Accéder au contenu principal
Le grand invité Afrique

Ihsane El Kadi: «Bouteflika a empêché l'émergence d'un secteur industriel fort»

Publié le :

En Algérie, le président Bouteflika a créé la surprise, le 28 mai 2017, en limogeant son Premier ministre, son ministre du Pétrole et son ministre des Affaires étrangères. Pourquoi un tel chambardement ? Ihsane El Kadi dirige le journal en ligne Maghreb Emergent. En ligne d'Alger, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

Ihsane El Kadi sur Radio M, en 2016.
Ihsane El Kadi sur Radio M, en 2016. Youtube
Publicité

RFI : Vous avez été surpris par la chute du gouvernement d’Abdelmalek Sellal ?

Ihsane El Kadi : Pas vraiment. Le gouvernement Sellal traîne énormément de casseroles depuis plusieurs années. Il était venu pour dépenser de l’argent en 2012. On était au sommet des revenus pétroliers. Et la conjoncture s’est retournée en 2014, et monsieur Sellal n’est pas du tout habilité à concevoir une politique de réformes et de ripostes au contre-choc pétrolier, il n’a pas du tout su faire. Si on devait ajouter à cela, le fait que monsieur Sellal a été cité à travers sa fille dans les Panama papers - donc il y avait une très forte suspicion de corruption - et que d’autres membres de son gouvernement, notamment monsieur [Abdeslam, NDLR] Bouchouareb, ministre de l’Industrie, lui, a été évoqué plusieurs fois dans les scandales des Panama papers, directement, on peut dire qu’on ne pouvait pas demander aux Algériens de faire des sacrifices dans les mois et les années qui viennent, avec un tel attelage à la tête du pays.

Il y a quand même une surprise : c’est le remplacement du ministre de l’Energie, Noureddine Boutarfa, qui avait négocié la réduction de la production des pays producteurs de l’Opep [Organisation des pays exportateurs de pétrole, NDLR] ?

Là, nous sommes d’accord. C’est, en effet, une surprise parce que tout le monde s’accordait à dire que monsieur Boutarfa avait fait du bon travail, avec une équipe de techniciens algériens qui avait rapproché les positions au sein de l’Opep. Alors là, on est dans l’univers mystique de monsieur Abdelaziz Bouteflika qui visiblement n’aime pas beaucoup les têtes qui dépassent, dans son gouvernement. On peut dire la même chose, peut-être, tout à l’heure, de monsieur Lamamra, à la tête de la diplomatie algérienne. Monsieur Boutarfa, ce serait, peut-être, pris au sérieux et aurait, peut-être, revendiqué une certaine autonomie dans son action à la tête du ministère de l’Energie, et cela lui aurait coûté son poste.

Le ministre Noureddine Boutarfa a appris son limogeage en pleine réunion internationale à Vienne. Est-ce qu’on ne lui a pas fait subir une humiliation ?

Cela ressemble beaucoup au style de la maison. Effectivement, on aurait pu attendre quelques heures, qu’il soit dans l’avion vers Alger, pour annoncer la nouvelle liste. Mais nous sommes en Algérie, dans un régime autocratique qui ne tient pas compte des formes.

Voici donc l’ancien ministre de l’Habitat et ministre du Commerce par intérim, Abdelmadjid Tebboune, nouveau Premier ministre. Qu’est-ce qui va changer avec lui ?

Probablement rien parce que le gros de la réponse du gouvernement algérien, à la chute des revenus pétroliers, a déjà eu lieu. C’est, en gros, une dévaluation rampante du dinar en 2014-2015, puis une réduction relativement forte des importations qui greffent les dépenses en devises, notamment. Donc, maintenant, il s’agit surtout de travailler sur les gaspillages dans l’économie interne ; les gaspillages de carburant, les gaspillages d’électricité, les gaspillages de l’eau, aussi, qui est subventionnée très fortement. Et ça, ça suppose des réformes profondes avec un gouvernement qui ait une vraie feuille de route, autant de choses qu’on ne connait pas à monsieur Tebboune. Donc, on ne s’attend pas à des miracles avec monsieur Tebboune.

