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Culture

«Algériennes, Algériens»: l’année particulière du Festival de Douarnenez

La 42e édition du Festival de Douarnenez, dans l'ouest de la France, aura lieu du 17 au 24 août et elle est singulière à au moins deux titres. Elle aborde un peuple, le peuple algérien, qui s’est soulevé depuis le 16 février dernier contre ses dirigeants. Cette édition prend place ensuite dans un contexte matériel difficile, un défi pour son nouveau directeur, Christian Ryo, sa programmatrice Virginie Pouchard, les dix autres membres de l’équipe permanente et les 360 bénévoles.

Affiche de la 42e édition du Festival de Douarnenez.
Affiche de la 42e édition du Festival de Douarnenez. Festival Douarnenez
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Il y a une liste d’attente pour prêter main-forte au Festival de Douarnenez, qui connaît une croissance de fréquentation de 3% par an depuis dix ans. La précédente édition, consacrée aux Congos, a connu un succès inédit avec ses 18 000 entrées. Au fil des ans, quel(s) que soient le(s) peuple(s) et les minorités à l’honneur, le festival est devenu un rendez-vous culturel incontournable pour les cinéphiles nomades, la communauté LGBTQI+, la communauté sourde pour laquelle les films sont sous-titrés et les débats doublés en langue des signes. On y croise aussi chaque année certains participants des éditions précédentes, fascinés par l’enthousiasme militant que ne cache pas vraiment cette petite ville du Finistère. Cette année encore, le journal du Festival, le Kezako, sera en partie animé par des journalistes du Courrier des Balkans, venus pour l’année des « Roms, Tsiganes et voyageurs », et jamais repartis.

Malgré ce succès et cette ferveur, les dépenses ont augmenté pour essayer d’accueillir au mieux le public et si l’équilibre a été conservé entre subventions et recettes, une garantie pour conserver l’indépendance, le déficit est devenu très inquiétant. Une campagne de crowfunding, nécessaire à la poursuite de l’aventure, a permis d’imaginer cette nouvelle édition. La fermeture d’un des deux cinémas de la ville, le « K », a par ailleurs poussé les organisateurs à des prodiges d’inventivité pour permettre à tous les spectateurs d’assister aux projections dans les meilleures conditions. Il y aura cette année des événements hors les murs jusqu’à Audierne. Tous les amis de cette institution de la culture alternative bretonne ont été sollicités, notamment pour garder les six soirées de concert. Si tout se passe bien, l’équipe pensera à la prochaine édition.

Une Algérie moins familière qu’on ne le croit

Celle-ci, décidée en mai 2018 et annoncée en août, s’est en partie conçue dans l’ignorance des événements qui ont secoué l’Algérie depuis le 16 février 2019. Lors du voyage préparatoire de décembre, « on sentait une angoisse à l’approche de l’annonce d’un cinquième mandat de Boutefikla », explique Virginie Pouchard, « mais on n’avait pas vu venir ce qui allait se passer ». Il est trop tôt, bien sûr, pour que les films projetés à compter du 17 août traitent de cette actualité récente, mais les débats s’en feront évidemment l’écho. À ce titre, il ne faut pas rater le palabre du vendredi 23 sur une possible « fin du système », où interviendra, entre autres, le journaliste d’El-Watan et écrivain Mustapha Benfodil, intellectuel majeur de l’Algérie d’aujourd’hui. Une exposition, #ALGERIE, présentera une sélection d’images des manifestations partagées sur les réseaux sociaux.

«La Bataille d'Alger», de Gillo Pontecorvo.
«La Bataille d'Alger», de Gillo Pontecorvo. Marcello Gatti

« Tout le monde a l’impression de connaître un peu l’Algérie en France. Pour autant, il y a plein de périodes de son histoire qui sont presque ignorées », remarque Virginie Pouchard, pour souligner combien, avant même ces mobilisations, toute l’équipe est allée de surprise en surprise. Bien sûr, on retrouvera dans la programmation quelques incontournables sur la guerre d’Algérie : La Bataille d’Alger (1966) de Gillo Pontecorvo et le documentaire qui a été consacré à cette œuvre artistiquement et historiquement hors norme par Malek Bensmaïl en 2018, Avoir vingt ans dans les Aurès (1972) de René Vautier, sur la transformation par un officier manipulateur d’un groupe d’appelé bretons réfractaires en une bande de criminels de guerre, ou encore le court métrage unique en son genre de Yann le Masson et Olga Poliakoff sur les dessins d’enfant en guerre : J’ai huit ans (1961).

