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Venezuela

Crypto-monnaie: le petro va-t-il relancer l’économie vénézuélienne?

Annoncée pour ce 5 novembre, la crypto-monnaie du gouvernement vénézuélien est déjà officiellement en service depuis quelques jours. Si ses chances de réussir à redresser l’économie du pays sont minces, elle est la première crypto-monnaie centralisée d’une potentielle longue série : plus d’une vingtaine de pays planchent sur des projets similaires.

Nicolas Maduro présente le livre blanc du petro pour son lancement à l'international.
Nicolas Maduro présente le livre blanc du petro pour son lancement à l'international. Reuters/Carlos Garcia Rawlins/File Photo
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C’est historique. Le 29 octobre dernier, le département de l’économie du Venezuela a ouvert à la vente aux particuliers la toute première crypto-monnaie d’Etat, le petro, et annonce qu’elle sera disponible sur son site web officiel et sur six plateformes d’échange. Cependant, nombre de spécialistes des crypto-monnaies demeurent sceptiques sur l’idée d’un « bitcoin centralisé » et géré par le régime vénézuélien. « Si Maduro n’arrive pas à donner confiance dans le petro, il va se griller définitivement, prévient Philippe Herlin, économiste et auteur de La fin des banques ? Apple, Bitcoin, Paypal, Google : comment la technologie va changer votre argent. Il ne pourra pas en refaire une autre dans six mois. »

Depuis plus de quatre ans, le Venezuela est englué dans une crise politique qui a fait sombrer l’économie du pays, déjà fragile : en défaut de paiement sur sa dette, le pays subit de lourdes sanctions économiques de la part des Etats-Unis. En août dernier, le bolivar, la monnaie nationale, a été amputée de cinq zéros pour tenter de la sauver d’une inflation prévue par le Fonds monétaire international à 1 000 000 % cette année – le plus haut au monde.

« Surfer sur la vague du bitcoin »

Annoncé en décembre 2017 par le gouvernement Maduro « pour surfer sur la vague du bitcoin, alors au plus haut », selon Jean-Baptiste Pleynet, spécialiste de la finance et des assurances, le petro intervient comme un énième pari pour tenter de redresser la politique monétaire du pays. Initialement, le petro devait être garanti par le pétrole – un petro équivaudrait alors à un baril de brut, soit environ 63 dollars à l’heure actuelle, et l’Etat s’engagerait à produire autant de barils qu’il émet de petro.

En février dernier, le gouvernement a commencé les pré-ventes de tokens, des « jetons » qui pourront théoriquement être échangés contre des petros une fois mis sur le marché. Un lancement en grandes pompes, puisqu’il prétend avoir récolté 735 millions de dollars dès la première campagne – sans donner de preuves. Par ailleurs, Maduro a promis d’augmenter la production de pétrole du pays de plus de 600 000 barils par jour. Il a aussi annoncé que le Venzuela ne serait pas seulement garanti par le pétrole mais aussi par les productions d’or et de diamants du pays.

« L’avantage d’une telle crypto-monnaie est qu’elle permettrait d’ouvrir l’achat de pétrole à tout le monde, suggère Philippe Herlin. Si vous pensez que la valeur du pétrole va monter, il est difficile pour vous d’en acheter. Alors qu’avec le petro – si le projet était sérieux – n’importe qui pourrait en acheter. »

Autre intérêt : payer les infrastructures du pays en petro. « L’entreprise payée en petro peut se dire que cette monnaie a une valeur, celle du cours du pétrole, certes fluctuante mais qui ne tombera pas à zéro comme le bolivar. Il pourrait potentiellement revendre ses petros contre une autre monnaie ensuite. » Néanmoins, adosser le taux de change de sa monnaie entièrement au pétrole dans un pays qui en tire déjà 96 % de ses ressources, c’est risqué, rétorque Matthieu Montalban, membre des Economistes atterrés.

« L’Equateur a été l’un des pionniers dans le lancement d’une monnaie numérique souveraine, le dinero electronico en 2014, qu’il a ouverte au transfert d’argent mobile en 2015, se remémore Silvia Bartolucci, chercheuse au Centre de Finance globale et de Technologie à l’Imperial College Business School de Londres. Cette monnaie était garantie par les actifs de la Banque de l’Equateur, qui avait le monopole des services – seules les entreprises de télécommunications d’Etat étaient légalement autorisées à fournir des services de paiements mobiles. » Malgré l’engouement des débuts, cette expérience fut un échec : « En 2017, le système a été abandonné par manque d’utilisateurs et de transactions : environ 71% des comptes ouverts étaient inactifs. » L’Etat équatorien a aussi ouvert le marché des paiements électroniques aux entreprises et banques privées. Un exemple à ne pas suivre pour le gouvernement Maduro et pour la multitude d’autres Etats qui, on le verra, prévoient aussi de se lancer dans le bain des cryptos.

