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Art

Thomas Houseago: «la sculpture est très précaire» et «almost human»

« Je suis un fervent croyant en l’art. » Pourquoi un sculpteur se jette de trois mètres de hauteur sur de la terre glaise ? Pour créer avec son corps une nouvelle sculpture, mais peut-être aussi pour laisser son empreinte dans l’histoire. En tout cas, Thomas Houseago, 47 ans, l’un des sculpteurs les plus magnétiques sur la scène internationale, admiré à la fois par David Hockney, Brad Pitt et le grand public, a une confiance absolue dans l’art. Selon ses propres mots, c’est l’art qui l’a sauvé de ses traumatismes. Et ses sculptures géantes, à la fois puissantes et fragiles, le reflètent d’une manière saisissante. Le musée d’Art moderne de la Ville de Paris offre à cet artiste anglais né à Leeds et vivant depuis 2003 à Los Angeles la première rétrospective en France. Almost Human, « presque humain », réunit une trentaine d’œuvres dans quatre salles monumentales. Entretien.

Thomas Houseago devant « L’Homme pressé » dans l’expo « Almost Human ».
Thomas Houseago devant « L’Homme pressé » dans l’expo « Almost Human ». Siegfried Forster / RFI
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RFI : Vous commencez votre exposition avec un dialogue avec Paris. Installée dans le grand bassin de l’esplanade du musée, votre sculpture Ghost regarde la Tour Eiffel, mais aussi le musée du Quai Branly, célèbre pour ses sculptures africaines. Quelle est votre relation avec les cultures africaines ?

Thomas Houseago : Je m’intéresse à l’histoire de la sculpture, à toute l’histoire. Et, bien sûr, parmi les plus grands sculpteurs et architectes, il y a des Africains, des artistes de cet immense continent. Chaque artiste qui fait quelque chose avec ses mains et réfléchit sur les formes pense à ce grand et puissant héritage. Et la ville de Paris possède cette profonde culture encyclopédique dans ses musées dotés de sculptures du monde entier, du Louvre jusqu’au Quai Branly. Cette histoire est vraiment une partie importante de ce que je suis.

À l’intérieur des salles, Almost Human nous accueille avec la sculpture Sister (1998), « sœur ». Y a-t-il une signification particulière de démarrer avec une figure féminine ?

Je donne parfois à mes sculptures des noms comme Sister ou Father, mais à la fin, mes sculptures ne possèdent pas vraiment de sexe dans un sens traditionnel. Ce ne sont pas vraiment des hommes ou des femmes, elles appartiennent presque à un troisième sexe. C’est une sorte de manifestation de l’être humain. Sister est une pièce que j’avais faite quand je venais de m’installer à Bruxelles, à une époque où j’étais assez inquiet et très seul. D’une certaine façon, j’ai fait cette sculpture pour avoir le sentiment d’avoir une sœur à mon côté. Je l’ai faite presque pour avoir un talisman ou un « taliswoman ».

« Father », « L’Homme pressé », « Giant Mask », de Thomas Houseago.
« Father », « L’Homme pressé », « Giant Mask », de Thomas Houseago. Siegfried Forster / RFI

Dans cette salle, on est à côté de votre sculpture géante et célèbre, L’Homme pressé ; sur les murs se trouvent vos Black Paintings, des peintures noires, et on est dévisagé par les yeux creux de votre Giant Mask. La force, la noirceur et la faiblesse, est-ce que ce sont les expressions favorites de vos œuvres ?

Cette salle, on l’a intitulée Diables et démons, pour parler d’une énergie diabolique que je ressens parfois, sur laquelle je travaille et qui est aussi en moi. Parfois, mes sculptures sont en relation avec une profonde angoisse intérieure. Cette salle essaie de tenir cette énergie. J’ai créé les Black Paintings, il y a quatre ans. C’est une série de douze peintures sur le deuil. Dans la vie, on traverse parfois des étapes bizarres, quand on perd tout, quand on a le sentiment de mourir. À l’époque, j’avais perdu un très bon ami, mon mariage était en train d’éclater, c’était un moment de transition très douloureux. Et ces tableaux étaient comme des miroirs.

