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Le grand invité Afrique

Thierry Perret: l’Algérie cherche une «voie autre par rapport à tous les extrémismes»

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L’Algérie est-elle une société bloquée ? Non, répond l’essayiste français Thierry Perret, qui a été attaché culturel à Alger,  de 2010 à 2014, et qui publie aujourd’hui, aux Editions Henri Dougier, Les Algériens si méconnus. Comment l’Algérie se prépare-t-elle à l’après-Bouteflika et à l’après-pétrole ? Notre ancien confrère de RFI répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

Thierry Perret.
Thierry Perret. RFI
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RFI : Pourquoi dites-vous que l’Algérie d’aujourd’hui a une « peur impalpable » de l’avenir ?

Thierry Perret : Parce que je pense que c’est un pays qui est en train encore de sortir du long héritage de la décennie noire, les années 90, et qu’on commence à sentir -et peut-être c’était un des objets du livre-, que quelque chose d’une résilience est déjà en train de se produire et qui s’exprime dans la société, dans le mouvement social, dans la culture.

Mais en même temps, vous soulignez que la société algérienne d’aujourd’hui est « plus conservatrice et plus empreinte de religiosité » que celles d’avant ?

Il y a plusieurs analyses en la matière. Moi, j’ai tendance à dire, avec d’autres d’ailleurs, que ce conservatisme qui s’exprime dans une piété un peu appuyée, qui s’exprime peut-être aussi dans les difficultés vécues aujourd’hui par les femmes, pour leur émancipation…

Le port du voile de plus en plus fréquent ?

Le port du voile de plus en plus fréquent, même si ça n’est pas une domination sans exclusif, par exemple dans les grands centres urbains, les tenues vestimentaires restent très hétérogènes. Ça, il faut quand même toujours le souligner. Je pense que la religion a servi à sécuriser un petit peu les esprits, à reconstituer une forme collective là où le collectif a beaucoup souffert de la décennie 90 puisque tout le monde finalement avait peur de son voisin, parfois de son frère, et ça a beaucoup joué contre la solidarité, le sentiment de constituer une Nation.

Puis vous dites que « les nouvelles couches sociales exclusivement arabophones ont restreint l’espace des classes moyennes occidentalisées ». Est-ce que la Francophonie est menacée ?

Ce recul, pour dire vite, des francophones occidentalisés, en fait il est depuis l’indépendance. Il y a eu certainement un coup d’accélérateur donné, et c’est une des conséquences de la décennie noire avec l’afflux massif de ruraux, et les francophones expriment souvent leur malaise. C’est sûr que leur espace symbolique, leur espace d’épanouissement dans les modes de vie, dans les mœurs, etc. s’est restreint et qu’il faut en tenir compte aujourd’hui.

De 2010 à 2014, vous avez été attaché culturel à l’ambassade de France à Alger, est-ce que pendant ces quatre ans, vous avez vu la Francophonie reculer ou pas ?

Non. Clairement non, parce que de toute façon, la Francophonie se porte bien en Algérie. On en a des illustrations permanentes, y compris récemment encore, les phénomènes autour de la littérature et d’un auteur comme Kamel Daoud, Kamel Daoud qui ne fait pas partie comme beaucoup d’autres de la diaspora qui vit bel et bien en Algérie. Et cette présence de la Francophonie est prise en compte, je pense, par les autorités. Là actuellement, on a tout un débat justement sur la réintroduction, la restimulation du français dans le système éducatif.

Alors Kamel Daoud, on en parle beaucoup depuis ce prix Goncourt qu’il a failli avoir en 2014. Mais est-ce qu’il n’est pas plus connu en France qu’en Algérie ?

Non, en Algérie il est très connu comme chroniqueur du Quotidien d’Oran et, depuis des années, il s’est illustré justement par sa plume très acerbe, très critique, pleine d’inventions aussi. Il reste très ancré dans son pays, l’Algérie.

Sur le plan politique, il y a deux dates clés : en 2011, le « printemps arabe » s’arrête aux frontières de l’Algérie, et en 2014, les mouvements civils d’opposition, comme « Barakat » (« Ça suffit ») n’empêchent pas Abdelaziz Bouteflika d’être réélu pour une quatrième fois. Pourquoi cette paralysie de la société algérienne ?

Je ne parlerais pas de paralysie. Encore une fois, c’est une évolution très lente. Et ce phénomène de, vraiment il faut parler de résilience, est certainement lié à la sortie progressive d’un traumatisme exceptionnel. Il y a certainement le souvenir du chaos des années 90 qui maintient quand même un certain consensus autour de la nécessité de préserver la paix. Voilà.

Ce qui est intéressant dans votre livre, c’est que vous donnez la parole à des acteurs algériens, des leaders associatifs, des cinéastes, des auteurs, des chefs d’entreprise. Et l’un d’entre eux dit en substance: « Attention, il y a une rente pétrolière c’est vrai, mais le paquebot Titanic est en train de foncer sur l’iceberg. »

La formule a notamment été utilisée par ce think tank qui s’appelle Nabni [Think Tank citoyen algérien fondé en avril 2011 et dont la spécificité consiste en une démarche participative ; Ndlr], notre Algérie bâtie sur de nouvelles idées. Ça fait partie des générations aujourd’hui d’individus, de petits groupes, qui se manifestent pour proposer autre chose. Et Nabni va plus loin que de lancer des imprécations. Il propose des scénarios de sortie du tout pétrole à anticiper.

Votre conclusion est en demi-teinte : vous saluez ces milieux culturels qui débordent de vitalité à l’image de ces nouvelles maisons d’édition, comme Barzakh ou Medias Plus. Mais en même temps, vous dites que ces milieux se sentent cernés par un milieu hostile ?

Il y a une certaine déprime qui fait que, par exemple, la lecture de la presse peut être assez déprimante. On a l’impression que tout va mal. Et les innovateurs, tous ces nouveaux créatifs dans l’art plastique, le cinéma, et cetera, doivent, c’est vrai, lutter contre une ambiance, une certaine dépression.

Après Bouteflika, peut-il y avoir une vague islamiste qui submerge le pays ?

C’est très difficile à dire, mais le sentiment qu’on a lorsqu’on vit en Algérie, c’est que non. Là pour l’instant, il y a un équilibre fragile qui a été trouvé avec l’expression religieuse, un équilibre qui d’ailleurs passe par un appui plus important pour un plus grand ancrage dans l’islam traditionnel, c’est-à-dire l’islam confrérique, maraboutique. Il y a quand même de nombreux appels à réinstaurer un islam, peut-être un peu idéalisé, mais cet islam arabo-andalou qui était un idéal d’ouverture et de tolérance de cohabitation entre religions. L’Algérie est plus de ce côté, en train de chercher une voie, une voie autre par rapport à tous les extrémismes. Je pense que la volonté de lutter contre l’extrémisme n’a pas changé depuis la fin des années 90.


<i>Les Algériens si méconnus, </i>de l'essayiste français Thierry Perret, paru aux Editions Henri Dougier.
<i>Les Algériens si méconnus, </i>de l'essayiste français Thierry Perret, paru aux Editions Henri Dougier. DR

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