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Littérature

[Lettres du monde] Odyssée sexuelle en mer de Chine

Hwang Sok-Yong, écrivain sud-coréen.
Hwang Sok-Yong, écrivain sud-coréen. Raphael Gaillarde/Getty Images
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Il y a cinq façons de lire le roman Shim Chong, fille vendue*.

Différentes légendes coréennes orales ont popularisé le personnage de Shim Chong, au point que son histoire est devenue un pansori, une saga chantée, la quintessence des arts visuels traditionnels du pays. Le romancier Hwang Sok-yong a donc adossé son récit sur un thème célèbre : la fille d’un pauvre aveugle accepte d’être vendue à des marins pour que son père puisse recouvrer la vue.

Son éprouvanteodysséetout autour de la mer de Chine dégage cependant un parfum érotique. L’héroïne doit sa survie à sa science dans l’art d’aimer. Chaque étape est à la fois tragique et sensuelle. Elle a l’intelligence du cœur, l’oreille musicale, un esprit pragmatique et le souci de plaire aux hommes. L’ouvrage est un hymne aux savantes courtisanes.

A travers les tribulations de la jeune femme, renaît tout un pan de l’histoire sanglante de la région, depuis la guerre de l’opium (1839) jusqu’à la mainmise japonaise sur les îles Ryukyu (1879), jusqu’alors indépendantes. Ce panorama décrit notamment la révolte des Taïping dont le chef se prenait pour le petit frère du Christ. On voit pointer les compagnies anglaises rapaces et les vaisseaux menaçants de l’amiral Perry.

L’auteur se livre à une dénonciation de l’esclavage sexuel. Il s’agit d’un sujet douloureux en Corée où des dizaines de milliers de femmes, dites de réconfort, furent asservies par l’armée impériale japonaise. Les conditions de vie dans les maisons closes sont décrites par le menu. Echangée, kidnappée, Shim Chong n’a jamais son destin en main. Certaines militantes féministes se sont toutefois offusquées de voir la victime devenir gérante d’une maison de plaisirs.

Enfin, le récit met en valeur la résilience coréenne. Shim Chong est soumise à des maîtres chinois, formosans, anglais et voit son grand amour exécuté par les Japonais. Toutes les ambitions mercantiles et coloniales s’abattent sur la fille de Kaoli (nom chinois de la Corée). Elles la mèneront, après des épisodes misérables ou cossus (comme à Singapour), à revenir dans son pays, porteuse de sérénité. Mais il s’agit d’un retour doux-amer, puisque nous savons que la péninsule sera occupée par le Japon dès 1905, et ce, pendant quatre décennies.

Le roman est porté par un souffle qui va bien au-delà d’un voyage. Il effleure le fantastique, quand la jeune fille est immolée aux dieux de l’océan ou quand elle retrouve sa mère au cours d’une cérémonie chamanique. Hwang Sok-yong brosse aussi un beau portrait de femme confucéenne, sachant surnager dans les circonstances les plus difficiles, et même progresser grâce à un entregent hors du commun.

L’auteur dont l’engagement politique lui valut plusieurs séjours en prison, a publié ce livre en 2003. C’est une époque où la Corée du Sud, récemment sortie de la dictature, vient de porter un opposant historique à la tête de l’Etat. Le pays, qui a montré ses capacités en organisant les Jeux Olympiques en 1988, affiche désormais une grande confiance en l’avenir. Les as de la téléphonie mobile se lancent à la conquête du pays et du monde.

Laissez-vous porter par un roman de marée montante.


*Hwang Sok-yong, Shim Chong, fille vendue, traduit par Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet, Zulma 2010, réédité 2018.

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