« De la poudre aux yeux »

Pour ne rien arranger, des journalistes de l’agence Reuters se sont rendus en août dernier à Atapirire, petite bourgade au centre du Venezuela dans une région censée garantir une production des 5 milliards de barils espérés. Il y ont trouvé très peu d’activité de forage, des infrastructures vétustes, des routes en piteux état et une population affamée. « Le petro est annoncé à une valeur qui n’existe que dans l’imagination du gouvernement », assène, dans les colonnes de l’agence de presse, Rafael Ramirez, ancien ministre vénézuélien de l’Energie de Hugo Chavez aujourd’hui en exil dans un endroit tenu secret.

Le salut du petro viendra-t-il alors de son label de monnaie sécurisée ? « Non, réplique Jean-Baptiste Pleynet. C’est comme si on vous donnait des billets et qu’on vous offrait de les mettre dans des coffres-forts ultra sécurisés, imprenables. Super, vous avez une solution très sûre, mais vos billets ne valent rien quand même. Le gouvernement vénézuélien surfe sur cette confusion, c’est de la poudre aux yeux. »

La valeur d’une monnaie correspond à la confiance qu’on a en ceux qui l’émettent. Or, le Venezuela s’est mis beaucoup de pays à dos, Etats-Unis en tête. Donald Trump a d’ailleurs interdit à tout ressortissant américain de financer, fournir une aide technique ou acheter du petro.

Contourner le marché des transactions

Seuls les pays qui ne veulent plus ou ne peuvent plus commercer en dollars pourraient s’intéresser au petro. C’est le cas de l’Iran, qui subit un embargo américain, ou encore de pays comme la Russie ou la Chine, qui réfléchissent à se défaire du dollar dans leurs transactions internationales.

Qualifiant le petro de Maduro d’« escroquerie », le spécialiste de l’assurance Jean-Baptiste Pleynet imagine un petro généralisé entre plusieurs pays garanti par le pétrole, d’où qu’il vienne parmi les pays de l’organisation. Dans ce cas-là, « on distribue le sentiment de confiance, argue-t-il. En tant qu’investisseur, je n’ai pas du tout confiance dans le Venezuela mais je peux avoir plus confiance dans la Russie, et cette dernière peut s’engager au cas où le Venezuela ferait défaut. » Mais ce scénario impliquerait une grande coopération des membres de l’organisation.

Revenons au petro vénézuélien… qu’on ne trouve nulle part. « Il n’y a aucun signe du petro ici », clamait Igdalia Diaz, un artisan d’Atapirire à Reuters. L’agence a trouvé une poignée de personnes qui ont acheté des tokens lors de la prévente, mais aucun ne souhaite divulguer son identité et l’un d’entre eux affirme avoir été berné… Personne, au sein de la Superintendance des crypto-actifs, l’organisme censé gérer le petro, n’a répondu aux journalistes, aucun magasin ne semble accepter le petro à ce jour, et, sur les 16 places de marché « certifiées » par Maduro, seule Coinsecure, basé en Inde, a admis à Reuters travailler sur l’introduction du petro sur sa plateforme.

« Ne pas se faire doubler par les crypto »

Nicolas Maduro ne semble pas près de redresser l’économie du pays avec le petro... Pourtant, d’autres pays réfléchissent aussi au lancement de crypto-monnaies centralisées. Et ils sont nombreux : Kazakhstan, Dubaï, Emirats arabes unis, Suisse, Suède, Ukraine, Albanie, Japon, Vanuatu… Leur but : « Ne pas se faire doubler par les crypto » comme Bitcoin ou encore Ripple, « qui axe son développement sur le fait de pouvoir faire des virements de pays à pays instantanément et à coût presque nul », justifie Philippe Herlin. En effet, un virement bancaire est long et parfois coûteux. « En Suède, par exemple, la demande de monnaie liquide s’effondre rapidement et plus de 50 % des Suédois utilisent déjà des applications mobiles pour gérer leurs finances », ajoute Silvia Bartolucci.

Qu’en est-il en Afrique?

Consulté pour l’AFRO, projet de crypto-monnaie panafricaine lancé par la Fondation AFRO, basée en Suisse, le Dr Fortuné Ahoulouma du cabinet Labs-NS Avocats, fait le point sur la réglementations des crypto-monnaies dans le continent.

RFI : Quels pays africains sont les plus favorables aux crypto-monnaies ?

Dr Fortuné Ahoulouma : Sur le continent, l’Afrique du Sud est le pays le plus avancé en la matière. Sans reconnaître officiellement les crypto-monnaies comme des monnaies légales, le régulateur admet qu’elles puissent être utilisées à des fins de paiement. Il réfléchit d’ailleurs à mettre en place un système d’imposition.

Ce que fait l’île Maurice aussi est intéressant : le pays n’autorise ni n’interdit les crypto-monnaies. Il crée, comme en France ou au Royaume-Uni, des cadres dans lesquels il a lancé le projet, il observe puis il engage la discussion entre les initiateurs, les banques et les régulateurs.

