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Le grand invité Afrique

Violences au Kasaï: Scott Campbell (HCDH) dénonce un climat d'impunité

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Deuxième volet de la grande enquête de RFI sur la crise dans le Grand Kasai. Après Kamuina Nsapu, la mort d’un chef, ce deuxième volet s’intitule «—La réaction de l’armée, des preuves en images—». Notre envoyée spéciale s’est intéressée à trois officiers de l’armée congolaise suspectés d’exactions dans le Grand Kasaï comme dans l’est du pays. L’occasion de retracer l’historique de ces unités qui nous renvoient vers les heures les plus sombres de l’histoire de la République démocratique du Congo. Pour en parler, Sonia Rolley reçoit Scott Campbell, responsable pour l’Afrique centrale au Haut commissariat de l’ONU aux droits de l’homme et l’un des rédacteurs du Mapping report, ce rapport qui recensait dix ans de crimes— en RDC de 1993 à 2003.

Le Directeur du Bureau des droits de l’homme des Nations Unies en République démocratique du Congo, Scott Campbell (à droite) avec le Sous-Secrétaire général des Nations Unies aux droits de l’homme, Ivan Simonovic en mai 2012.
Le Directeur du Bureau des droits de l’homme des Nations Unies en République démocratique du Congo, Scott Campbell (à droite) avec le Sous-Secrétaire général des Nations Unies aux droits de l’homme, Ivan Simonovic en mai 2012. ONU/Sylvain Liechti
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RFI : Comment expliquer une telle explosion de violence au Kasaï ?

Scott Campbell : Il y a plusieurs racines. D’abord les forces de sécurité, au lieu de protéger la population civile, commettent des violations graves et sans que d’autres institutions étatiques jouent leur rôle de les contrôler, notamment la justice militaire. Bref, on voit un cycle de violences suivi par l’impunité, qui crée un environnement dans lequel personne est tenu responsable pour ces actes. Chose qui encourage la répétition de l’utilisation d’une force excessive par les forces de sécurité.

Pourtant, il y a des policiers et des militaires qui sont vraiment tués par ces présumés miliciens Kamuina Nsapu. Cette violence-là que met en avant le gouvernement, elle existe. Pourquoi est-ce que c’est quand même un usage abusif de la force ?

Il y en a certainement, et notre bureau a documenté les abus commis par des milices soi-disant Kamuina Nsapu, des attaques contre les institutions de l’Etat, les bâtiments, mais aussi contre les individus, les acteurs étatiques, la police, les militaires, des attaques très sérieuses contre les symboles et les agents de l’Etat. C’est extrêmement grave. Les Nations unies ont dénoncé cela. Et nous allons continuer à faire des enquêtes là-dessus. En même temps, les acteurs étatiques ont l’obligation de répondre d’une manière proportionnée. Par exemple, s’il y a des membres d’une milice qui sont désarmés, qui ne représentent pas un danger imminent pour un agent de l’Etat, pour un militaire, un policier, ce n’est pas acceptable qu’un militaire, un policier tire par exemple sur quelqu’un qui n’est plus armé. Il y a eu des cas où des maisons brûlaient par exemple avec des individus dedans.

Une procédure a été lancée suite à la publication d’une vidéo tournée à Mwanza Lomba. Neuf militaires sont en ce moment jugés. Pourquoi est-ce insuffisant selon vous ?

Nous attendons de voir aussi les résultats. Mais vu l’échelle de ce qui se passe dans le Kasaï, nous avons découvert jusque-là au moins 42 fosses communes. Qu’il y est un procès en cours, c’est une bonne chose bien sûr. Mais ce n’est pour nous peut-être qu’un début de ce qui doit être des enquêtes beaucoup plus élargies, approfondies qui vont jusqu’au bout, des enquêtes qui les mettent devant leurs responsabilités malgré leur rang ou leur position politique.

L’enquête qu’a fait RFI montre que l’un des colonels qui serait impliqué puisqu’il était en poste là-bas, pour ces 19 fosses communes que vous avez documentées autour de Tshimbulu, aurait dû être arrêté par la justice militaire depuis plus d’un an dans le cadre du massacre de Kichanga. Cette procédure a d’ailleurs été suivie par les Nations unies. Comment expliquez-vous justement qu’après tout le soutien que vous aviez apporté, il n’y ait pas d’arrestations et qu’on retrouve les mêmes officiers soupçonnés des mêmes crimes finalement trois ans plus tard ?

En fait, je dirais que ça reflète aussi des tendances que nous avons constatées au Congo depuis une vingtaine d’années. On voit souvent des personnes qui sont alléguées d’être responsables pour des crimes très graves, soit des massacres ou des viols massifs, mais malheureusement les personnes responsables restent impunies. Depuis l’époque de la première guerre au Congo (1996-1997), on voit toujours certains acteurs militaires qui sont toujours dans des positions du pouvoir. Évidemment, cela qui encourage la répétition du phénomène que nous voyons aujourd’hui au Kasaï.

Mais est-ce que vous pensez que l’Etat peut l’ignorer, que le gouvernement peut l’ignorer, que l’état-major peut l’ignorer, qu’il y a un risque en envoyant la même unité pour faire finalement le même type de travail de voir se reproduire le même type de crimes ?

Ce que nous demandons, nous les Nations unies, c'est bien sûr que tous les acteurs responsables de ce genre de crimes soient traduits devant la justice. Et nous partageons régulièrement les informations avec la justice militaire, avec la justice civile. Il y a une bonne collaboration entre les Nations unies et la justice militaire congolaise. Il ne faut pas l’ignorer mais il reste malheureusement beaucoup d’écarts qui ne sont pas suivis jusqu’bout et beaucoup d’acteurs qui continuent d’agir dans un contexte d’impunité.

Le Haut-Commissariat a produit un document en  2010 dans lequel vous aviez répertorié tous les crimes commis entre 1993 et 2003. Combien de crimes ont été jugés suite au Mapping report ?

En fait, c’est un rapport qui ne nomme pas des individus. Donc, on ne peut pas parler de combien de cas ont été jugés, mais plutôt les recommandations du rapport qui ne sont pas mises en œuvre. C’est un rapport qui demande un mécanisme juridique spécial pour traiter des centaines et des centaines de cas extrêmement graves de violation massives des droits de l’homme qui ont eu lieu pendant la période couverte par le rapport. Ce mécanisme n’a jamais été créé. La deuxième recommandation qui n’a pas été mise en œuvre, c’est la réforme du secteur sécuritaire. Au sein des forces de sécurité, du maintien de l’ordre, malheureusement il reste beaucoup d’acteurs qui étaient impliqués au passé dans les violations des droits de l’homme très importantes avec une impunité totale. Donc, sans un système de justice qui fonctionne d’une manière indépendante, impartiale, c’est difficile de voir une fin à l’impunité en RDC. Du coup, c’est difficile de voir une fin des cycles de violence tels que nous les voyons dans le Kasaï.

Retrouvez le chapitre 1 de notre grande enquête menée par Sonia Rolley.

Retrouvez le chapitre 2 de notre grande enquête menée par Sonia Rolley.

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