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Littérature

[La vie des mots] Un gourmet, un gourmand, foin d’epizeuxe!

(Photo d'illustration)
(Photo d'illustration) CC0/rawpixel/Pixabay
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Deux ouvrages insolites ont atterri en même temps sur ma table de chevet, fruits de deux amateurs de mots. Le premier les déguste, le second les engouffre sur le mode rabelaisien. Volkovitch est né en 1947, Schott en 1974. Comme leur patronyme ne l’indique pas forcément, le premier est Français, le second Anglais. L’un et l’autre font preuve d’humour et d’érudition.

Michel Volkovitch* a récolté plusieurs prix pour ses traductions de nombreux prosateurs, poètes et dramaturges. Il aime les mots pour eux-mêmes, comme par exemple « cycliste », « oui », « croupe ».

Cycliste : « Ça coule, ça roule, ça glisse. Si-is, retour au point de départ. Un mot qui s’arrondit, ébauche un mouvement cyclique, perpétuel – jusqu’au petit heurt de la fin, retour à la pesanteur. »

Oui : « Mot épanoui. Le plus beau mot à dire quand on jouit. »

Croupe : « La fesse est laide et flasque, elle s’affaisse. Derrière est plus guilleret, avec ses consonnes et ses syllabes expressivement doublées, mais ses sonorités un tantinet vulgaires. Rien ne vaut la croupe, mot rond et plein, sans chair inutile, un petit air cavalier. »

Un chapitre savoureux est consacré aux mots nouveaux. Par douzaines, ils sont recensés auprès des grands noms, tel Rostand (tu récalcitres), Flaubert (littératurer), Francis Ponge (extirpeur, soleilleux, floribond). L’on constate aussi que la télévision française téléthonne et somalise par moments. J’espérais trouver l’inventeur de phalluscinant, car je ne sais plus s’il s’agit de Queneau ou de Lacan.

Volkovitch vilipende à juste titre l’omniprésence de frustre, « fils bâtard de M. Rustre et de Mlle Fruste, sans que l’on sache toujours (c’est frustrant) s’il s’agit d’un trait d’humour ou d’ignorance ». Son amour pointilleux des lettres s’étend à la ponctuation : « Les virgules, c’est de la menue monnaie qu’on jette aux domestiques », estime-t-il.

De son côté, la curiosité de Ben Schott* part tous azimuts. Il aime dresser des listes : les provisions embarquées dans le Titanic, les surnoms des clubs de football, les zones de la météo marine, les films de James Bond, la mort bizarre de quelques rois birmans…

Dans le domaine littéraire figurent quelques listes célèbres, à commencer par celles de dame Sei Shonagon (966-1025), avec ses « choses qui font battre le cœur », « choses qui ne font que passer », « choses qui méritent d’être peintes ». Passons sur les aphorismes pédants de Samuel Johnson (1709-1784), pour retrouver maître Rabelais, détaillant toutes les études que Gargantua veut imposer à son fils Pantagruel.

Les paradoxes d’Oscar Wilde (« Nous vivons dans une époque où le superflu est notre nécessité ») côtoient une série d’injures glanées dans Shakespeare, qui valent bien « espèce de catachrèse » chère au capitaine Haddock. Vous avez oublié ce qu’est la catachrèse ? Il s’agit du détournement d’un mot de son sens premier. Exemple : un bras de mer, les ailes du moulin.

Schott rappelle à juste titre que châle, taffetas, azur, lilas et jasmin nous viennent du persan, que la brunante signifie crépuscule au Québec, et que le tango est un mélange bière-grenadine (beuh !) dans le jargon des bistrots. Il goûte les exercices de style : les palindromes qui se lisent dans les deux sens (« La mère Gide digère mal »), les pangrammes qui utilisent toutes les lettres de l’alphabet (« Portez ce vieux whisky au juge blond qui fume ») ou les figures de rhétorique chez Winston Churchill.

Sous cette avalanche de mots, quatre pépites restent coincées dans le tamis de ma mémoire : astragalomancie (divination par les osselets), pogonophobie (la peur des barbes) dont j’ai souvent été victime, brucellose (maladie infectieuse qu’un médecin se doit de déclarer aux autorités) et surtout épizeuxe (répétition emphatique). Nul doute qu’elles me seront très utiles lors d’un futur débat sur RFI.

Un clin d’œil malicieux avant de demander la route. L’aventurier américain Ambrose Bierce (1842-1914), auteur du Dictionnaire du diable, définit ainsi l’érudition : « Poussière tombée d’un livre dans un crâne vide ».


Michel Volkovitch. Verbier, herbier verbal à l’usage des écrivains et des lisants,Maurice Nadeau, 2000.

Ben Schott, Les miscellanées de Mr. Schott, adapté et traduit par Boris Donné, Editions Allia, 2008

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