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Art / Pologne / Beksinski

[Portrait] Piotr Dmochowski, collectionneur obsessionnel du peintre Beksinski

« Beksinski était un peu bizarre. » Si les peintures et dessins extraordinaires et très tourmentés du peintre polonais Zdzislaw Beksinski (1929-2005) sont actuellement sur le devant de la scène, c’est grâce à lui. Depuis 35 ans, le collectionneur Piotr Dmochowski cultive sa relation fusionnelle avec l’œuvre et l’artiste d’une manière surprenante, pour le plus grand plaisir des nombreux fans du peintre et en répandant l’effroi auprès des critiques d’art. Après une rétrospective à la galerie parisienne Roi Doré en janvier et la sortie du film multiprimé du jeune réalisateur polonais Jan P. Matuszynski sur la famille du peintre, l’art de Beksinski est jusqu’au 18 février l’invité d’honneur du 50e Salon du Dessin et de la Peinture à l’eau au Grand Palais, dans le cadre d’Art Capital. Entretien.

Piotr Dmochowski, collectionneur des œuvres du peintre polonais Zdzislaw Beksinski.
Piotr Dmochowski, collectionneur des œuvres du peintre polonais Zdzislaw Beksinski. Siegfried Forster / RFI
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RFI : Tout au début de l’exposition au Grand Palais se trouve une de vos peintures préférées. Pourquoi cette image vous intrigue-t-elle autant ?

Piotr Dmochowski : Moi, j’appelle ce tableau « couple de momies ». C’est un tableau que j’ai acheté au peintre lui-même, il y a une trentaine d’années, au début des années 1980 et j’en ai fait le logo de tout ce que j’ai créé pour la promotion de Beksinski. Donc, c’est le logo de ma galerie d’art que j’avais pendant sept ans dans la rue Quincampoix, à côté du Centre Pompidou. C’est le logo d’un film qui s’appelle Hommage à Beksinski, c’est le logo de mes publications sur Beksinski, etc. C’est le tableau le plus connu du public, parce que, à peine qu’on le voie, on sait que c’est Beksinski.

Que voit-on sur ce tableau ?

Ce sont deux momies qui s’embrassent. On voit un couple décharné dans une étreinte très sensuelle et en même temps désespéré. L’homme tient la tête de la femme dans un geste très tendre, d’amour. Et elle se blottit dans un geste de désespoir, de peur, de tragédie. Voilà, comme toujours chez Beksinski, c’est plus ou moins décharné, c’est plus ou moins morbide, c’est plus ou moins terrible, mais c’est magnifique.

A quand date votre première rencontre avec Beksinski ?

J’ai rencontré d’abord sa peinture. C’était en 1976 quand j’étais en Pologne, en vacances, parce que j’habitais déjà en France. Avec ma femme, nous avons trouvé une exposition d’un peintre que nous ne connaissions pas, et on voulait juste jeter un coup d’œil. Quand on l’a vue, on était tellement stupéfait qu’on n’a pas arrêté à en parler, pendant des mois et des années, sans se souvenir même de son nom. Et puis, un jour à Paris, quelqu’un m’a dit : je sais de qui vous parlez, il s’appelle Beksinski. Et si vous voulez acheter un tableau de lui, il faut aller à Varsovie, dans telle ou telle galerie. Et c’est ce que j’ai fait deux jours après. La galerie ne voulait pas me donner ses coordonnées. Le hasard a voulu que j’aie trouvé son numéro de téléphone. Je l’ai appelé, mais il m’a dit qu’il était occupé, mais si je revenais en Pologne, il me recevra avec plaisir. Un mois après, on s’est donc retrouvé à son atelier ou plutôt dans son appartement, parce qu’il n’avait pas de vrai atelier. Je lui ai acheté tout de suite plusieurs tableaux et ensuite, l’idée m’est venue, que, peut-être, on pourrait aller plus loin. Et six mois après, je lui ai demandé : est-ce que vous seriez prêt à vous lier avec moi par un contrat d’exclusivité ?

Même si Beksinski n’a jamais donné des titres à ses œuvres, le collectionneur Piotr Dmochowski appelle cette peinture exposée au Grand Palais « Couple de momies ».
Même si Beksinski n’a jamais donné des titres à ses œuvres, le collectionneur Piotr Dmochowski appelle cette peinture exposée au Grand Palais « Couple de momies ». Siegfried Forster / RFI

Vous étiez déjà un galeriste réputé ?

Moi, je n’avais aucune expérience. Je n’avais jamais eu de galerie, je n’ai jamais vécu dans le monde de l’art. Mais, cette peinture m’a tellement plu que je me suis dit qu’il faut que je fasse connaître Beksinski au monde entier. Donc, j’ai commencé à l’exposer à Paris, dans une galerie que je louais, pour trois expositions. Ensuite, je me suis dit qu’il fallait aller encore plus loin. J’ai fait faire un court métrage sur lui qui s’appelle Hommage à Beksinski et qui a été présenté au Festival de Cannes 1986, puis j’ai fait des albums sur lui. Enfin, j’ai décidé d’ouvrir moi-même une galerie, pour ce peintre, exclusivement pour lui.

Donc on peut parler d’une relation fusionnelle entre un collectionneur et un peintre qu’on a souvent décrit comme un homme solitaire, mystérieux, un ermite presque insociable.

