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Le grand invité Afrique

Monseigneur Milandou sur le Pool: «On fuit les hommes en armes»

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C’est une parole rare. L’archevêque de Brazzaville Monseigneur Milandou sort de son habituelle réserve. Évêque du Pool durant la guerre civile de 1997-1998, il porte aujourd’hui un regard sévère et inquiet sur le conflit qui y oppose depuis un an forces de sécurité et partisans de Frédéric Binsamou, alias Pasteur Ntumi (leader des rebelles Ninjas du Pool), avec des populations civiles prises en étau. Monseigneur Anatole Milandou s’est confié à notre envoyée spéciale à Brazzaville Florence Morice. 

Un panneau à l'entrée de Kinkala, dans le Pool (photo d'illustration).
Un panneau à l'entrée de Kinkala, dans le Pool (photo d'illustration). Laudes Martial Mbon / AFP
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RFI: Vous êtes originaire du Pool. Quel regard aujourd’hui portez-vous sur la situation dans ce département du Congo ?

Monseigneur Anatole Milandou : Le regard ? Celui de tout le monde. C’est une région qui se détruit. Avant de partir de ce diocèse, j’avais dit à monseigneur Portella (Ndlr: Louis Portella Mbuyu) qui m’a remplacé, « malheureusement, je suis en train de te laisser des ruines » parce que la guerre continue.

C’est une guerre donc aujourd’hui ?

Je pense que c’est une guerre. Les gens sont déplacés, les gens souffrent. Tout dernièrement, on l’a même vu, il y a déjà des malnutris qui sont arrivés ici. C’est les conditions que nous ne connaissons pas très bien, dans quelles conditions les gens vivent puisque les gens sont déplacés de leur village. Cela pose beaucoup de problèmes.

Cela veut dire qu’il y a des difficultés à savoir ce qui se passe réellement dans le Pool, qu’il y a des zones aujourd’hui encore à huis-clos ?

Je suis allé voir monseigneur Portella qui est l’évêque de Kinkala. Le diocèse était fermé, jusque-là, c’était fermé. On n’y mettait pas pied. Moi, j’ai deux paroisses ici qui sont fermées. Personne ne peut y aller. Les prêtres n’y vont pas et n’y sont pas puisqu’on a forcé les populations à sortir de là. Donc c’est ce manque d’informations que nous n’avons pas, c’est difficile de savoir réellement ce qui se passe. C’est pourquoi parfois, on s’enferme dans le silence. Mais tout dernièrement, on a vu à l’hôpital, des cas de malnutritions.

Les autorités congolaises disent qu’il n’y a pas de crise dans le Pool aujourd’hui ?

Il y en a qui disent qu’il n’y a pas de crise ? Mais nous savons que c’est une crise. Les gens souffrent.

Que fuient les populations aujourd’hui qui quittent leur village dans le Pool ?

On fuit toujours les hommes en armes. Mais là, les gens sont forcés, les hommes en armes forcent les gens à partir, à quitter le village, à vider les villages. Je pense que c’est une technique, je ne peux pas en dire plus.

Les hommes en armes, vous voulez dire aussi bien les partisans du pasteur Ntumi, que les forces de sécurité congolaises ?

Oui, puisque l’armée dans sa méthode voudrait vider les populations des villages pour peut-être mieux cerner le problème de Ntumi. Je pense à ça.

L'Hotel de ville de Kinkala, chef lieu du département du Pool.
L'Hotel de ville de Kinkala, chef lieu du département du Pool. DR

Dans ce contexte, est-ce que vous pensez que le Congo est prêt à tenir des élections législatives ?

Il y en a qui pensent qu’ils vont les tenir. Pour nous, franchement, je ne vois pas comment les gens peuvent aller battre campagne dans cette région. Déjà les gens ne sont pas sur place, ils ne sont pas dans les villages. Je ne sais pas comment ils iront battre campagne.

Que faudrait-il faire aujourd’hui pour sortir de cette situation ?

Sortir de cette situation ? On parle toujours de solutions politiques.

C’est un problème politique ?

Je pense. Nous essayons de faire quelque chose, mais on n’y arrive pas. Ces questions-là, il faut les poser à ceux qui se battent, à ceux qui sont sur le terrain, à l’armée et au pasteur Ntumi.

Est-ce que l’Eglise a tenté une médiation ou tente actuellement une médiation ?

L’Eglise a toujours proposé quelque chose, même en silence on essaie de faire quelque chose. Il y en a qui n’en veulent pas.

Qui n’en veut pas ?

Les choses qui nous parviennent, il y en a qui ne sont pas d’accord que l’Eglise aussi s’implique dans ce genre de choses.

Vos autorités vous ont parfois « rappelé à l’ordre » sur votre devoir de réserve ?

Non. Simplement, il y a des gens qui ne veulent pas que cette guerre cesse. C’est un fonds de commerce aussi.

Pour l’armée congolaise ?

Je ne sais pas. Mais ça profite à quelques-uns en tout cas. La première guerre, c’était comme ça. On a senti que c’était un fonds de commerce.

C’est pour cette raison que depuis un an, le pasteur Ntumi n’a toujours pas pu être arrêté ?

Mais ça, je ne peux pas le dire puisque nous sommes dans des hypothèses sur ce qui se passe, pourquoi le pasteur Ntumi n’est pas attrapé. Cela il faut le demander à l’armée qui a des stratégies sur place et qui n’arrivent pas à attraper le pasteur. On ne sait pas si le pasteur est vraiment conscient de ce qui se passe. Il vient dire ce qui se passe, réellement quel est le sens de son combat. Et quand on voit que les gens sont en train de souffrir, il peut dire « à cause de ça, je me rends, vous me donnez la liberté de m’exprimer, puis je me rends ». Aujourd’hui, je pense que si vraiment il y a de la bonne volonté de part et d’autre, cela peut se faire. Il a des lieutenants, il y a des gens sur qui il peut compter et qui peuvent négocier, ou pas, mais qui peuvent venir à Brazzaville, qui peuvent préparer son retour.

Donc il faut plus de bonne volonté de part et d’autre aujourd’hui, et du dialogue ?

De dialogue ? Depuis le temps qu’on en parle. Nous avons essayé depuis de faire quelque chose, mais rien n’a abouti. Donc, il faut poser les questions à ceux qui se battent sur le terrain. Je ne sais pas quelles sont les raisons de se battre.

Quel message voulez-vous adresser aux populations qui subissent cette crise ?

Les populations, les pauvres populations. Tout dernièrement, j’ai décidé de parler aux jeunes. Qu’est-ce qu’il faut leur dire ? Souvent ce sont des paroles de mensonges quand on sait que leur avenir est bouché.

On vous sent un peu exaspéré de voir l’histoire peut-être se répéter vingt ans après cette guerre à laquelle vous avez assisté ?

Bien sûr qu’on est désespérés et exaspérés aussi, puisque j’ai connu, j’étais évêque de Kingala avant. Nous avons fait ce qu’on pouvait faire pour essayer de diminuer les souffrances. Et ça revient, un perpétuel recommencement. Finalement, cela ne nous réjouit pas.

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