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Culture / Allemagne / Suisse

Art spolié: le «trésor de Gurlitt» sort enfin de l’ombre

C’est une affaire qui a fait de gros titres. Une collection d'une valeur inestimable de 1 500 œuvres d'art a été découverte en 2012 et 2014 à Munich et à Salzbourg dans des appartements d’un retraité, Cornelius Gurlitt, fils d’un marchand d’art sous le IIIe Reich. Acquises par son père dans des conditions douteuses au cours des années 1930 et 1940, ces Picasso, Renoir, Chagall et autres sont présentés pour la première fois depuis plus de 70 ans et dans leur contexte historique lors d'une double exposition à Berne en Suisse et à Bonn en Allemagne. Un titre commun : « Collection Gurlitt, état des lieux ».

Vue de l’exposition «Collection Gurlitt, état des lieux» à la Bundeskunsthalle à Bonn.
Vue de l’exposition «Collection Gurlitt, état des lieux» à la Bundeskunsthalle à Bonn. David Ertl / Kunst- und Ausstellungshalle
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Avec notre envoyée spéciale à Bonn,

Comment lever le voile sur un trésor longtemps enfoui dans un appartement modeste à Munich, en Allemagne, appartenant à un vieil homme très discret, tellement discret qu'il ne possédait même pas d'assurance maladie ni de pension de retraite ? Son nom : Cornelius Gurlitt, fils d'un marchand d'art sous le IIIe Reich.

Il était même inconnu du fisc, mais son nom éclate au grand jour en 2012, lorsque la douane allemande retrouve chez lui derrière des placards et des piles de conserves alimentaires - parfois périmées depuis plus de 30 ans -, et dans une autre résidence à Salzbourg, en Autriche, deux ans plus tard, quelque 1 500 œuvres d'art - des Picasso, Renoir, Chagall et Matisse notamment - que l'on croyait disparues à jamais.

Personne ne connaît la véritable dimension du trésor

Près d'un tiers de ce « trésor de Gurlitt » se trouve actuellement exposé à Berne, la capitale de la Suisse, et à Bonn. Quelques 400 pièces, dont 250 à Bonn, sortent enfin de l'ombre : des dessins, tableaux et gravures de Cézanne, Monet, Munch et Delacroix, d'anciens maîtres comme Rubens, Dürer, Cranach et Brueghel, ou encore le Divan japonais de Toulouse-Lautrec, une magnifique baigneuse de Degas et même une sculpture de Rodin : La Femme accroupie.

« Ce sont des noms d'artistes illustres, pas forcément leurs meilleures œuvres, mais celles qui sont restées, car nous ne savons pas quelle était la véritable dimension de ce trésor avant, expliqueRein Wolfs, le commissaire de l'exposition à Bonn. Cornelius Gurlitt est l'héritier de cette collection d'art qui n'en était pas une, mais un bric-à-brac de choses très différentes amassées par un marchand d'art. Cornelius vivait avec ses œuvres dans son appartement comme un reclus. Et de temps à autre, il vendait un tableau aux enchères pour subvenir à ses besoins. »

Vue de « La Femme accroupie » (1882) de Rodin dans l’exposition « Collection Gurlitt, état des lieux » à la Bundeskunsthalle à Bonn.
Vue de « La Femme accroupie » (1882) de Rodin dans l’exposition « Collection Gurlitt, état des lieux » à la Bundeskunsthalle à Bonn. David Ertl / Kunst- und Ausstellungshalle

Hildebrand Gurlitt, une personnalité ambiguë

La Bundeskunsthalle Bonn propose un État des lieux, comme l'indique le titre de cette exposition. Qu'est-ce que l'on sait de ce marchand d'art, le père de Cornelius Gurlitt ? D’abord, que c’était une personnalité extrêmement ambiguë :

