Accéder au contenu principal
Culture

Le Grand Palais rend «La Lune» aux femmes

Allez au Grand Palais et demandez la lune. L’exposition « La Lune » commence ce mercredi 3 avril et promet un regard et des rapprochements inédits. Lumière tamisée, ambiance douce, oscillant entre méditation et mystère, l’histoire de l’art s’est choisie comme décor une nuit au clair de lune pour se donner rendez-vous avec cet astre lumineux. Cinquante ans après les premiers pas d’un homme sur la Lune, et au moment où les Chinois s’apprêtent à conquérir sa face cachée, 190 œuvres éclaircissent à Paris les relations énigmatiques et aventureuses entre l’art et la Lune, de l’Antiquité jusqu’à nos jours. Sculpture, peinture, littérature, cinéma, installation… le parcours traverse les disciplines, les civilisations, les cultures, les religions, mais la question de l’imaginaire masculin/féminin reste une des plus mystérieuses et les plus pertinentes pour comprendre la perception, la représentation et l’interprétation de la Lune. Entretien avec la co-commissaire Alexia Fabre.

Vue de l’exposition « La Lune » au Grand Palais. « First Spaceship On Venus » (2018) de Sylvie Fleury entre « Journey to the Moon » (2003) de William Kentridge et les cosmonautes africains en wax de Yinka Shonibare, « Vacation » (2000).
Vue de l’exposition « La Lune » au Grand Palais. « First Spaceship On Venus » (2018) de Sylvie Fleury entre « Journey to the Moon » (2003) de William Kentridge et les cosmonautes africains en wax de Yinka Shonibare, « Vacation » (2000). Siegfried Forster / RFI
Publicité

RFI : À peine entré au Grand Palais dans l’exposition La Lune, notre regard est capté par une fusée. Que se cache-t-il derrière cette œuvre scintillante qui semble décoller vers la Lune ?

Alexia Fabre : First Spaceship On Venus est une œuvre de 2018 de Sylvie Fleury, une artiste suisse, dont l’objet de travail est de faire entrer dans le champ du féminin des objets archétypaux de la masculinité. Là, c’est une fusée qui est évidemment le symbole de la conquête spatiale et un symbole éminemment masculin, phallique. Elle a recouvert cette fusée de peinture rose et de paillettes. Donc, c’est une fusée faite femme, une fusée pour les femmes. Ainsi, Sylvie Fleury dénonce le fait que le monde de la conquête spatiale reste aujourd’hui principalement masculin puisque seulement dix pour cent des cosmonautes sont des femmes. Avec cette pièce, elle revendique pour les femmes le droit à cette conquête et le droit à ne pas se contenter de la Terre.

► Lire aussi : « Joséphine Baker, la banane de la première icône noire

En français, on utilise l’article défini féminin pour désigner la Lune. En allemand, « der Mond » est masculin. En anglais, « the moon » ne renvoie ni au masculin ni au féminin. Dans l’histoire de l’art, est-ce que la Lune est féminine ou masculine ?

Dans l’histoire de l’art, on s’en rend compte que la Lune peut être homme. Certains dieux égyptiens de la Lune sont des dieux et non pas des déesses, mais majoritairement, la Lune est rapprochée de la féminité. Ce sont principalement des déesses qui l’incarnent et des allégories féminines qui la rappellent. Elle est souvent montrée sous des traits d’une femme. Alors pourquoi ce rapprochement ? Peut-être, parce qu’il y a une sorte de sympathie liée à la nature humide de la femme, comme il est souvent raconté, et puis, parce qu’il est question - avec les différentes phases de la Lune - de fertilité, de renouveau. Évidemment, avec l’enfantement, c’est le propre des femmes.

Vue d’une « Scène de sorcellerie », d’Angelo Caroselli (1585-1652), dans l’exposition « La Lune » au Grand Palais.
Vue d’une « Scène de sorcellerie », d’Angelo Caroselli (1585-1652), dans l’exposition « La Lune » au Grand Palais. Siegfried Forster / RFI

En 1902, George Méliès entreprend son Voyage dans la Lune. Dans l’art moderne et contemporain, vous montrez l’apparition de la Lune chez Manet, Monet, Miro, Jean Arp, Chagall, Man Ray, Dali, Nam June Paik, Kader Attia, Leonid Tishkov, Ange Leccia, Sylvie Fleury… Avec sa forme ronde, son caractère changeant et sa lumière douce, la Lune a-t-elle influencé l’histoire de l’art ?

Dans toutes les sociétés, dans toutes les histoires de l’art, la Lune a été aussi le prétexte à réfléchir à sa luminescence, à son effet lumineux. Elle est d’abord aussi un symbole totalement abstrait et géométrique. C’est pour cela, dans toute l’histoire de l’art, des temps les plus anciens, jusqu’à aujourd’hui, les artistes contemporains continuent de se tourner vers elle, explorant ses différents pouvoirs, l’influence qu’elle continue d’avoir sur nous tous.

Quelle histoire autour de la Lune vous a étonnée le plus?

Ce qui m’a beaucoup frappé, à partir du XVIIe siècle, c'est que les femmes sont souvent représentées sous l’influence de la lune comme lunatique et comme perdant la raison. Cette façon de raconter les femmes vient évidemment des hommes, à un moment où les femmes commencent à prendre dans la société beaucoup plus d’influence de façon intellectuelle ou politique. Cette façon de décrire les femmes dans la déraison laisse penser que les hommes ont eu peut-être peur de leur arrivée dans un domaine qui leur était jusque-là réservé.

La fusée de Sylvie Fleury est alors aussi le symbole d’une nouvelle réappropriation de la symbolique lunaire par les femmes ? Les femmes ne se laissant plus définir à travers la Lune, mais définissant à leur tour la Lune pour conquérir le monde ?

C'est étrange : la Lune a un caractère éminemment féminin dans la plupart des civilisations et dans la plupart des œuvres qu’on montre ici. Et pourtant, les femmes ont été exclues de cette conquête. Par exemple, elles devaient participer à la conquête spatiale avec la station Mercury 13, mais finalement le programme a été annulé [en 1961, un groupe de treize femmes a été sélectionné pour voler dans l’espace, mais finalement aucune d’entre elles a intégré le programme des astronautes de la NASA, ndlr]. Donc, aujourd’hui, de nombreuses artistes reprennent ce sujet pour en faire un véritable sujet de bataille et pour énoncer que, elles aussi ont droit à ces progrès et à ces conquêtes.

► La Lune. Du voyage réel aux voyages imaginaires, exposition au Grand Palais, Paris, du 3 avril au 22 juillet 2019.

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Partager :
Page non trouvée

Le contenu auquel vous tentez d'accéder n'existe pas ou n'est plus disponible.