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Le grand invité Afrique

Romain Esmenjaud (ONU): «Des armes plus sophistiquées» circulent en RCA

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C’est un rapport inquiétant pour l’avenir de la Centrafrique. Un panel d’experts de l’ONU vient de publier une étude très documentée sur les sources d’approvisionnement et la nouvelle stratégie des groupes armés qui mettent ce pays à feu et à sang. On y apprend notamment que beaucoup de munitions proviennent d’une usine de Pointe-Noire, au Congo-Brazzaville. Romain Esmenjaud est l’un des experts de l’ONU auteurs de ce rapport. En ligne de Bangui, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

Un casque bleu pakistanais monte la garde dans un camp de déplacés de Kaga-Bandoro, le 19 octobre 2016, quelques jours après des violences qui ont fait plus de 30 morts en Centrafrique.
Un casque bleu pakistanais monte la garde dans un camp de déplacés de Kaga-Bandoro, le 19 octobre 2016, quelques jours après des violences qui ont fait plus de 30 morts en Centrafrique. EDOUARD DROPSY / AFP
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RFI : Dans votre rapport, vous soulignez que les ex-Seleka se rapprochent, depuis plusieurs mois, de certaines factions anti-Balaka. Pourquoi ce renversement d’alliance ?

Romain Esmenjaud : Effectivement. Il peut y avoir plusieurs raisons à cela. L’une d’entre elles, c’est de vouloir ne pas apparaître en première ligne dans les affrontements. Pour certains leaders de l’ex-Seleka, il peut être plus pratique, en quelque sorte, de sous-traiter les combats à des entités anti-Balaka.

Ce que vous dites aussi, c’est qu’il y a une alliance du Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC) de Noureddine Adam et d’Abdoulaye Hissène, et des anti-Balaka, contre la communauté peule et l’Union pour la Paix en Centrafrique (UPC) d’Ali Darass ?

Oui, oui. C’est exact. Et c’est là une forme de coalition ponctuelle entre certains éléments anti-Balaka et les factions de l’ex-Seleka que vous mentionnez. C’est cette volonté d’évincer Ali Darass - et l’UPC, son groupe -, dans la mesure où ils perçoivent ce groupe-là comme un groupe d’étrangers.

Et il y a toute une rhétorique contre la communauté peule qui est présentée comme une communauté étrangère et qu’il faudrait évincer de Centrafrique. C’est une rhétorique qui, malheureusement, est de plus en plus forte et qui est malheureusement efficace pour mobiliser des combattants contre des Peuls qui n’ont rien à voir avec l’UPC.

Au regard de ce que vous venez de dire, comment explique-t-on le grand massacre de Bangassou, à 500 kilomètres à l’est de Bangui ? C’était le 13 mai 2017. On a déploré 72 morts, notamment dans la communauté musulmane.

L'un des éléments, c’est qu’il y a eu un ciblage de la communauté musulmane dans cette ville. Et là, on a une milice locale qui était frustrée par la présence croissante de l’UPC d’Ali Darass depuis que celui-ci est sorti de Bambari en février. Et par ailleurs, il y avait des individus avec des agendas plus larges, des agendas nationaux, peut-être du côté de monsieur Bozizé, l’ancien président, peut-être que du côté d’autres politiciens à Bangui qui ont instrumentalisé aussi ces frustrations locales.

Vous parlez de François Bozizé. Or on se souvient de la rencontre surprise entre les anciens présidents François Bozizé et Michel Djotodia, à Nairobi en avril 2015. Aujourd’hui, peut-on dire que l’alliance entre des Seleka, comme Noureddine Adam et Abdoulaye Hissène, et des anti-Balaka, comme Maxime Mocome, se fait sur la même base ?

Non, je ne crois pas. Effectivement, les contacts qui ont été noués à cette époque-là existent toujours. Il est certain que l’ancien président Bozizé et Maxime Mocome, son neveu, exercent une certaine influence sur certains de ces éléments. Mais il y a une multitude d’acteurs qui peuvent les instrumentaliser. Donc c’est très pratique de revoir la réactivation de ce grand complot « nairobiste », comme on dit. Mais disons que c’est une réalité de la situation actuelle parmi d’autres.

