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Le grand invité Afrique

M. Saleh Haroun: «Idriss Déby m’a demandé» d'entrer au gouvernement

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Mahamat Saleh Haroun, est le nouveau ministre tchadien du Développement touristique, artisanal et culturel... Au Tchad et partout en Afrique, la nouvelle fait sensation. Pourquoi le célèbre cinéaste, qui a été primé à Cannes en 2010, accepte d’entrer en politique et de participer à un gouvernement d’Idriss Déby ? Avant son départ pour Ndjamena, le réalisateur d’Un homme qui crie, répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

Le réalisateur tchadien Mahamat Saleh Haroun, prix du jury du 63e Festival de Cannes pour son film «Un Homme qui crie n'est pas un ours qui danse», le 23 mai 2010.
Le réalisateur tchadien Mahamat Saleh Haroun, prix du jury du 63e Festival de Cannes pour son film «Un Homme qui crie n'est pas un ours qui danse», le 23 mai 2010. Reuters/Jean-Paul Pelissier
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Pourquoi avez-vous accepté la proposition d’Idriss Déby d’entrer au gouvernement ?

Mahamat Saleh Haroun : Je l’ai acceptée parce que le président de la République me l’a demandé. Et en tant qu’étoile brillante de ce pays-là, je parle sur le plan culturel, j’aimerais bien que le Tchad ne soit plus un désert culturel. Et j’ai accepté d’aller donner un coup de pouce pour que d’autres personnes, notamment des jeunes, puissent continuer à rêver et puissent continuer à faire des films pour que l’aventure du 7ème art au Tchad ne s’arrête pas le jour où je mourrai, sachant qu’au Tchad, l’espérance de vie est de 51 ans. Moi j’en ai 57.

Cette école de cinéma, pourquoi vous y tenez tant ? Que voulez-vous apprendre aux jeunes générations ?

Je voudrais apprendre l’amour du travail bien fait, une certaine forme d’exigence parce qu’il me semble que le laisser-aller est devenu une sorte de culture contemporaine, alors que, quand on ne fait pas les films, c’est les autres qui se permettent de donner une représentation de nous-mêmes avec leurs propres regards. Et je voudrais bien qu’un regard tchadien se pose sur la société tchadienne.

Avec la rigueur et la méthode de Mahamat Saleh Haroun ?

Oui, j’aimerais bien la transmettre, oui. Parce que si je suis un vent, j’aimerais bien me transformer en une brise, qui elle-même se transformerait en un harmattan qui viendrait prendre le relais. Il faut transmettre pour ne pas mourir, c’est très important ça.

Alors augmenter le budget de la culture en pleine crise pétrolière et au moment où le gouvernement tchadien peine à payer ses fonctionnaires, n’est-ce pas un défi impossible ?

Non, ce n’est pas impossible. Je pense qu’il faut qu’on trouve les moyens d’augmenter cela parce que cela n’est pas arrivé depuis plusieurs années. Et si ce département qui regroupe le développement touristique, l’artisanat, la culture n’a pas en fait les moyens nécessaires, il ne pourra pas accomplir des choses. Donc il me semble légitime de réclamer une augmentation. On verra bien si je l’aurai ou pas, pour faire bouger des lignes, pour pouvoir faire des choses.

C’est quand même un beau cadeau que vous faites à Idriss Déby en donnant votre nom et votre prestige au futur gouvernement tchadien. Est-ce qu’en échange, vous lui avez demandé des garanties budgétaires ?

J’ai demandé des moyens et le président a promis de me les donner. Donc jusque-là, c’est un homme qui tient parole. Je le connais assez bien. Donc il me fait un beau cadeau et je le lui rends parce que je pense qu’il a fait un beau cadeau pour ce pays qui a connu autre chose, l’horreur avant lui. Et aujourd’hui il y a pas mal de gens qui peuvent s’exprimer librement sans qu’on attente à leur vie. Tout n’est pas parfait bien entendu, mais si je peux apporter mon aide pour allumer des bougies pour que l’obscurité puisse disparaître à jamais, je ne recule pas devant ça.

En fait, le président Déby a décroché lui-même son téléphone pour vous convaincre ?

Oui, c’est un peu ça (rires), oui.

En avril 2016, la réélection d’Idriss Déby a été très controversée. Pour l’opposition, le Tchad est gouverné par des fraudeurs. Ne craignez-vous pas qu’on dise : « Haroun est désormais le complice de ces gens-là » ?

Non. D’abord, je n’ai pas suivi les élections parce que je n’étais pas au Tchad. Puis on ne peut pas m’accuser de cela s’il y a eu fraude pour la simple raison que je n’ai pas participé à cette campagne, je n’ai rien fait. Donc moi, je ne me sens responsable en rien. J’ai la conscience tranquille.

Est-ce qu’on peut être à la fois ministre et cinéaste ?

C’est possible. A un moment donné, la fonction ministérielle bien entendu prend le pas sur la fonction de cinéaste. Mais il n’est pas question pour moi de laisser mon métier de cinéaste. Je reviendrai au cinéma sans doute après cette mission qui est comptée dans le temps. Je ne suis pas là pour l’éternité. Une fois que j’aurai réalisé quelques missions qui me semblent importantes, je reviendrai à mes premières amours et je continuerai à faire des films.

Oui parce que dans votre esprit, c’est plus une parenthèse qu’un tournant dans votre carrière ?

Absolument, une parenthèse pour que germent d’autres cinéastes, pour qu’ils prennent le relais.

Les gens aiment vos films parce qu’ils sont ceux d’un homme libre, racontant les histoires d’hommes libres, notamment d’adolescents qui essaient de s’affranchir. Mais aujourd’hui, est-ce que vous ne vous mettez pas un fil à la patte ?

Non, pourquoi voudriez-vous que je ne dise pas ce que je pense. Il y va de ma conscience. Philosophiquement, je ne changerai pas. Je dirai ce que je pense et je continuerai à le faire.

Vous ne craignez pas qu’on dise par exemple : « il s’associe à un régime autoritaire où il n’y a pas d’alternance » ?

Non, je ne crains pas du tout ça parce que, quand on a le cœur pur, on n’a pas besoin de se faire des soucis. Et je ne ferai pas ce que ma conscience ne me permet pas.

C’est-à-dire que vous n’accepterez pas des atteintes aux droits de l’homme par exemple ?

Non, je n’accepterai pas des atteintes aux droits de l’homme. Voilà, mais vous savez, il n’y a pas dans le monde de démocratie parfaite. C’est un peu comme si vous disiez, parce que des policiers blancs avaient tué des Noirs aux Etats-Unis, que Barack Obama devait démissionner parce que lui-même était Noir. En réalité, il faut relativiser les choses. Et on ne peut pas en permanence attendre de l’Afrique une sorte d’efficacité qui serait supérieure au reste de l’humanité. Je rappelle que la France a mis plus de 150 ans pour accorder le simple droit de vote aux femmes, après 1789. La démocratie est une construction permanente. Et moi, si je suis au Tchad, c’est peut-être aussi pour participer à la construction d’une démocratie.
 

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