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Festival de Cannes / Cinéma / États-Unis

Cannes: faut-il se défier d’«Une vie cachée» de Terrence Malick, le mystique?

Palme d’or en 2011 pour L’Arbre de la vie, Terrence Malick est de nouveau en compétition au Festival de Cannes. Le cinéaste américain revient sur la Croisette avec Une vie cachée. L’histoire d’un père de famille autrichien qui, quand la Seconde Guerre mondiale éclate, refuse de prêter serment à Adolf Hitler. « Un combat contre le mal », selon Terrence Malick, qui mêle aussi conscience morale et mysticisme.

Franz (August Diehl) et Fani Jägerstätter (Valerie Pachner) dans « Une vie cachée » de Terrence Malick, en lice pour la Palme d’or du Festival de Cannes 2019.
Franz (August Diehl) et Fani Jägerstätter (Valerie Pachner) dans « Une vie cachée » de Terrence Malick, en lice pour la Palme d’or du Festival de Cannes 2019. © UGC Distribution
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Une vie cachée commence avec un enchaînement de scènes imagées ayant tous les attributs de cartes postales : un panorama époustouflant des Alpes autrichiennes, suivi de vues impressionnistes de rochers, de prairies fleuries et de couchers de soleil paradisiaques qui s’achèvent dans le petit village de Sankt Radegund. On y voit des paysans faucher les prés, battre le blé, s’occuper de leurs vaches, chèvres et cochons. Et à l’auberge Salzachtal, les villageois trinquent en buvant leur chope. Ici, la nature est vierge et la vie dure, mais paisible.

La forêt et les croix gammées

Depuis l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie en 1938 et le début de la guerre, ce monde « parfait » commence à être assombri par des nuages de plus en plus noirs. Terrence Malick illustre ce revirement avec un mélange d’images iconographiques de paysages et de politique. Dans une veine naturaliste et souvent mystique, les images des montagnes autrichiennes se mêlent à celles de documentaires sur des rassemblements d’Hitler. La forêt rappelle les allées de croix gammées et les soldats marchant au pas cadencé. Le concert des oiseaux et les chutes d’eau font écho à la liesse du peuple au bord de la route du Führer.

Où finit la beauté, où commence la propagande ? Terrence Malick pose la question en montrant les images de Leni Riefenstahl, du congrès du NSDAP à Nuremberg, en 1934. Le film intitulé Triomphe de la volonté fait étrangement écho aux travellings appuyés de Tererence Malick pour capter une nature qui domine l’homme quand elle ne l’écrase pas. Sans parler des contre-plongées qui forcent l’attention et marquent la soumission de l’homme à la nature, alias Dieu.

Un monument cinématographique

Dès le début du film, Terrence Malick nous mène sur une fausse piste. Le héros du film, Franz Jägerstätter, ne fuit pas, pas plus qu’il ne tait son opinion contre le système national-socialiste et la barbarie des nazis. Quand la guerre éclate en 1940, ce paysan autrichien accepte de faire sa formation militaire au sein de la Wehrmacht. Les choses se gâtent quand il refuse de prêter serment d’allégeance à Adolf Hitler. Considéré comme un traître à la patrie, Franz est jeté en prison et menacé de la peine de mort. Sa femme et ses trois enfants deviennent alors les pestiférés du petit village.

Depuis l’Anschluss, beaucoup d’Autrichiens se sont résignés ou ont commencé à sympathiser avec les nazis. Franz Jägerstätter est de ceux qui résistent, seul dans son village. Le père de famille assume ses choix, sans prendre les armes. Le grand mérite de Terrence Malick est de lui offrir un monument cinématographique pour être resté fidèle jusqu’à la mort à ses convictions, de ne jamais prêter serment à Hitler. Reste à savoir de quel monument il s’agit.

Franz (August Diehl) et Fani Jägerstätter (Valerie Pachner) dans « Une vie cachée » de Terrence Malick.
Franz (August Diehl) et Fani Jägerstätter (Valerie Pachner) dans « Une vie cachée » de Terrence Malick. © iris productions

« Il faut résister au Mal »

Derrière son choix, Franz Jägerstätter n’a pas eu de stratégie politique ou idéologique. Il a désobéi par conscience personnelle et par convictions religieuses (il était chrétien) même après avoir été abandonné par l’êvêque. Sa conscience lui ordonne de ne pas juger les autres tout en lui disant qu’il ne peut pas échapper à son propre jugement envers lui-même.