Très souvent, les pays anglophones (Ghana, Nigeria, Kenya et Ouganda, notamment) sont dans une posture d’observation mais ne prohibent pas les crypto-monnaies, au contraire des pays francophones. Ils interdisent seulement les banques de les utiliser pour le moment - ce qui pourrait néanmoins tuer le circuit, selon moi.

Et les pays les plus réfractaires ?

En Egypte, le grand mufti du Caire a prononcé une fatwa contre le bitcoin et les crypto-monnaies. L’Algérie, qui, dans sa loi de finances de 2018, a interdit le recours aux crypto-monnaies. Le Maroc, bien sûr.

Le gouverneur de la Banque centrale de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), qui concerne les pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine [Uemoa : Sénégal, Burkina Faso, Mali, Togo, Bénin, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Niger, ndlr] estime que l'organisme n’a pas besoin de se pronocer sur le sujet : les crypto-monnaies ne sont pas des monnaies légales. Il y a globalement un refus des acteurs de la zone franc, en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale.

En Namibie, l’interdiction des crypto-monnaies a été accompagnée d’une analyse en détail du régulateur sur l’état de la législation autour des paiements mobiles. Il y a ici une démarche argumentée.

Y’a-t-il des crypto-monnaies d’Etat en Afrique ?

Le Zimbabwe, en décembre dernier, peu après la chute de Robert Mugabe, avait évoqué la possibilité de lancer un projet dans ce sens. La banque centrale a fait volte-face assez rapidement. Le président du Togo, lui, a reçu une plateforme chinoise de crypto-monnaies et évoquait le projet de recourir à la blockchain pour financer des petites et moyennes entreprises. Je suppose que cela renvoie à l’utilisation de crypto-monnaies potentielles.

Au Sénégal, il y a eu une rumeur de eCFA via une banque mais il y a eu un démenti au niveau de la BCEAO.

« La crypto-monnaie décentralisée a le pouvoir de donner de la confiance là où il n’y en a pas. Mais une crypto-monnaie centralisée peut avoir un intérêt pour avoir accès aux technologies blockchain [« chaîne de blocs », registre numérique sur lequel sont inscrits toutes les transactions d’une crypto-monnaie, ndlr], précise Jean-Baptiste Pleynet. Si on avait des 'crypto-euros', par exemple, on pourrait utiliser toute la puissance technologique de la blockchain liée à cette monnaie centralisée, en laquelle on aurait confiance. » Et ainsi avoir accès aux transactions qui se font sur les marchés de crypto-monnaies. Dans ce cas-là, ce « crypto-euros » imaginé par ce spécialiste en assurance serait stable : un crypto-euro équivaudrait à un euro. Le taux de change des deux devises serait toujours le même. C’est ce qu’on appelle un stablecoin.

L’un des problèmes majeurs qu'impliquerait une telle monnaie concerne le rôle de la banque centrale. Doit-elle émettre elle-même cette crypto-monnaie et ainsi ouvrir des comptes aux particuliers, initiative inédite à ce jour ? Déléguer l’émission à une ou plusieurs banques commerciales et se contenter d’un rôle de régulateur ? De plus, si les gens ouvrent des comptes à la banque centrale, quel impact pour les banques classiques ? Devront-elles prendre davantage de risques, augmenter les taux d’intérêt ?

« La présence d’une autorité centrale expose les monnaies numériques aux cyber-attaques, renchérit Silvia Bartolucci. Dans le cas d’une monnaie décentralisés, un hacker doit attaquer plusieurs entités pour faire planter le système. » C’est pour cette raison que la Riksbank, la banque centrale suédoise, a lancé le projet d’e-Krona, « pour évaluer si une monnaie numérique émise par la banque centrale peut fournir un instrument de paiement assez robuste pour la population » et « jauger les risques pour la stabilité financière et le financement des banques », développe Silvia Bartolucci.

En attendant d’acquérir des certitudes, la vraie réponse pour les populations des pays émergents – comme le Venezuela – réside dans les crypto-monnaies décentralisées, argue Jean-Baptiste Pleynet : elles permettent, entre autres, de réduire les coûts de transactions, favoriser l’interopérabilité entre les systèmes bancaires et contourner le besoin de passer par une banque physique. « Pour nous, Européens, qui bénéficions d’un système monétaire stable et d’une monnaie forte, les crypto-monnaies sont quelque chose de rigolo et de dangereux, mais pour les populations des pays émergents, dont le système monétaire est beaucoup moins stable, c’est un vrai espoir. Vous êtes Vénézuéliens, vous avez le choix entre le bitcoin, avec 10 % de volatilité par jour et la probabilité de vous faire hacker, et le bolivar, avec 1 000 000 % d’inflation. Vous avez le choix entre la grippe et le choléra. »

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