Voilà des années que le gouvernement promet de réduire la dépendance au pétrole et de diversifier l’économie algérienne. Et pourtant, apparemment, il n’y arrive pas, non ?

Il n’y est pas suffisamment arrivé. On peut dire que - par rapport à la dernière grosse chute du prix du pétrole, qui a coûté à l’Algérie l’entrée dans une phase de très forte turbulence, à la fin des années 80 -, celle-ci [la chute du prix du pétrole, NDLR], celle qui a débuté en 2014, présente quand même une différence. Il y a un secteur privé qui est plus important en Algérie [aujourd’hui, NDLR] que dans les années 80. Ca a permis d’amortir d’ailleurs beaucoup le risque, ce secteur privé ne dépendant pas entièrement de la rente pétrolière. Il créée de la valeur et de la richesse en dehors de ce secteur. Néanmoins, pour un pays de 40 millions d’habitants avec une forte avancée démographique, la diversification, le rythme de la diversification, est trop long. Et c’est le volet le plus noir du bilan des années Bouteflika. Bouteflika a empêché l’émergence d’un secteur industriel privé fort parce qu’il voulait le contrôler. Il voulait que ce soit le premier cercle, le plus proche de lui, qui en soit le moteur et qui en bénéficie le plus.

Il l’a verrouillé ?

Absolument. L’exemple le plus spectaculaire est le fait qu’il bloque les investissements du premier industriel du pays, monsieur Issad Rebrab - c’est le patron de Cevital - qui a racheté, entre autres, l’ancienne Brandt dans l’électroménager en France, il y a trois ans. En Algérie, il est poursuivi, bloqué, empêché de se développer parce que, dans le cadre d’une lutte de clans, monsieur Bouteflika et les amis, surtout, de monsieur Bouteflika jugent qu’ils devraient profiter de leur avantage politique pour changer le rapport de forces dans le capitalisme algérien.

L’autre grande surprise de ce remaniement de la semaine dernière [autour du 28 mai, NDLR], c’est le départ de Ramtane Lamamra, le célèbre ministre des Affaires étrangères. A quoi est-ce dû ?

On dit à Alger qu’il commence à faire ombrage à Bouteflika, qui se considère toujours comme étant le premier diplomate du pays, en dépit de son immobilité et de son incapacité à interagir avec son environnement. Moi, je suis plus réservé. Moi, je pense qu’on a créé une situation bancale, il y a deux ans, lors du dernier remaniement, en créant, en fait, un ministre des Affaires étrangères et un ministre bis, monsieur Abdelkader Messahel, qui était en charge des Affaires africaines et du Maghreb. Et ça a provoqué une entropie, un désordre incroyable, dans la communication internationale de l’Algérie. Pourquoi c’est Lamamra qui en fait le sacrifice et pas Abdelkader Messahel ? A mon avis, c’est parce qu’Abdelkader Messahel est un ami du premier cercle et, qu’au moment de trancher, c’est ça qui a prévalu.

Certains disent qu’Abdelaziz Bouteflika a limogé d’Abdelmalek Sellal pour mieux le préparer à la présidentielle de 2019 ?

Ce n’est pas l’habitude de la maison, en Algérie. En Algérie, on n’a pas cette tradition de mettre en réserve. D’abord, il n’est pas du tout certain que la famille Bouteflika, notamment Saïd, qui est un peu le fondé de pouvoir de son frère, ait pu jouer un quelconque rôle dans l’après-Bouteflika. On a bien vu qu’à plusieurs reprises, la famille se désintéresse de cet après-Bouteflika, au sens où elle sait que ce n’est pas elle qui désignera le successeur. Ce n’est pas comme ça que ça se passe. Ce sont plutôt les militaires qui reprendront la main pour nous proposer - j’espère que les Algériens auront leur mot à dire - l’homme fort de l’après-Bouteflika. De mon point de vue, ça ne peut pas être d’Abdelmalek Sellal. Son bilan est finalement - et on s’en rendra compte de plus en plus avec le recul - trop négatif pour qu’il puisse prétendre jouer ce rôle à la tête du pays.

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Voir les autres épisodes
Page non trouvée

Le contenu auquel vous tentez d'accéder n'existe pas ou n'est plus disponible.