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Le grand invité Afrique

Bachir Ben Barka : «J’espère que ces documents vont enfin nous aider à avancer»

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Comment est mort l'opposant marocain Mehdi Ben Barka ? Cinquante-deux ans après son enlèvement en plein Paris - c'était le 29 octobre 1965 -, l'Etat français s'apprête à déclassifier 89 nouveaux documents des services de renseignement français qui, jusque-là, étaient secret défense. Pour la transmission de ces pièces à la justice française, il ne manque plus que l'accord du ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian. Réaction de Bachir Ben Barka, fils du célèbre opposant marocain. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

Bachir Ben Barka, le fils de l'opposant marocain Mehdi Ben Barka, pose avec le livre de son père «Ecrits politiques (1957-1965)».
Bachir Ben Barka, le fils de l'opposant marocain Mehdi Ben Barka, pose avec le livre de son père «Ecrits politiques (1957-1965)». AFP PHOTO JEFF PACHOUD
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RFI : Cinquante-deux ans après la disparition de votre père quelles sont les questions qui restent en suspens ?

Bachir Ben Barka : Ce sont les mêmes qu’on a posées le premier jour. A savoir qu’est-il arrivé à mon père, comment est-il mort, qui sont ses assassins, où est son corps ? Et de manière beaucoup plus large : est-ce que toutes les responsabilités ont été établies ?

Et notamment les responsabilités françaises ?

Françaises, bien sûr, et marocaines. C’est un crime d’Etat. Je dirais Etats au pluriel. La décision politique a été prise au niveau marocain, mais les complicités très fortes sont françaises. Ce sont des policiers français qui ont interpellé mon père. C’est un agent des services français qui était présent. Les responsabilités françaises sont fortes.

On sait que deux policiers français - Louis Souchon et Roger Voitot - et un agent des services secrets français basé à Orly - Antoine Lopez - sont en effet impliqués dans le rapt de votre père. Et dix-huit mois plus tard, en juin 1967, ces trois hommes ont été condamnés par la justice française à plusieurs années de prison. Pourquoi cela ne vous satisfait-il pas ?

Ce sont des exécutants. Les deux policiers ont été là soi-disant pour rendre service à une demande que leur a formulé Antoine Lopez, qui lui-même rendait un certain nombre de services au sécuritaire marocain, au service secret marocain. Derrière Antoine Lopez, derrière Souchon et Voitot, il y a les services secrets marocains. Il y a la volonté du roi du Maroc, Hassan II, de mettre fin aux activités de mon père.

Après la disparition de votre père, Charles de Gaulle a déclaré : « Tout cela n’a rien que de vulgaire et de subalterne ». Sous-entendu : aucun haut fonctionnaire français et a fortiori aucun ministre français n’est dans le coup. Qu’est-ce que vous en pensez ?

La question c’est de préciser ce que ça veut dire « dans le coup ». Ce qui est certain, c’est que très rapidement au niveau de la préfecture de Paris, au niveau du préfet Papon, au niveau du ministre de l’Intérieur Frey quasiment tout ce qui s’est passé, ils le savaient. Donc ils ont été mis au courant rapidement, par ce qui a pu raconter l’un des protagonistes, Georges Figon. Donc ce qui veut dire que mon père a été enlevé le vendredi, qu’au plus tard le dimanche ou lundi, les autorités françaises, au niveau du ministère de l’Intérieur, au moins, étaient au courant de ce qui s’est passé et des protagonistes. Ça n’a pas empêché des rencontres entre le ministre français de l’Intérieur et le ministre marocain de l’Intérieur, ça n’a pas empêché une rencontre à l’ambassade du Maroc où a été présent cette fois-ci un représentant du ministre français. Et ce n’est qu’après le départ précipité de tous les protagonistes – ministre marocain de l’Intérieur, le chef des services secrets marocains, les truands français et les agents marocains – que les frontières ont été fermées. Donc là aussi, peut-être qu’en amont, qu’avant la disparition de mon père, les autorités françaises ou au niveau politique – c’est-à-dire du ministère français de l’Intérieur – ils n’étaient peut-être pas au courant. Et ça aussi, c’est une question qui reste encore à éclaircir – ils n’étaient pas au courant de la préparation du crime – toujours est-il que le lendemain de l’enlèvement de mon père, rien n’a été fait pour empêcher les criminels de quitter le pays, de quitter le sol français. Donc vu l’étendue du scandale, le général de Gaulle, selon ses propres termes, devait sauver l’honneur du navire et a décrété cet aspect vulgaire et subalterne pour que la raison d’Etat empêche l’enquête d’aller plus en profondeur.