«Avoir 20 ans dans les Aurès», de René Vautier.
«Avoir 20 ans dans les Aurès», de René Vautier. Pierre Clément et Daniel Turban

Mais la guerre est abordée aussi sous l’angle féminin par Fatima Sissani, avec le documentaire Résistantes – Tes cheveux démêlés cachent une guerre de 7 ans (2017), sur la figure d’Éveline Safir Lavalette qui, née dans une famille pied-noir aisée, a rejoint le FLN à vingt-huit ans et est devenue à l’indépendance une députée de l’Assemblée constituante. On découvrira aussi avec intérêt les deux premiers volets du Roman algérien (2016-2017) de Katia Kameli qui, à travers la collection d’un marchand ambulant de cartes postales, Farouk Azzoug, déconstruit les représentations du pays de la fin du XVIIIe siècle aux années 1980, filtrées par les idéologies coloniales et postcoloniales. Au-delà du mythe patriotique, des voix se font entendre qui racontent d’autres histoires, celles d’un peuple qui, cette année, a repris la rue.

Les femmes à l’honneur

Ce n’est du reste pas la première fois que le festival, qui s’est créé sur la nécessité de donner la parole aux minorités, s’aventure en Algérie. Il y a 25 ans, une édition avait été consacrée aux Kabyles, et la question berbère, comme celle de la langue amazighe, sera abordée lors des palabres. Une autre problématique délicate est celle de l’activisme LGBTQI+ et c’est une militante algéroise, Amel, qui viendra en parler. Depuis la France, on ne peut enfin évoquer l’Algérie sans penser à la communauté immigrée qui appartient à son histoire depuis un siècle : les journalistes Samia Messaoudi, une inconditionnelle du festival, et Nadir Dendoune, en discuteront avec l’écrivain et documentariste Gérard Alle.

En ce qui concerne la création cinématographique récente, les femmes font l’objet d’un parti pris salutaire, comme réalisatrices et comme protagonistes. On pourra découvrir Papicha (2019) de Mounia Meddour, sur le combat d’une étudiante algéroise dans les années 1990. « Les quatre films algériens qui sortent en France cette année se déroulent pendant la décennie noire », note Virginie Pouchard. Certains seront présentés dans d’autres festivals, comme le dernier film d’Hassen Fehrani, 143, rue du désert (2019). Le réalisateur sera néanmoins présent à Douarnenez et on pourra en découvrir ou redécouvrir Les baies d’Alger (2006) et Dans ma tête un rond-point (2016).

«Papicha» (2019) de Mounia Meddour, sur le combat d’une étudiante algéroise dans les années 1990.
«Papicha» (2019) de Mounia Meddour, sur le combat d’une étudiante algéroise dans les années 1990. Théo Lefèvre

Comme chaque année, la Grande Tribu prolonge les éditions précédentes et fait la part belle aux coups de cœur d’une équipe à l’insatiable curiosité. Deux films présentent une image contrastée sinon contradictoire de la fin des années 2010 : Nos défaites (2019) de Jean-Gabriel Périot, portraits d’adolescent.es d’aujourd’hui à la faible culture politique, qui forment une sorte de contrepoint à son très remarqué Une Jeunesse allemande (2015), et Nous le peuple (2019) de Claudine Bories et Patrice Chagnard, qui suit des lycéens, de jeunes travailleurs et de jeunes prisonniers, communiquant entre eux par messages vidéo afin d’écrire une nouvelle Constitution. À quoi ressemblera la France de demain ? Sera-t-elle portée par les combats et les débats du jour ou sera-t-elle indifférente ? Une chose est sûre : depuis plus de quarante ans, le cœur de Douarnenez bat plus fort que jamais en cette troisième semaine d’août, sous le signe de l’engagement.

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