Il était spécial. Il était un peu bizarre. C’était un homme d’une très grande intelligence, d’une très grande culture, érudit, il savait énormément de choses. Très bavard, très sympathique, mais, il ne sortait pas de chez lui. Il n’a jamais voyagé à l’étranger, il n’a jamais pris l’avion, il n’a jamais quitté d’abord sa ville natale et ensuite Varsovie où il a déménagé. Il était un homme très compliqué, très complexe, avec énormément de contradictions, mais avec une telle puissance d’esprit et de personnalité, qu’on pouvait passer avec lui douze heures à converser. Mais il avait ses quelques lubies et difficultés. En plus, il avait des problèmes de santé qui faisaient qu’il ne pouvait pas sortir. Il n’est jamais venu à aucun de mes vernissages et j’en ai fait des dizaines : en France, en Belgique, en Allemagne, en Pologne… Il restait toujours chez lui, enfermé, à travailler. Il écrivait beaucoup, des nouvelles, des contes. Il menait une grande correspondance, avec plusieurs personnes. Il y a deux mois, j’ai publié un grand livre de 850 pages de correspondance entre lui et moi.

Aujourd’hui, Beksinski semble attiré de plus en plus du monde. En janvier sortait le film du jeune réalisateur polonais Jan P. Matuszynski, The Last Family, qui montre Beksinski et sa famille avec tous leurs côtés sombres.

Cet excellent film montre un homme plein de contradictions et plein de manies. Par exemple, Beksinski détestait à serrer la main à quelqu’un. Toucher quelqu’un, cela le mettait mal à l’aise. Il ne m’a jamais dit le mot « merci ». Jamais. Pendant 30 ans que nous travaillions ensemble et pendant les douze ans où j’étais son marchand, à aucun moment, il ne m’a dit « merci ». Pourtant, je lui ai fait venir en Pologne des milliers de choses dont il avait besoin. Je courais comme un fou pour trouver tout cela. Je lui ai apporté cela à son domicile, et jamais, je n’ai entendu le mot « merci ». Donc, il était bizarre.

Un visiteur dans l'univers du peintre polonais Beksinski au Grand Palais.
Un visiteur dans l'univers du peintre polonais Beksinski au Grand Palais. Siegfried Forster / RFI

En quoi consistait son génie artistique ?

Il avait une extraordinaire imagination. On ne trouve pas d’imagination pareille. Il est grand technicien, c’est remarquablement bien peint, il était très doué manuellement, mais ce qui est absolument unique, c’est son imagination extraordinaire. On lui posait souvent la question pourquoi cette imagination allait-elle vers le côté morbide ? Il ne savait pas répondre. C’est cela qui m’attire. C’était un homme constamment tourné autour de la mort. Il avait terriblement peur de la mort, depuis son jeune âge. Et à la fin, il était assassiné avec 17 coups de couteau. Il était attiré par la mort et j’ai connu pas mal de gens autour de lui qui ont le même esprit. Moi aussi, je suis sensible à cette peinture-là. D’autres voient cette exposition et se disent : « quelle horreur ! Je ne peux pas voir ça. » Moi, au contraire, je suis attaché, attiré comme par un aimant par cette morbidité.

Malgré tous vos efforts, pendant des décennies Beksinski est resté très peu connu en dehors de la Pologne. Est-ce cela est en train de changer ?

Tout l’establishment culturel, qu’il soit polonais ou français ou un autre, déteste cette peinture. Ils ne vous écriront pas un mot là-dessus. Ils ne feront pas deux pas pour venir voir. Ils disent que c’est du kitsch, c’est morbide, que des cadavres, c’est horrible. Le public, en revanche, depuis 35 ans, reste bouche bée. Moi, j’ai dû me battre deux ans pour pouvoir placer 50 tableaux de Beksinski et 100 dessins et 100 photos quelque part en exposition permanente. Varsovie n’en voulait pas. Heureusement, nous avons trouvé un lieu superbe à Cracovie. Si vous êtes en Pologne un jour, n’hésitez pas à aller à Cracovie pour voir cela. C’est extraordinaire.

Pour vous aussi, l’œuvre de Beksinski est tout d’abord morbide ?

Prenez cette peinture que j’appelle La Tête en choux. Cette tête remarquablement peinte, avec ce côté mystérieux et en même temps morbide, a quand même une note d’humour. Dans les yeux, vous avez des petits oiseaux, la lune, le soleil, et d’autres trucs amusants. Très souvent chez Beksinski, derrière ce côté morbide se trouve une plaisanterie qui vous fait sourire.

Œuvre (détail) de Zdzislaw Beksinski, exposée au Grand Palais.
Œuvre (détail) de Zdzislaw Beksinski, exposée au Grand Palais. Siegfried Forster / RFI

► Lire aussi : La renaissance du peintre polonais Beksinski, «The Last Family», rfi, 17/1/2018

► Beksinski, invité d’honneur du 50e Salon du Dessin et de la Peinture à l’eau au Grand Palais, dans le cadre d’Art Capital, jusqu’au 18 février.

► Musée virtuel de Beksinski : www.dmochowskigallery.net

► Site officiel de la Galerie Zdzislaw Beksinski, à côté de Cracovie.

► Site du Musée historique de Sanok, la ville de naissance et de jeunesse de Beksinski. Avec environ 600 œuvres, ce musée possède la plus grande collection d'œuvres de l'artiste.

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