L’Homme pressé, je l’ai fait quand François Pinault m’avait demandé de faire une sculpture devant le Palazzo Grassi, sur le Grand Canal, à Venise. Il m’avait donné carte blanche. Je voulais faire un monument, car je suis fasciné par le langage des monuments. Mais, je voulais faire un monument pour rien. La figure est très animée et chargée, mais, en même temps, c’est aussi une figure de la mort ou de la métamorphose.

Que cela signifie pour vous de sculpter dans notre époque de plus en plus virtuelle et digitale ?

Je n’arrête pas à penser au fait que nous vivons une époque où tout est dématérialisé. Tout disparait. Avec mon travail, j’ai l’impression de résister, de continuer à solliciter notre sens tactile pour faire sentir notre monde. Je souhaite souligner l’importance d’objets et de connexions humaines. Je pense que la sculpture est très précaire. Il n'existe pas vraiment un espace pour la sculpture dans le monde. Il faut se battre pour qu'il existe. C’est une chose très intense. Il faut lutter contre des tendances très puissantes pour créer de l’espace pour les sculptures. Cette exposition attache beaucoup d’importance à faire des choses d’une manière créative, de ne pas avoir peur, de jouer avec les choses, d’essayer à donner une réponse créative au monde, de ne pas se laisser piéger par nos smartphones.

Thomas Houseago, son « Giant Mask » (296 kg) et ses « Black Paintings » dans l’expo « Almost Human ».
Thomas Houseago, son « Giant Mask » (296 kg) et ses « Black Paintings » dans l’expo « Almost Human ». Siegfried Forster / RFI

Vos sculptures rappellent beaucoup d’autres grands sculpteurs, de Rodin en passant par Picasso, jusqu’à Picabia ou Baselitz. Êtes-vous toujours inspiré par les autres ou est-ce que vous êtes aujourd’hui cent pour cent Thomas Houseago ?

Cela serait se mentir à soi-même d’affirmer de venir de nulle part et d’avoir tout inventé. Je suis l’inventeur de rien de tout. J’ai juste le sentiment de porter quelques idées qui passent par moi. On est né, on mourra, il y a l’amour, les enfants et toutes ces choses-là. Mais je pense que l’art nous aide à penser, à sentir, à réfléchir. Nous avons cette magnifique chose : l’histoire de l’art et des cultures, la littérature, la musique… Je suis un fervent croyant en l’art. Il est important de ne pas avoir peur de ça. Et je le montre très clairement. L’histoire de la pensée créative représente pour moi une telle nourriture, me donne une telle énergie… C’est un des grands exploits de l’humanité, pouvoir faire de l’art et essayer de donner d’une manière créative du sens à notre vie. Pour moi, c’est magique.

Vous présentez une nouvelle création dans l’exposition parisienne, Cast Studio. Que peut-on y découvrir ?

Cette pièce, bizarrement, je voulais la faire toute ma vie. Mais je n’avais pas le courage ou peut-être je n’avais pas encore réellement compris que je devais réaliser cette pièce. À la fin des années 1980, au début de ma carrière, j’étais un artiste performeur. À l’époque, la performance était une chose très importante pour moi. Dans cette exposition, je voulais revenir à cette époque, aller à la fois en avant et en arrière. C’est une collaboration avec ma compagne Muna El Fituri qui m’a filmé et photographié dans mon atelier. C’est un film sur la création d’une sculpture, avec tous les éléments qui entrent dans ce processus. Avec toutes ces choses absurdes, bizarres, comiques, ridicules, avec tous ces stades étranges qu’on traverse pendant un tel processus. Je voulais révéler le processus de la création, montrer que la manière dont j’utilise mon corps est la clé de tout. J’espère que quand les visiteurs auront regardé cette œuvre immersive qu’ils pourront retourner vers le point de départ de l’exposition avec une nouvelle compréhension concernant l’origine de mon travail.

Almost Human, exposition de Thomas Houseago, jusqu’au 14 juillet au musée d’Art moderne de la Ville de Paris.

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