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Francophonies / Théâtre / Littérature / Cinéma / Performance / France / Roumanie

«Dialogues n°3» d’Aurelia Ivan sur les Roms et les bidonvilles

Comment saisir l’invisible, les êtres « indésirables », les terrains vagues de notre société ? Au Festival des Francophonies en Limousin, l’artiste roumaine Aurelia Ivan a imaginé un dispositif inédit d’écriture en direct. Dialogues n°3 réunit dans la Chapelle de la Visitation à Limoges trois intervenants, des centaines d’images et des milliers de questions autour de l’exclusion de la vie publique subie par les habitants des bidonvilles en général et les Roms en France en particulier.

« Entrée. Ancien. Platz. Bobigny. Coquetiers. » Photo prise par le cinéaste Jérémy Gravayat, intervenant dans le projet « Dialogues n°3 », présenté aux Francophonies en Limousin.
« Entrée. Ancien. Platz. Bobigny. Coquetiers. » Photo prise par le cinéaste Jérémy Gravayat, intervenant dans le projet « Dialogues n°3 », présenté aux Francophonies en Limousin. Jérémy Gravayat
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Dialogues n°3 tourne autour d’un casse-tête à la fois simple et insoluble : comment des gens poussés hors de la société « normale » cherchent leur place qui, de toute façon, leur est refusée ? Comment entrer en contact avec eux ? Comment montrer leur réalité ?

Ni pièce de théâtre, ni performance, ni conférence, ni débat, Aurelia Ivan parle d’ « un laboratoire d’écriture qui se tient en public » et définit son métier comme « un endroit de création, de pensée et de liberté ». Le lieu de l’événement contribue au dispositif artistique. La Chapelle de la Visitation est un édifice néoclassique érigé au XVIIIe siècle, transformé en lieu culturel. Entretemps, La Visitation a été habitée par des religieuses, un tribunal révolutionnaire, une pharmacie et puis une infirmerie pendant la Grande Guerre.

« Créer des temps inédits de pensées »

Aurelia Ivan est adepte d’un foisonnement de langages artistiques. Cette artiste multiforme roumaine a déjà fait naître des installations immersives et construit une machine humanoïde à son image. Formée au Conservatoire National d’Art théâtral et cinématographique de Bucarest et à l’École Nationale Supérieure des Arts de la marionnette de Charleville-Mézières, elle convoque dans la Chapelle à Limoges trois intervenants et le public. Les bancs des spectateurs sont disposés face à face, en forme d’entonnoir. L’ouverture regarde vers un grand écran et un pied de micro. Ici, tout est question de prise de parole, de lenteur et de silence, les trois éléments clés pour « créer des temps inédits de pensées ».

Interroger les images sur les Roms et les bidonvilles

Défilent alors les trois invités pour entrer en dialogue. Avant de montrer la première image, chaque intervenant tient d’abord un long monologue pour raconter l’histoire personnelle de ses images et de créer une atmosphère favorable pour les accueillir. « J’ai pris le médium image avec beaucoup d’inquiétude dans notre travail, avoue l’artiste. Peut-être à cause d’une super-conscience de la présence d’images dans notre quotidien. Pour cela, je voulais d’abord interroger les images, poser profondément la question de la place de l’image et sa représentation. »

Photo prise par le photographe Gil Roy, intervenant dans le projet « Dialogues n°3 », présenté aux Francophonies en Limousin.
Photo prise par le photographe Gil Roy, intervenant dans le projet « Dialogues n°3 », présenté aux Francophonies en Limousin. Gil Roy

Des images saisies, volées, recueillies, suivies

Le photographe Gil Roy a longuement approché avec des Roms habitant des bidonvilles et noué d’amitié avec certains entre eux. Il partage et documente leur vie entre la France et la Roumanie et leur quotidien marqué par les expulsions et les discriminations, parfois assorties de jets de cocktails Molotov.

Stefan Mihalachi se présente comme ethnographe roumain, à la fois éducateur au Service Accueil de mineurs isolés et photographe-témoin des sociétés des périphéries. Pendant dix ans, il a réalisé un projet aussi fou qu’improbable : faire le tour photographique des toutes les Portes du périphérique parisien.

Et puis apparaît Jérémy Gravayat, réalisateur d’un film en cours (Atlas, Speranta Moare Ultima / L’espoir meurt en dernier) et d’une ambition folle : réaliser - à partir de sa vie en fusion avec les personnes interrogées - une traversée cinématographique de tous les lieux de bidonvilles d’hier et d’aujourd’hui en Seine-Saint-Denis.

Le refuge bidonville

« Ce sont que des espaces et des paysages urbains. Leur seul point commun : à un moment donné, les gens qui habitaient en bidonville avaient trouvé refuge à ces endroits-là. Comme tous ces lieux ont été filmés après la démolition de ces bidonvilles par les autorités, ce qu’on voit est très différent selon les endroits. Ça parle de la multiplicité de ces lieux de vie et de leur disparition, d’une politique répressive qui fait que les gens n’arrêtent pas de changer en permanence les endroits. Et en creux, j’espère que cela donne à réfléchir sur les enjeux qui entourent et pressurisent ces types d’espace. »

Photo prise par Stefan Mihalachi, ethnographe, éducateur, photographe-témoin et intervenant dans le projet « Dialogues n°3 », présenté aux Francophonies en Limousin.
Photo prise par Stefan Mihalachi, ethnographe, éducateur, photographe-témoin et intervenant dans le projet « Dialogues n°3 », présenté aux Francophonies en Limousin. Stefan Mihalachi

Les images médiatiques

Pour Aurelia Ivan, il s’agit de trouver le contrepied d’une société qui va de plus en plus vite. « Nous nous sommes tous donné du temps pour travailler autour des bidonvilles, de l’habitat précaire, autour de la figure de l’étranger, de l’Autre. Chez chaque intervenant, ce sont des histoires différentes. Quant aux images véhiculées par les médias, la plupart du temps on est face à des images qui accompagnent un article sur une expulsion ou sur la difficulté de pouvoir rester sur un espace qui a été investi. »

Les images à l’écran et les paroles prononcées nous invitent à enrichir notre imaginaire sur les bidonvilles et les Roms. On découvre des lieux anonymes et perdus au-delà du périphérique, coincé entre des murs, sous un pont d’autoroute, à l’écart d’un site industriel… Dans les campements, on voit des enfants rire, faire du vélo, des jeunes à s’entraîner et s’entraider, une femme travailler au marché aux puces, un homme se raser…

Des images rares

Un travail fragile et en cours. Des images rares et d’autant plus précieuses pour ouvrir un dialogue en dehors des sentiers battus. Comme son titre indique, Dialogues n°3 est la suite d’une réflexion entreprise de longue date avec des acteurs du terrain, des philosophes et des créateurs. Le voyage sera long, mais la prochaine étape se dessine déjà à l’horizon : « Ce laboratoire d’écriture fait partie d’un processus de création de nos matériaux qui seront partie intégrante de la création d’une pièce qui s’appellera Aujourd’hui. Cette pièce sera créée en janvier 2018 à Paris. »

 Dialogues n°3, par Aurelia Ivan, au Festival des Francophonies en Limousin, à la Chapelle de la Visitation, Limoges.

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