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Le grand invité Afrique

JP de Sardan: «avoir beaucoup d’enfants est une sorte de rationalité économique» en Afrique

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Le 8 juillet dernier, lors du G20 de Hambourg, le président français Emmanuel Macron a tenu des propos choc sur la démographie africaine. Interrogé sur le développement, il a répondu que l'un des défis du continent était «civilisationnel» et a lancé cette phrase: «Quand des pays ont encore 7 à 8 enfants par femme, vous pouvez décider d'y dépenser des milliards d'euros, vous ne stabiliserez rien !». Le socio-anthropologue franco-nigérien, Jean-Pierre Olivier de Sardan vit à Niamey depuis ving tans. Il y dirige le LASDEL, le Laboratoire d'études et de recherche sur les dynamiques sociales et le développement. Il répond aux questions de RFI.

Enfant, Ethiopie, janvier 2017 (photo d'illustration)
Enfant, Ethiopie, janvier 2017 (photo d'illustration) Eric Lafforgue/Getty
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Jean-Pierre Olivier de Sardan, chercheur au LASDEL, laboratoire de recherches en sciences sociales basé à Niamey.
Jean-Pierre Olivier de Sardan, chercheur au LASDEL, laboratoire de recherches en sciences sociales basé à Niamey. lasdel.net

RFI : Quand le président Emmanuel Macron dit que les pays qui ont sept à huit enfants par femme ne peuvent pas se développer, il a raison ou tort ?

Jean-Pierre Olivier de Sardan : Difficile à dire si brutalement. On peut dire qu’il y a un problème démographique sans doute, mais il est particulièrement complexe et ne peut pas se régler dans des formules.

Prenons le cas du Niger où le taux de fécondité est de plus de sept enfants par femme. Je crois que c’est le record du monde. Pourquoi cette spécificité ?

Bien souvent, on renvoie ça à une sorte de culture, de civilisation, tradition. C’est en partie vrai et en partie faux. Dans un pays où il n’y a aucune retraite, où les vieux dépendent des jeunes pour être pris en charge, plus on a d’enfants, plus on a de chance d’avoir des enfants qui réussissent et qui vont vous prendre en charge dans vos vieux jours. Donc quelque part, c’est presque une sorte de rationalité économique dans les campagnes que d’avoir beaucoup d’enfants. Il y a aussi une sorte de pression de rationalité sociale au sens où, pendant très longtemps, c’est le fait d’avoir un capital humain, capital social, beaucoup d’enfants de dépendants qui assuraient le prestige et la richesse. Et puis, bien sûr, il y a aussi d’autres éléments que parfois on sous-estime et qui sont le poids des idéologies religieuses, puisqu’il s’agit en particulier du wahhabisme qui lui aussi fait pression dans le sens d’une forte natalité. Ceci étant, il y a une demande de contraception chez les femmes au Niger, mais elle est à certaines époques de leur vie, pas à tout moment. Il y a une demande de contraception chez les adolescentes qui ont des rapports sexuels prénuptiaux et toutes les mères du Niger vont voir des féticheurs, des marabouts, pour essayer de nouer le ventre des enfants pour qu’elles n’aient surtout pas d’enfants. Il y a aussi une demande de contraception chez les femmes allaitantes qui allaitent en général pendant deux ans et qui ne veulent pas retomber enceintes pendant cette période. Donc il y a des moments dans la vie génétique où les femmes ne veulent pas de contraception et puis il y a des moments où au contraire elles en veulent. Et là, c’est vrai qu’il peut y avoir une pression sociale importante, en particulier dans le contexte de la polygamie, des concurrences entre femmes pour avoir des enfants.

En Afrique comme en Europe, beaucoup de démographes disent que la baisse de la fécondité permet d’augmenter la richesse moyenne par habitant. C’est vrai ou ce n’est pas vrai ?

Dans les classes moyennes supérieures urbaines à Niamey, il y a déjà une transition démographique. C’est-à-dire que les gens investissent dans le capital scolaire de leurs enfants, lorsqu’ils sont dans une trajectoire d’ascension sociale ne font pas dix enfants. C’est coûteux de mettre des enfants à l’école privée, etc. Dans d’autres cas, oui, on est confronté au problème où c’est un frein que d’avoir trop d’enfants.

Sur les réseaux sociaux, la petite phrase d’Emmanuel Macron a été considérée comme colonialiste, voire raciste. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Si c’est lié à un problème démographie, oui. Mais je pense que l’expression civilisationnelle n’est pas très bonne. Elle est malheureuse parce que ça fait comme si on disait qu’il y a une sorte de tradition culturelle ou de fatalité culturelle et civilisationnelle. Vous savez, il y a cette polémique autour des conflits de civilisation, etc. Et peut-être que de ce point de vue là, la phrase de Macron est aussi malheureuse, en ce sens qu’au Niger on perçoit les injonctions démographiques comme de nouvelles injonctions occidentales. Et bien souvent, les politiques de réduction des naissances impulsées par les pays du Nord sont mal perçues dans notre pays. Ça, c’est clair.

Les politiques de réduction des naissances – les politiques de planning familial – est-ce qu’elles sont portées par des gouvernements comme celui du Niger ?

Oui et non. C’est-à-dire que le gouvernement du Niger, je pense, est conscient qu’il y a un problème démographique et il veut l’affronter. Mais je pense qu’il est dans une situation extrêmement contradictoire. D’un côté, il va bénéficier de l’aide ou de la rente par rapport à la question démographique – une des sous-rentes de l’aide au développement –, mais d’un autre côté il ne peut pas se mettre à dos l’ensemble des associations islamistes et des notables ruraux qui sont, eux au contraire, pronataliste. Il y a beaucoup de théories complotistes qui circulent au Niger et le complot contre la natalité africaine est une des théories complotistes qui a de la résonnance. D’autre part, beaucoup d’actions menées en faveur d’une réduction de la natalité pour la contraception sont menées depuis longtemps par des ONG ­– des ONG américaines, souvent chrétiennes – et ça accroît encore la méfiance vis-à-vis de ça. En plus, tout le monde sait aujourd’hui que les politiques de réduction de la natalité ont quelque chose à voir avec les intérêts de l’Occident en matière de freiner l’immigration ou de lutte contre le terrorisme et ça paraît encore quelque chose qui est sur l’agenda des Occidentaux et pas sur l’agenda national.

En période électorale, est-ce que le sujet fait débat entre les partis, entre les candidats ?

Je crois que personne n’a envie en période électorale de trop le mettre devant. Je peux vous le dire. Le problème, c’est qu’aujourd’hui dans le pays c’est les groupes salafistes ou wahhabites sont minoritaires. Il n’y a aucun doute à cela. Mais en même temps, ils ont un peu gagné la bataille idéologique. C’est eux qui tiennent le haut du pavé. Et ils sont sur une position anti-contraception. Donc personne n’a trop envie de se mettre à dos cette influence idéologique qu’ont les islamistes.

Donc il n’y aura pas de changement tant que ça ne viendra pas de l’intérieur de la société ?

Ça, je pense que oui, fondamentalement. Le problème c’est quels sont les leviers pour essayer de convaincre les femmes d’avoir moins d’enfants ? Il n’y en a pas beaucoup. L’école ? Mais il y avait une tentative de développer un manuel de traiter la question de l’éducation sexuelle. Les associations islamises se mettent vent debout contre ça et personne ne veut plus en parler. C’était la même chose avec le code de la famille. Le seul secteur dans lequel il pourrait y avoir à mon avis un peu de prise sur ce domaine, c’est les services de santé.

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