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Le grand invité Afrique

Achille Mbembe: en Afrique du Sud, «Zuma est devenu une figure qui divise»

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Pour la première fois, c’est une motion de défiance à bulletin secret qu’affrontait Jacob Zuma. Le vote a été beaucoup plus serré que lors des précédentes tentatives de destitution, mais le chef de l’état s’en sort d’une vingtaine de voix puisque si 177 députés se sont prononcés en faveur de la motion, 198 ont voté contre et 9 se sont abstenus. Quel impact aura ce nouveau sursis accordé à Jacob Zuma sur son avenir personnel et celui de son parti l’ANC ? L’analyse d’Achille Mbembe, professeur d’histoire et de sciences politiques à l’université Witwatersrand de Johannesburg, au micro de Laura Martel.

Achille Mbembe, professeur d'histoire et de sciences politiques à l'université Witwatersrand de Johannesburg.
Achille Mbembe, professeur d'histoire et de sciences politiques à l'université Witwatersrand de Johannesburg. RFI
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RFI : Même si le nombre de députés qui ont voté pour le maintien de Jacob Zuma a diminué, en dépit des scandales, en dépit du vote secret, il reste en place. Comment expliquer ce soutien ?

Achille Mbembe : Il reste en place, mais il est mortellement blessé. Cela m’étonnerait qu’il aille jusqu’au bout de son mandat. Il sort de ce combat substantiellement affaibli. Ses soutiens au sein de l’ANC diminuent. Il est devenu lui-même une figure absolument antagoniste, qui divise très profondément la société sud-africaine. Et je n’ai pas l’impression qu’il pourra tenir longtemps, compte-tenu de la répulsion qu’il suscite de la part d’une partie importante de la population sud-africaine.

Le choix semblait difficile pour les députés entre, d’un côté, reconnaître une sorte d’illégitimité de leur chef, et de l'autre le fait de le soutenir contre l’opinion publique. Pourquoi la majorité des députés de l’ANC a tout de même opté pour le maintien ?

D’après les tous premiers chiffres, tout s’est joué au fond entre 12 et 15 voix. Donc, c’est une victoire à la Pyrrhus. Pourquoi est-ce que l’on continue de voter pour lui ? Il a quand même mis en place depuis six, sept ans, le système clientéliste parmi les plus rodés que l’Afrique du Sud ait connus depuis environ 23, 24 ans. Beaucoup de ces gens lui doivent tout, les prêts à la banque, l’emploi... Donc, ils commandent de leur part, toujours une loyauté extrêmement forte.

Le fait qu’il ait été chef des renseignements de l’ANC ne lui a-t-il pas, également, donné quelques moyens de pressions contre certains membres de son parti ?

Cela lui a donné un savoir-faire sans équivalent pour ses concurrents potentiels. Cela lui a donné également une base sociale et institutionnelle, notamment dans les milieux du renseignement, dans les institutions de la police, les institutions militaires, et ainsi de suite.

Et il a été capable de convertir cette base - qui se trouvait au service de sécurité - en base politique, en s’appuyant en grande partie sur un ensemble de barons régionaux. Le tout huilé, quand même, par tout l’argent détourné par la famille indienne Gupta pompé depuis les sociétés de l’État, jusqu’aux transactions les plus douteuses, dont on connaît de plus en plus les détails. Le tout, mis ensemble, lui a permis d’asseoir un pouvoir assez nocif et de monter un régime kleptocrate, peut-être pas à la Mobutu mais enfin, qui n’est pas si loin de là.

Justement, avec les scandales à répétition, l’ANC a connu une défaite historique aux locales de 2016 avec la perte notamment de Pretoria et de Johannesburg. Pensez-vous que ce maintien de Zuma hypothèque réellement les chances de l’ANC pour 2019 ?

Absolument. Chaque jour que monsieur Zuma reste au pouvoir est un bonus pour l’opposition. Aux yeux d’une grande partie des citoyens sud-africains, il a l’image d’un homme profondément corrompu, beaucoup parlent de décadence morale, disons institutionnelle assez époustouflante.

Franchement, je ne serais pas étonné que monsieur Zuma soit remercié par le parti lui-même, disons dans les semaines ou les mois qui viennent.

Vous pensez qu’il pourrait être chassé par son propre parti avant même le congrès de décembre qui doit désigner un nouveau leader pour les prochaines présidentielles ?

Je crois que c’est une option qu’il faut prendre très au sérieux.

Deux choix pour le moment pour décembre 2017 : d’un côté l’ex-femme du président Zuma, Nkosazana Dlamini-Zuma, qui semble avoir ses faveurs, de l’autre le vice-président Cyril Ramaphosa qui, lui, a pris ses distances avec le président. Est-ce que l’opposition pro ou contre Zuma va s’exprimer dans ce choix ?

C’est ce à quoi on a assisté au début de la campagne électorale pour les élections 2019. Et au point où l'on en est, l’ANC éprouve énormément de difficultés à rentrer dans ce jeu. Elle est divisée.

Madame Zuma représente la faction Zuma-Gupta et les espoirs de réforme sont dans les mains de monsieur Ramaphosa. La faction Zuma-Gupta contrôle les branches, c’est-à-dire les cellules de base qui élisent le chef du parti.

Monsieur Ramaphosa est le favori des milieux d’affaires traditionnels d’une grande partie de la société civile, des réformistes au sein de l’ANC, mais toutes ces institutions et organisations n’ont pas le droit de vote nécessairement. Et donc, on risque d’observer dans les mois qui viennent une bataille rude entre ces deux candidats. Et pour le moment, madame Nkosazana semble avoir quelques longueurs d’avance.

Les dangers sont tout à fait nets. Ce choix risque, s’il n’est pas bien géré, de mener à de nouvelles scissions où seule l’ANC est beaucoup plus forte que celle qui vit la naissance de Cope [Congress of the People], Mosiuoa Lekota ou alors de EEF [Combattants pour la liberté économique] de Julius Malema.

Entre temps, l’opposition en particulier l’Alliance démocratique et le parti de Julius Malema, et les autres petits partis ont appris à collaborer très fortement et à commencer à mettre en place une sorte de contre hégémonie qui contrebalance d’ores et déjà, en tout cas au sein de la société civile, l’ANC en tant que tel.

Donc, le jeu est largement ouvert et cela ne m’étonnerait pas que l’hégémonie de l’ANC arrive à son terme au cours de l’élection 2019. Mais l’ANC a, à peu près, 18 mois pour revenir dans le jeu. La première chose à considérer est de se débarrasser de Zuma, ce qui n’est pas impossible.

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