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Le grand invité Afrique

Jérôme Tubiana: «La violence n'a pas cessé au Darfour»

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Au Soudan, des combats ont éclaté à la fin du mois de mai 2017 au Darfour, alors que la région semblait quelque peu pacifiée. Des affrontements entre deux factions rebelles et les forces gouvernementales. Pour Jérôme Tubiana, chercheur, spécialiste du Soudan et du Tchad, consultant pour l’ONG Small Arms Survey, ce n’est pas un hasard si ces combats arrivent précisément en ce moment. Il répond aux questions de Xavier Besson.

Casques bleu en mission au Soudan du sud.
Casques bleu en mission au Soudan du sud. AFP/Albert Gonzalez Farran
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RFI: Des affrontements ont été signalés, fin mai, après quelques mois de relative accalmie. Est-ce que ces violences avaient réellement cessé ?

Jérôme Tubiana : Les violences n’avaient pas cessé. Même les Nations unies, tout en disant que les groupes rebelles n’étaient plus très présents ou plus très actifs au Darfour, s’inquiétaient de voir que, paradoxalement, la violence ne cessait pas, notamment parce que les milices Janjawid sont de plus en plus actives et bénéficient de plus en plus d’une impunité, ce qui fait que les violences de ces milices contre des civils n’ont jamais cessé et se sont même accrues ces dernières années.

Y a-t-il une raison pour laquelle ces affrontements interviennent maintenant ?

Cette offensive des rebelles tombe à un moment crucial, du point de vue politique. Ce n’est pas par hasard qu’ils sont entrés au Darfour, fin mai. C’est, d’une part, parce que les Américains s’apprêtent à renouveler la levée des sanctions économiques à l’encontre de Khartoum, en disant qu’il n’y a plus de guerre au Darfour. Il s’agit donc, pour les rebelles, de prouver qu’il y a encore une guerre au Darfour afin que les sanctions économiques soient, au contraire, renouvelées.

D’autre part, parce que la mission des Nations unies et de l’Union africaine se prépare à réduire ses effectifs, elle aussi en arguant du fait qu’il n’y aurait plus de guerre au Darfour. Là encore, les rebelles veulent montrer qu’il y a encore des hostilités au Darfour et que, par conséquent, il est trop tôt pour réduire les effectifs de la force de maintien de la paix.

Pour les rebelles, toute présence internationale au Darfour, même faible et peu efficace, est tout de même la bienvenue parce qu’elle permet de témoigner de cette guerre.

Au mois de janvier, Khartoum avait décrété un cessez-le-feu unilatéral de six mois. Est-ce que cela veut dire que les violences risquent de repartir de plus belle ?

Ce cessez-le-feu est mort, notamment parce que deux groupes rebelles du Darfour qui étaient à l’extérieur, ont décidé de rentrer au Darfour. Ils sont venus, d’une part, du nord de la Libye et d’autre part, en moins grand nombre, du Soudan du Sud. Le gouvernement avait déployé ses milices - les forces de soutien rapide - à la frontière libyenne pour les empêcher de rentrer mais il semble que ces rebelles, bien qu’ils aient eu quelques pertes, aient quand même réussi, cette fois, à rentrer au Darfour dans l’idée de s’y réimplanter et de montrer qu’ils existent encore. Il s’agit de l’Armée de libération du Soudan, la faction dirigée par Minnawi, qu’on appelle (SLA-MM) et, avec eux, il y avait une petite faction dissidente de la SLA, Abdel Wahid, (SLA-AW), l’autre grosse faction de l’Armée de libération du Soudan.

Il y a donc ces combats d’un côté, et il y a aussi des négociations qui sont en cours ?

Oui, mais qui ne sont pas considérées comme très sérieuses, notamment parce que le gouvernement mais aussi la communauté internationale considèrent – ou en tout cas le considéraient jusque-là - que les rebelles sont affaiblis et qu’il n’y a donc pas grand-chose à leur accorder.

On leur laisse essentiellement, comme option, de rejoindre l’accord de paix qui a été signé en 2011. Or, ces factions qui restent en rébellion n'y ont pas participé. Elles n’ont pas participé aux négociations.

Ce qu’il faut comprendre surtout, c’est que les rebelles du Darfour, jusque-là, avaient surtout le Tchad comme base arrière, ainsi qu’une implantation au Darfour. En 2010, le Tchad et le Soudan se sont réconciliés et ces rebelles se sont peu à peu dirigés vers d’autres pays, en particulier le Soudan du Sud et d’autre part, la Libye. Récemment, les rebelles du Darfour, en Libye ont pu obtenir de l’armement de la part du général Haftar. Ils se sont considérés suffisamment forts pour pouvoir rentrer au Darfour et il semble qu’ils aient réussi.

Et quand le gouvernement soudanais accuse l’Egypte de soutenir les rebelles, est-ce que cela vous semble crédible ?

Non, et je pense que le gouvernement soudanais fait erreur et que cela risque d’aggraver ses mauvaises relations avec l’Egypte sur un certain nombre de sujets dont la Libye. En réalité, l’Egypte est l’un des soutiens du général Haftar, en Libye. Le général Haftar utilise lui-même un certain nombre de combattants soudanais dont des rebelles darfouriens et leur a donc fourni des armes. Ce n’est pas l’Egypte qui a armé directement les rebelles du Darfour. Je ne suis pas certain que l’Egypte soit prête à faire cela.

Pourquoi ce conflit semble ne jamais vouloir prendre fin ?

Parce qu’il y a une mauvaise volonté - en particulier ces dernières années - de la part de Khartoum à négocier et que la communauté internationale est particulièrement désunie et ne fait pas réellement pression pour que ce conflit soit réglé de manière diplomatique.

En fait, il y a une sorte de lassitude de la part de différents acteurs internationaux et même un certain sentiment de culpabilité puisqu’il s’agit quand même d’une crise majeure qui a été déclarée comme un génocide par le gouvernement américain mais que les acteurs internationaux - y compris le gouvernement américain - ont complètement échoué à résoudre.

Il y a donc une tentation à ne plus voir la réalité en face et à dire que ce conflit n’est plus réellement important pour pouvoir passer à autre chose.  C’est ce que l’administration Obama, en particulier, a tenté de faire car, une semaine avant de laisser le pouvoir à Donald Trump, Obama a opéré un rapprochement spectaculaire avec Khartoum en levant - même de manière temporaire - pour six mois, les sanctions économiques américaines contre le Soudan.

De même, les Nations unies et l’Union africaine qui sont l’opérateur d’une des principales missions de maintien de la paix au monde et au Darfour, ont elles aussi dépeint la situation au Darfour comme bien meilleure que ce qu’elle n'est en réalité, pour pouvoir justifier une future diminution des effectifs de la mission de maintien de la paix qui passerait donc de 20 000 à 15 000 hommes environ.

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