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Le grand invité Afrique

Christian Rumu: «De sérieux problèmes d'ouverture politique persistent au Rwanda»

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Au Rwanda, deux candidats d’opposition, dont un candidat indépendant, pourront participer à l’échéance électorale face au président sortant Paul Kagame, qui brigue un troisième septennat, a annoncé hier soir la Commission électorale. À cette occasion Amnesty International publie un rapport intitulé—: «—Rwanda. Un pays en proie à des attaques, des actes de répression et des homicides depuis 20 ans va élire son nouveau président—». Sur une trentaine de pages, l’ONG de défense des droits de l’homme détaille plusieurs cas d’atteintes à la liberté d’expression, et de répression à l’encontre de journalistes, d’hommes politiques et de défenseurs des droits humains. C’est un «—climat de peur—» qui est dénoncé, à l’approche du scrutin présidentiel prévu le 4 août prochain. Christian Rumu est chargé de campagne pour les Grands lacs à l’ONG Amnesty International, il répond aux questions de Carol Valade.

Kigali, au Rwanda.
Kigali, au Rwanda. Getty/Peter Stuckings
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La commission électorale rwandaise s’est prononcée vendredi soir. Ils seront finalement trois à concourir pour l’élection présidentielle qui est prévue dans moins d’un mois. Outre le président sortant, Paul Kagame, il y a aura donc Philippe Mpayimana, candidat indépendant, et aussi Frank Habineza, du Parti démocratique vert, qui est considéré comme le seul parti d’opposition autorisé au Rwanda. Est-ce que cette élection est donc plus ouverte que celle de 2010 ?

Christian Rumu : A première vue, on peut le dire ainsi. Mais ce que révèle le rapport, c’est qu’il y a une sorte de climat quasi permanent de peur. Donc d’une part, c’est vrai que cela montre un signe d’ouverture ; mais d’autre part, il y a toujours des problèmes sérieux en termes d’ouverture de l’espace politique. Dans un contexte général, tout le temps qu’une personne essaie de critiquer soit une politique, soit la manière d’argumentation de telle ou telle autre politique, il y a toujours une sorte de campagne qui s’organise autour de ces personnes qui sont souvent membres de l’opposition ou de la société civile.

Certains de ces candidats avaient récemment assuré que leurs partisans étaient victimes de harcèlement de la part des autorités locales. Est-ce que ce rapport a permis de confirmer ces allégations ?

« Il y a une volonté de créer un système de répression systématique »

Oui, exactement. Et cela va pour le cas par exemple de madame Diane Rwigara (femme d’affaires et candidate à la présidentielle), mais aussi monsieur Philippe Mpayimana (opposant rentré d’exil) où nous avons relevé des cas d’intimidation et de harcèlement dont ont été victimes certains de leurs agents qui étaient chargés de collecter des signatures. Jusque-là, on n’a pas encore eu d’informations ou de preuves que le gouvernement ou la police est en train de faire tout pour avoir des réponses, pour savoir qui était derrière ces cas d’intimidation et de harcèlement.

En tout cas, le président Paul Kagame s’est engagé publiquement à tout faire pour que la lumière soit faite sur ces tentatives d’intimidation. Et parfois, cela va au-delà de la campagne de dénigrement. Vous citez plusieurs cas emblématiques dans le rapport, dont l’un des plus récents est celui de Jean Damascene Habarugira. Qui est-il ? Et que lui est-il arrivé ?

C’est un leader politique local. Donc il a disparu début mai. D’après les informations que nous avions reçues de la part de la famille, il aurait reçu un appel de la part d’un chef local de sécurité, et depuis on n’a jamais entendu de nouvelles. Et quelques jours plus tard, il a été retrouvé mort. Il y a eu un cas au mois de mars 2016 de disparition de madame Illuminée Iragena, qui était proche de Victoire Ingabire, et dont on n’a pas de nouvelles depuis.

Les exemples que vous mettez en exergue remontent jusqu’à 1994. Est-ce à dire que ce climat a été instauré par le FPR (Front patriotique rwandais), le parti au pouvoir au Rwanda dès son arrivée au pouvoir ?

Il y a une volonté de créer un système de répression systématique qui fait que, en arrivant aujourd’hui pour les élections qui vont venir le mois prochain, c’est comme un exploit d’avoir trois candidats retenus à la présidentielle.

« Il faut que le gouvernement rwandais s’attaque à ces cas de disparitions de membres de l’opposition. »

Vous dépeignez une situation des droits de l’homme de la liberté d’expression extrêmement noire au Rwanda. Le Rwanda qui par ailleurs est cité comme un exemple en Afrique en matière de développement par exemple, de bonne gouvernance, de sécurité ou encore de lutte contre la corruption. Comment expliquez-vous ce contraste ?

C’est vrai qu’il y a eu beaucoup d’avancées. Oui, c’est un contraste qui est là, que nous remarquons mais qui ne peut pas nous empêcher de soulever les questions qui dérangent surtout et qui peuvent aider les autorités rwandaises à pouvoir engager des réformes profondes pour que les libertés individuelles soient respectées pour tous les Rwandais au Rwanda.

Vous concluez ce rapport par un appel à des réformes, ambitieuses qui élargiront l’espace politique avant l’élection de 2024. Par où faut-il commencer ?

Le fait que le président peut assurer à tout le monde que tout va être fait pour retrouver ou du moins faire des investigations et retrouver ceux qui sont derrière les campagnes de dénigrement ou d’intimidation contre les opposants, c’est déjà un pas. Je pense que de plus en plus de discours pareils, ça aller dans le bon sens. Mais aussi en termes de justice, il faut vraiment que le gouvernement rwandais s’attaque à ces cas de disparitions de membres de l’opposition.

Le Rwanda doit prendre la présidence de l’Union africaine l’an prochain. Et au sommet qui vient de s’achever à Addis-Abeba, tout le monde a annoncé que ce sera Paul Kagame qui occuperait cette fonction, un peu comme s’il n’y avait pas d’élection présidentielle prévue en août au Rwanda ou comme si elle était jouée d’avance en quelque sorte. De quoi est-ce le signe ?

On ne sait pas si cela est un bon signe, mais ça démontre quand même une situation au Rwanda où l’opposition est presque inexistante. Cela veut dire que les résultats de l’élection présidentielle sont courus d’avance.

***

Réaction des autorités rwandaises à la publication d'Amnesty :

Le gouvernent rwandais par la voix du directeur de l'Office rwandais de la gouvernance a réagi au rapport d'Amnesty International publié vendredi et dans lequel l'organisation de défense des droits de l'homme dénonce un « climat de peur » au Rwanda à l'approche de la présidentielle du 4 août en raison d'attaques répétées depuis 20 ans contre l’opposition, les médias et les défenseurs de droits humains.

Sur Twitter, Anastase Shyaka a accusé en retour l'organisation de défense des droits de l'homme d'avoir « recyclé » les « mêmes rapports biaisés » pendant deux décennies alors que le « Rwanda a cimenté ses valeurs démocratiques, garantit la sécurité de tous les citoyens et fait des progrès historiques dans le développement humain à tous les niveaux ». « Les faits parlent d'eux mêmes », a-t-il conclu.

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