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Cinéma / Géopolitique

Cinéma et géopolitique (6/6): Les cinémas asiatiques, une menace pour Hollywood?

Sixième partie de notre série sur le cinéma comme un vecteur d’influence voire d’un outil stratégique à part entière dans la puissance des nations. L’effervescence des cinémas asiatiques est elle perçue comme une menace par le cinéma américain ? Suite de notre entretien avec Pierre Conesa, spécialiste des questions géopolitiques et auteur de « Hollywar. Hollywood arme de propagande massive » (éditions Robert Laffont), et Frédéric Monvoisin, chercheur associé à l’Ircav (Institut de recherche sur le cinéma et l’audiovisuel), chargé de cours à la Sorbonne Nouvelle et à l’Inalco et auteur du livre « Cinéma d’Asie, d’hier et d’aujourd’hui » (éditions Armand Colin).

Couverture du livre de Pierre Conesa : « Hollywar. Hollywood arme de propagande massive ».
Couverture du livre de Pierre Conesa : « Hollywar. Hollywood arme de propagande massive ». Editions Robert Laffont
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RFI : Le cinéma asiatique, dans quelle mesure a-t-il changé le regard du monde sur l’Asie ? Le développement économique de l’Asie et du cinéma, l’un allant probablement avec l’autre, peut-il être vu comme une menace pour le cinéma américain ?

Pierre Conesa : Je crois d’abord que cela traduit un besoin d’expression culturelle qui est vrai pour les pays d’Asie. Moi, j’ai en tête le problème du cinéma iranien. C’est très intéressant, parce que, au moment de la révolution islamique, on commence par interdire tous les cinémas. Puis, on entre dans la guerre. Et à ce moment-là, on se rend compte du rôle que peut jouer le cinéma dans la propagande. On se met à produire en Iran des films de guerre, classiques, méthode hollywoodienne : vous avez des gentils et des méchants. Mais le problème, c’est à la fin de la guerre, à ce moment-là, tout d’un coup, cette société a besoin de respirer enfin après huit ans de guerre, a besoin qu’on remplisse la tuyauterie des télévisions.

Il y a deux choix : soit ils achètent américain, ce qui est quand même exclu ; soit ils achètent indien, mais comme il y a toujours des femmes qui dansent le ventre à l’air, ils ne peuvent pas acheter indien. Donc ils se mettent à produire et ils produisent du cinéma de qualité. Et on est toujours en droit de se demander comment ce régime arrive à produire du cinéma de qualité. Parce que c’est un besoin culturel profond.

Et Hollywood ?

Là où Hollywood est un problème, c’est que Hollywood ferme les frontières à ces cinémas. Je vous prends un exemple, le film de Kurosawa sur Les Sept Samouraïs. C’est une histoire qui se passe au Japon avec des paysans japonais exploités par des bandits japonais qui sont sauvés par des samouraïs japonais. Version américaine : ça devient des paysans mexicains opprimés par une bande mexicaine et sauvés par des cowboys américains. En fait, vous voyez comme on adapte quelque chose parce que, par nature, le Mexicain ne peut être… Au début du cinéma muet, le Mexicain était toujours qualifié de « greasy », c’est-à-dire qu’il était gras, huileux, mal rasé. Vous voyez la typologie de Mexicains dans les westerns. En fait, on vous américanise les bons films.

Quel est le taux de pénétration des films étrangers sur Hollywood ? Ce taux de pénétration est nul, parce que soit ils sont américanisés, soit ils n’entrent pas ou restent limités à la côte est et à la côte ouest. Cela est un véritable problème parce que cette société qui est pourtant une société multi-couches et dite ouverte, est finalement très fermée culturellement. La moitié des parlementaires américains n’ont pas de passeports. Ce n’est pas qu’ils soient véritablement intéressés par le monde environnant !

À l’inverse, la diffusion du cinéma asiatique en Occident, elle marque une progression réelle. On voit aujourd’hui des films coréens en Europe…

Frédéric Monvoisin : On voit beaucoup de films coréens depuis une dizaine d’années parce que depuis une dizaine d’années, la Corée a une politique de diffusion internationale extrêmement forte, très agressive et très structurée. Ils avaient des lois protectionnistes qui sont tombées au milieu des années 1990, qui avaient d’ailleurs fait crier la profession.

Les cinéastes coréens s’étaient réunis sur une place publique et s’étaient rasés la tête en signe de protestation. Ils ont fait tomber les lois protectionnistes parmi lesquelles, il y en avait une qui était particulièrement intéressante : un film étranger ne pouvait être distribué que par un distributeur coréen. Et les distributeurs coréens, pour pouvoir distribuer un film étranger, devaient - je ne me souviens plus du chiffre exact - avoir distribué dix films coréens. Le protectionnisme était quantitatif.

Quand c’est tombé, cela a permis d’inonder le marché coréen. Mais cela s’est fait à un moment où il y avait une réorganisation des modalités de production. Les « chaebol », les grands conglomérats coréens, se sont mis à investir de l’argent dans le cinéma coréen. Cela a créé des blogbusters coréens, avec des techniciens notamment et des scénaristes qui étaient formés à Hollywood. Donc avec un savoir-faire totalement différent.

Avec quelles conséquences ?

Frédéric Monvoisin : À la fin des années 1990, il y a eu un basculement : le cinéma coréen est devenu premier. On parlait là du besoin culturel, la Corée a eu un besoin culturel de consommer son propre cinéma. Et une fois qu’il a été mis en place, les lois protectionnistes ne servaient plus à rien sur le marché local, donc on a déplacé ça vers autre chose. Et la Corée a investi sur un soutien sur l’international, pas tellement en finançant le cinéma qui était pris en charge par les grandes entreprises, mais en finançant d’un côté le Cofic [Korean Film Council, l’équivalent du Centre national du cinéma en France, ndlr], mais qui a un rôle de vitrine pour le cinéma.

De l’autre côté, la Korean Film Archive [les archives du film coréen, ndlr] a investi dans la restauration et la création d’un patrimoine cinématographique en Corée qui manquait. Ils ont fait ça à un moment où le numérique arrivait plein pot. Ce qui fait que vous pouvez vous connecter sur Youtube et d’une manière totalement légale et légitime regarder 100 ans de cinéma coréen. Et vous avez une autre plateforme qui s’appelle KoBiz, numérique elle aussi, qui est à destination des professionnels et vous pouvez regarder n’importe quel film coréen actuellement en salle en Corée pour pouvoir le distribuer.

Donc ils ont fait une vitrine qui permet d’aller chercher très facilement et avec un cinéma qu’on dit un cinéma monde, c’est-à-dire qui est capable de séduire tout le monde. Ils ont fait une chose très solide. En même temps, comme c’est financé par de grands groupes comme Samsung ou Hyundai, c’est une vitrine qui permet de vendre des produits.
 

Lire tous les épisodes :
- Cinéma et géopolitique (1/6): l’hégémonie du cinéma américain
- Cinéma et géopolitique (2/6): Les tabous américains et japonais
- Cinéma et géopolitique (3/6): Créer l’Autre et l’ennemi
- Cinéma et géopolitique (4/6): Asie, les bons et les méchants
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Cinéma et géopolitique (5/6): L’absence des cinémas chinois
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Cinéma et géopolitique (6/6): Les cinémas asiatiques, une menace pour Hollywood?

Écouter l’intégralité de l’entretien dans l’émission Géopolitique, le débat

 

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