Votre rapport s’intéresse aussi aux sources d’approvisionnement en armes. Commençons par les ex-Seleka. Vous dites que le principal point d’entrée des armes se trouve à Tissi, à l’intersection des trois frontières de la Centrafrique, du Tchad et du Soudan...

Dans notre rapport, en effet, on identifie quelques points d’entrée. Pour les ex-Seleka, on mentionne plusieurs points le long des frontières tchadienne et soudanaise. Tissi est l’un d’entre eux. On mentionne aussi Am Dafok, du côté soudanais, et du côté tchadien Ngarba. Ça, ce sont les points d’entrée qu’utilise le FPRC d’Abdoulaye Hissène et de Nourredine Adam.

Plus à l’ouest, vers Markounda, vers Sido, là ce sont plutôt les routes d’approvisionnement qu’utilise le MPC [Mouvement patriotique pour la Centrafrique] de Mahamat al-Khatim. Ce qui est intéressant de souligner, c’est que les grands leaders du FPRC et du MPC sont eux-mêmes personnellement impliqués dans ces trafics, dans la logistique, en allant chercher eux-mêmes les armes, parfois au-delà de la frontière, au Soudan ou au Tchad. Et ceci malgré l’interdiction de voyager dont certains sont l’objet.

Je pense à Nourredine Adam, Haroun Gaye et Abdoulaye Hissène. Ils sont sous sanctions. Étant entendu que, dans notre rapport, il n’y a rien qui laisse entendre que tous ces trafics venant de ces pays soient faits avec la complicité ou la participation active des autorités de ces différents pays, que ce soit le Tchad et le Soudan.

 

 

 

Côté anti-Balaka, maintenant : vous écrivez que le temps des vieilles pétoires est terminé et que les combattants de Patrice-Edouard Ngaissona et de Maxime Mocome s’approvisionnent en armes sophistiquées du côté du Congo-Brazzaville et du Congo-Kinshsasa…

Effectivement, il y a une certaine évolution du type d’armement des anti-Balaka, mais on ne va pas aller jusqu’à dire que « le temps des pétoires est terminé ». « Les pétoires » restent le type d’armement principal que les groupes anti-Balaka utilisent.

Ceci dit effectivement on voit que, de manière ponctuelle, ils ont recours à des armements plus sophistiqués. La collaboration avec le FPRC de Noureddine Adam et d’Abdoulaye Hissène leur a permis de se procurer des armes un peu plus sophistiquées.

Vous dites que la provenance de beaucoup de ces armes et munitions, est la ville de Pointe-Noire, au Congo-Brazzaville. Pourquoi Pointe-Noire ?

Ce que mentionne le rapport, c’est qu’à de nombreuses reprises, le groupe d’experts a pu observer la présence de cartouches qui sont fabriquées à Pointe-Noire. Et à ce titre, il y a eu de saisines importantes récemment : l’une en mai à Bangui par les autorités centrafricaines, l’autre en avril à Bangassou par la Minusca.

Et à chaque fois, il y avait d’importants stocks de ces cartouches qui donc venaient de la Manufacture de cartouches congolaises [La manufacture d'armes et de cartouches du Congo (MACC)], dont la principale fabrique se trouve à Pointe-Noire, donc en République du Congo. Et ce qui rend difficile la traçabilité de ces cartouches, c’est le fait qu’elles n’ont aucun numéro de lot, aucun numéro de série. Cela complique évidemment notre tâche pour identifier les trajets empruntés par ces cartouches.

Ce que vous dites aussi, c’est que ces armes et munitions passent à la fois par le Congo-Kinshasa, via Zongo notamment, mais aussi par le port fluvial d’ Impfondo au Congo-Brazzaville ?

Effectivement. Il y a une intensification des trafics dans ces zones, sur le flanc sud de la Centrafrique.

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