La nouveauté aujourd’hui, c’est que la France s’apprête à déclassifier de nouveaux documents – 89 exactement – qui vont de 1964 à 1966. La Commission du secret de la défense nationale a donné son feu vert. Il ne manque que celui du ministre Jean-Yves Le Drian. Quelle est votre réaction ?

Nous attendons cette confirmation pour que le juge puisse prendre connaissance du contenu. Maintenant, reste à savoir ce qu’il y a dans ces documents. Là aussi, vous précisez qu’il ne reste plus que quelques jours pour que Le Drian prenne sa décision. Il n’est jamais trop tard. Il y a déjà sept ans que le juge d’instruction de l’époque Patrick Ramaël avait fait une perquisition dans les locaux de la DGSE, où il a pu se saisir d’un certain nombre de documents et bien sûr avec la présence du président de cette Commission consultative. Cependant, on a pu constater qu’après la saisie d’un certain nombre de documents que le juge Ramaël voulait saisir, la Commission dans sa réunion plénière, a déjugé son président. Et que bien que celui-ci ait jugé intéressant de saisir un certain nombre de documents, la Commission a maintenu couverts par secret défense quasiment les trois quarts des documents saisis. Alors est-ce qu’aujourd’hui ce sont ces documents-là qui sont déclassifiés ? Nous attendons de voir leur contenu pour pouvoir porter un jugement. Toujours est-il que ce que j’espère c’est qu’enfin une partie de ces documents vont pouvoir nous aider à avancer. Jusqu’à présent, tous les documents qui ont été déclassifiés n’ont pas apporté toutes les réponses que nous attendions de la justice.

Le feu vert de l’Etat français tombe quelques jours avant le départ de François Hollande de l’Elysée. Est-ce que c’est une simple coïncidence ?

Nous constatons que cinq ans d’efforts de notre part n’ont pas amené de résultat durant ces cinq années et que c’est en fin de mandat que les choses semblent se débloquer. Je dis bien semblent se développer, parce que là aussi, nous avons été très souvent échaudés. Mais ce que je peux souhaiter, c’est que ce geste du côté des autorités françaises va appeler un geste équivalent du côté des autorités marocaines pour débloquer la situation côté marocain aussi. Parce que la vérité de mon père se trouve aussi bien en France qu’au Maroc et ça fait maintenant, près de quinze ans, que les autorités marocaines ne répondent pas aux commissions rogatoires des juges d’instruction français. Donc j’espère qu’à ce geste français va correspondre un geste marocain pour avancer dans la recherche de la vérité.

Est-ce qu’avant son départ François Hollande voudrait soulager sa conscience ?

Je ne sais pas ce qu’il pourrait avoir sur la conscience. En tout cas, il est certain que pendant cinq ans il n’a pas répondu à nos demandes. Par deux fois, le président du Comité pour la vérité sur l’enlèvement de Mehdi Ben Barka, le magistrat Louis Jouannet, a écrit au président Hollande pour solliciter une audience et il n’a reçu aucune réponse. Alors est-ce que c’est peut-être cela qui a fait que le président Hollande fasse ce geste ? Je ne sais pas.

La Commission sur le secret-défense a donné son accord, mais le ministre Le Drian ne l’a pas encore donné. Or, il quitte ses fonctions dans quelques jours, la semaine prochaine. Est-ce que vous êtes inquiet ?

Jusqu’à présent, le ministre a suivi l’avis de la Commission. Il n’y a pas de raison pour que cette fois-ci il ne le fasse pas.

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