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La semaine de

«117, rue Agar, Paris»

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Dans les vicissitudes de leurs pérégrinations, les « migrants », depuis toujours, mettent tous un point d’honneur à sauver les apparences. Peu importe que l’eldorado européen soit un enfer ! L’essentiel est que cela ne se sache pas.

Jean Baptiste Placca.
Jean Baptiste Placca. RFI
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Anthony Lattier : C’est, en quelque sorte, un post-scriptum que vous nous proposez, pour compléter la série de reportages que nos auditeurs ont pu suivre, cette semaine, sur la route des migrants, notamment avec leurs secrets inavouables… Dites-nous, d’abord, pourquoi vous intitulez votre édito : « 117, rue Agar » ?

Jean-Baptiste Placca : C’est une rue qui existe, dans la réalité, et elle est située dans un chic arrondissement de Paris. Seul le numéro que nous donnons à l’adresse n’est pas le bon, vous comprenez pourquoi.

L’histoire remonte à la fin de l’hiver 1977, et c’est celle d’un de mes cousins, que j’aime beaucoup. Après ses études secondaires, il avait enseigné pendant quelques années dans un collège de Lomé, au Togo. Il menait une vie qui pouvait paraître enviable à bien des jeunes de son âge. Mais il visait mieux et, pour cela, il avait, croyions-nous, suffisamment économisé pour financer ses études jusqu’à l’expertise comptable. Il était donc parti depuis quelques années en France, poursuivre ses études. En juillet et août 1977, il était revenu au pays, en vacances. Etudiant au Cameroun, j’étais, moi aussi, rentré. L’image qu’il donnait à voir me paraissait rassurante, quant à la vie qu’il pouvait mener à Paris. Je lui ai annoncé que la troisième année de mon école de journalisme me conduirait, au premier semestre de l’année académique, à l’Université Paris II, Panthéon-Assas. Il me donna donc son adresse.

Son adresse ? Pas son téléphone ?

Non. Juste l’adresse, ce qui n’était pas anormal, à cette époque. L’on ne connaissait pas encore le portable. Un soir de mars 1978, mon petit guide de Paris en poche, je m’engouffre dans le métro, à destination du domicile de mon cher cousin. Quand c’est ainsi, en chemin, l’on se construit toutes sortes d’images idylliques, sinon chimériques, sur le cadre de vie de son parent. Je descends au métro Jasmin, m’oriente tant bien que mal. Je me perds un peu, mais finis par trouver la rue Agar. A son numéro, il y avait un hôtel particulier, d’où s’échappaient quelques notes de piano… Je me dis en mon for intérieur : je savais bien que mon cousin s’en sortirait, mais, à ce point ? Vraiment ! Il faut monter cinq ou six marches pour atteindre la porte. Je sonne, et elle s’ouvre sur une belle dame qui, sans même me laisser prononcer un mot, me lance : « Les Africains, c’est à l’arrière ! » Je fais le tour, et sonne. Une autre dame ouvre et, désignant des escaliers s’enfonçant sous l’immeuble, me dit : « Les Noirs, c’est en bas ! ».

C’était donc le début de la désillusion…

Peut-être, mais tout n’était pas perdu. Je dois toucher le mur pour descendre les escaliers dans le noir. Le temps de m’habituer à la nuit profonde, j’aperçois un minuscule rai de lumière, émanant d’une porte. J’entends le bruit d’une télévision au volume anormalement élevé. Je frappe et on m’ouvre. Je dis le prénom de mon cousin et, d’un grand geste, l’inconnu me fait signe d’entrer. Je ne peux faire plus de deux pas. Des pieds, des jambes, partout. Ils sont bien dix ou douze, dans cette pièce qui fait à peine une fois et demie ma chambre à la résidence universitaire. Collé au mur, un grand lit, sur lequel semblent dormir profondément deux personnes, tandis que les autres causaient, commentant la campagne des législatives 1978. Mon cousin semble déstabilisé de me voir débarquer ainsi dans son antre. Il me présente en bégayant à ses amis. Suit un long silence. Ils venaient de manger, et la pièce puait le piment et la sardine en boîte. Je détends l’atmosphère en ramenant la discussion sur les législatives et un discours que Valéry Giscard d’Estaing venait de prononcer à Verdun-sur-le-Doubs. L’ambiance revient un peu à la normale. Je demande alors à mon cousin comment se déroulent ses études.

« Je te raconterai en te raccompagnant », me chuchote-t-il. La discussion sur les législatives se poursuit. « Et ton travail, comment cela se passe ? », lui chuchoté-je, à mon tour. « On en parlera tout à l’heure, en partant » répond-il, tout bas. J’ose une troisième question et, à la réponse laconique qu’il me fait, je comprends qu’il ne pouvait décidément me répondre rien de sincère en présence des autres…

C’est exactement cet état d’esprit que l’on a retrouvé, cette semaine, dans les reportages diffusés sur RFI…

Vous ne croyez pas si bien dire… Me raccompagnant au métro, mon cousin m’avouera néanmoins à quel point la vie était dure, dans ce trou où ils vivaient à treize, dormant à tour de rôle. La vie était si dure qu’il ne pouvait même plus poursuivre ses études. Et lorsque je lui fais remarquer que tout semblait pourtant aller pour le mieux pour lui, lorsque je l’ai vu pendant les vacances, il me confiera qu’il avait travaillé juste quelques semaines, pour se payer le voyage et de quoi paraître. Après les vacances, il avait retrouvé la galère, et même le pire de la galère.

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