« Hildebrand Gurlitt est issu d'une famille de lettrés et d'artistes de Dresde en Allemagne de l'Est, son père était directeur d'université, lui-même historien de l'art. Il est devenu directeur de musée dans les années 1920, un directeur très progressiste qui s'est beaucoup engagé pour les expressionnistes que l'on désignait plus tard, sous le régime nazi, comme "dégénérés". Il a dû démissionner à cause de cette attitude progressiste, est devenu dans les années 1930 directeur du Kunstverein à Hambourg où on l'a congédié à nouveau au bout de deux ans, car il avait manqué une fois de hisser le drapeau national-socialiste. »

Du coup, il se convertit en marchand d'art et transmet son commerce à sa femme, puisqu'il est un quart juif du côté de sa grand-mère, mais comme les nazis ont besoin de son expertise pour mener à bien l'épuration des musées nationaux de l'art dit « dégénéré », il sera mandaté pour la revente de ces œuvres à l'étranger.

Des ventes forcées imposées aux juifs

« En 1943, Hildebrand Gurlitt a été engagé afin d'acquérir des tableaux dans des territoires occupés pour le mégaprojet d'un musée voulu par Hitler, finalement jamais réalisé. C'est à ce moment-là qu'il commence à profiter des ventes forcées imposées aux familles juives et qu'on parle d'œuvres spoliées par les nazis. »

Hans Christoph (1901–1992), “Couple”, 1924. Watercolour and copying pencil on Japan paper 53.5 × 65.4 cm. Bequest of Cornelius Gurlitt 2014, Provenance undergoing clarification.
Hans Christoph (1901–1992), “Couple”, 1924. Watercolour and copying pencil on Japan paper 53.5 × 65.4 cm. Bequest of Cornelius Gurlitt 2014, Provenance undergoing clarification. Mick Vincenz © Kunst- und Ausstellungshalle

Certains avancent que sur 650 000 œuvres volées sous le régime hitlérien, 100 000 n'ont toujours pas été restituées. Dresser l'état des lieux du trésor de Gurlitt reste un travail fastidieux accompagné d'enquêtes minutieuses et de batailles judiciaires. Andrea Baresel-Brand dirige le Centre allemand des biens culturels volés, fondé à la suite de l'affaire Gurlitt. « Un grand sujet qui nous occupe est la situation des propriétaires privés. Il n'y a pas d'obligation juridique de restituer des œuvres. C'est un engagement moral. »

Une collection d'une valeur inestimable

Le fait est que seulement six œuvres dérobées à des propriétaires juifs ont à coup sûr pu être identifiées, quatre ont été rendues à leurs héritiers, dont un Matisse ou encore « Deux cavaliers sur la plage de Max Liebermann mis rapidement aux enchères pour un prix estimé de 700 000 euros, raconteRein Wolfs. Le tableau est parti pour 3,5 millions euros; ça veut dire qu'une provenance Gurlitt peut se répercuter positivement sur le prix, aussi pervers soit-il. La collection n'est pas estimable parce qu'elle n'est pas sur le marché. Mais ce que nous voulions montrer dans cette exposition, c'est que les œuvres d'art sont aussi importantes que les histoires humaines qui sont derrière. »

Claude Monet (1840–1926) “Waterloo Bridge”, 1903. Oil on canvas, lined, 65 × 101.5 cm. Kunstmuseum Bern, Bequest of Cornelius Gurlitt 2014. Provenance undergoing clarification / Currently no indications of being looted art.
Claude Monet (1840–1926) “Waterloo Bridge”, 1903. Oil on canvas, lined, 65 × 101.5 cm. Kunstmuseum Bern, Bequest of Cornelius Gurlitt 2014. Provenance undergoing clarification / Currently no indications of being looted art. David Ertl, © Bundes-Kunst- und Ausstellungshalle

► Ecouter le Rendez-vous Culture consacré à l'exposition Gurlitt

Collection Gurlitt, état des lieux, une double exposition au Musée des Beaux-Arts de Berne et à la Bundeskunsthalle à Bonn, jusqu'au 11 mars. À partir de septembre, l’exposition sera montrée à Berlin, avant de parcourir le monde - avec l'espoir de trouver de nouveaux indices auprès du public sur la provenance de ces œuvres.

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