que les 1 200 morts qui avaient accompagnés les violences post-électorales de 2007 ont été principalement tués par la police. Ce n’est pas seulement un phénomène interethnique, c’est la première chose.

La deuxième chose, c’est effectivement l’histoire politique du Kenya, l’histoire même coloniale du Kenya, qui a marqué la politique kenyane du sceau ethnique. Les premiers mouvements politiques sont nés des réserves coloniales où étaient parquées différents groupes ethniques locaux qui se sont ainsi homogénéisés.

Ces violences interethniques font partie de l’histoire politique du Kenya. Cela n’explique cependant pas toutes les violences électorales que l’on a pu constater depuis les années 1980.

Pour le quotidien phare du pays, le Daily Nation, le Kenya est à la croisée des chemins, avec un risque d’embrasement d pays. Cette inquiétude est-elle réaliste ou est-ce plutôt la marque du traumatisme des violences de 2007 ?

2007 est un traumatisme et les médias en parlent énormément. Effectivement, je pense que cette peur vient plus de ce traumatisme de 2007. Concrètement, cette peur est surtout alimentée par l’attente un peu insoutenable - qui vient de la stratégie de l’opposition elle-même - qui critique la Commission électorale depuis hier [le 9 août, NDLR], qui ne cesse de critiquer toutes les heures d’annoncée des nouvelles positions qui alimentent cette peur des violences cette année.

Au-delà de désigner un nouveau président, quel est l’enjeu de cette élection présidentielle au Kenya ?

L’enjeu principal est, au niveau de la Commission électorale, de prouver qu’elle peut vraiment mener à bien à une procédure de vote du début à la fin, de prouver que ces élections peuvent être transparentes et justes.

Tous les regards des Kenyans sont vraiment tournés vers cette institution indépendante qui est censée garantir les résultats de ces élections. Et pour la première fois, avoir une élection qui soit exempte de tout doute quant à son résultat.

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