« Il faut résister au Mal », proclame Terrence Malick dans son film en évoquant toutes les objections possibles : faut-il résister même quand cela porte préjudice à sa femme et ses trois petites filles ? Et son père n’avait-il pas donné sa vie pour la patrie lors de la Première Guerre mondiale ? Et une fois en prison, quand il nettoie les chaussures des soldats et remplit les sacs de sable pour l’armée, ne contribue-t-il pas à la politique du Führer ? Son orgueil prend-il le pas quand il s’obstine dans son refus d’adhérer à l’idéologie d’Hitler ?

« Dieu, quand il a créé le monde, il a créé le Mal ». « Il vaut mieux subir l’injustice que la commettre ». « Un jour, nous saurons pourquoi nous vivons. » Comme dans L’Arbre de vie, Terrence Malick laisse transparaître sa conviction d’un ordre divin. L’Agnus Dei en bande-son fait un rapprochement assez clair entre la décision de Franz et le rôle sacrificiel de Jésus.

« Obéir à Dieu plus qu'aux hommes »

En revanche, on en saura très peu des convictions intérieures qui ont ordonné à Franz de refuser jusqu’à la mort de prêter serment. « Il y a des choses où l’on doit obéir plus à Dieu qu'aux hommes ». C’est à peu de choses près le même raisonnement que le petit Ahmed avance dans le film des frères Dardenne, Le jeune Ahmed également en lice pour la Palme d’or. Ahmed justifie vouloir tuer au nom de l’islam, sa maîtresse d’école, une « impure », parce qu’en couple avec un juif.

Condamné à mort par un tribunal militaire, Franz Jägerstätter sera exécuté le 9 août 1943, à l’âge de 36 ans. Pour expliquer le choix du titre, Terrence Malick cite la romancière britannique George Eliot (1819-1880) : « Si les choses ne vont pas pour vous et moi aussi mal qu’elles auraient pu aller, nous en sommes redevables en partie à ceux qui ont vécu fidèlement une vie cachée et qui reposent dans des tombes délaissées ». Or, le jeune père de famille n’avait pas mené une vie cachée et n’a pas non plus été oublié après sa mort, bien au contraire. Dès 1965, un évêque a suggéré à l’Église de valoriser le sacrifice de Franz Jägerstätter. Béatifié en 2007 par Benoît XVI, il est reconnu officiellement martyre par l’Église catholique. Quant au tribunal régional de Berlin, il a annulé en 1997 sa condamnation à mort et prononcé un acquittement.

« Je ne peux pas l’expliquer »

En omettant tout cela dans son film, Terrence Malick a visiblement préféré donner à son œuvre une très forte connotation religieuse. Une vie cachée nous en dit presque plus sur la relation de Malick avec son Dieu que sur les convictions intérieures ayant ordonné à Franz de refuser jusqu’à sa mort de prêter serment à Hitler. « Je ne peux pas l’expliquer », dit-il à Fani lors de la dernière visite de son épouse en prison. « Fais ce qui est juste », lui rassure sa femme sans avoir l’air de vraiment comprendre pourquoi il ne signe pas ce papier qui lui sauverait la vie.

Affichant « inspiré d’une histoire vraie », Terrence Malick a créé pour les besoins de son film un personnage très circonscrit, pratiquement sans défauts. En réalité, dans sa jeunesse, Franz était connu pour être un querelleur avant de devenir père d’une fille naturelle née en 1933 et de se marier trois ans plus tard avec la très croyante Fani puis devenir sacristain dès 1940. Dans Une vie cachée, Terrence Malick dessine un personnage dont la motivation se limite à une relation intime avec Dieu. Son raisonnement n’inclut ni ses ennemis («  Je ne vous juge pas ») ni sa femme, ni ses enfants, sa mère ou l’Église. Franz accepte une seule autorité : Dieu. Ainsi il ne s’oppose pas à sa mise à mort, tout comme Jésus s’est laissé crucifier pour remplir sa mission auprès de Dieu.

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