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Art Paris / Afrique

L’Afrique, invité d’honneur à Art Paris Art Fair

Quelle est la valeur marchande des artistes africains et de la diaspora admirés à « Afriques Capitales » à La Villette ou très attendus pour les expositions à venir dans la capitale française ? Avec son focus « L’Afrique à l’honneur », la foire internationale d’art moderne et contemporain « Art Paris Art Fair » qui se tient jusqu’au 2 avril au Grand Palais avec 139 galeries de 29 pays sert cette année de baromètre pour un marché encore très balbutiant en Afrique, mais de plus en plus dynamique en Europe et en particulier en France.

« Zulu Kids » (détails), série photographique présentée à Art Paris par l’artiste helvéto-guinéenne Namsa Leuba.
« Zulu Kids » (détails), série photographique présentée à Art Paris par l’artiste helvéto-guinéenne Namsa Leuba. Art 21
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Et oui, en France, l’année 2017 semble être dédiée aux créations venant de, ou inspirées de l’Afrique. Pourtant, à Art Paris, la grande foire pour l’art moderne et contemporain, aucun drapeau aux couleurs africaines ne flotte devant le Grand Palais. Même après avoir franchi les portes d’entrée majestueuses de la grande nef, il n’y a nulle part des signes ostentatoires d’un focus Afrique à l’horizon. Au contraire, la galerie Claude-Bernard nous accueille avec les œuvres de l’artiste français d’origine chinoise Gao Xingjan ; à côte, la galerie Omagh rend hommage au nouveau réaliste franco-américain Arman, célèbre pour ses « accumulations » ; et la galerie Dil consacre un solo show au peintre expressionniste français Bernard Buffet.

À l’encontre d’une Afrique exotique

Les artistes du Focus Afrique sont dispersés un peu partout dans le Grand Palais, à l’image de la galerie Nathalie Obadia où des photographies du monument malien Seydou Keïta côtoient les tirages de Laure Prouvost, artiste française vivant à Londres, lauréate du prestigieux Turner Prize en 2013. Marie-Ann Yemsi, la commissaire invitée de ce focus « L’Afrique à l’honneur » souhaite aller à l'encontre d’une Afrique exotique :

« Il s’agit pour moi d’offrir de nouvelles perspectives sur le continent africain. En France, on a accumulé un retard sur le regard qu’on porte sur ce continent. On est encore dans une ’exotisation’, dans une Afrique plus fantasmée qu’une Afrique réelle. Ces projections, ces idées erronées ou préconçues rejaillissent aussi sur les artistes contemporains du continent africain. »

« Zulu Kids » de Namsa Leuba

Parmi les vingt galeries invitées et engagées en faveur d’artistes africains se trouve Art Twenty One, de Nigeria. Venue exprès de Lagos pour le focus Afrique, la galerie présente à Art Paris les photographies plus qu’étonnantes de Namsa Leuba, une des nouvelles stars de la jeune génération de la scène africaine. Née en 1982 en Suisse, avec un père suisse et une mère guinéenne, elle travaille beaucoup sur l’identité africaine et l’art de trouver son propre chemin entre des cultures superposées.

Dans la série Zulu Kids (à partir de 7000 euros par photographie, éditée en 5 exemplaires), elle s’est rendue en Afrique du Sud pour faire poser des enfants sur des socles, après avoir créé à la fois des costumes et une mise en scène spectaculaire. « Elle crée en quelque sorte une tradition « vintage ». Elle étudie les traditions des statues en Afrique de l’Ouest et leur rôle dans les cérémonies. Comme en Afrique du Sud, il n’y a pas cette tradition, elle a transposé cet héritage sur la culture sud-africaine en créant quelque chose totalement fictive. »

« Imaginary Trip », de l'artiste congolaise Gosette Lubondo, présenté par la galerie Afriart de Kampala à Art Paris.
« Imaginary Trip », de l'artiste congolaise Gosette Lubondo, présenté par la galerie Afriart de Kampala à Art Paris. Afriart

« Imaginary Trip » de Gosette Lubondo

Daudi Karungi, directeur et fondateur de la galerie Afriart à Kampala participe également pour la première fois à une foire en France. Basé en Ouganda, il présente la jeune artiste congolaise Gosette Lubondo et son Imaginary Trip. « Elle essaie de faire renaître la vie dans une station de train abandonnée comme il y en a beaucoup en Afrique. Quand les Belges ont quitté le Congo, le réseau ferroviaire a été délaissé. Alors l’artiste essaye de recréer la vie d’autrefois. »

La tension des identités est également palpable dans la série Mangbetu du jeune Congolais Eddy Kamuanga Illunga. A 26 ans, il vit entre Bruxelles et Kinshasa où il a son atelier. «Mangbetu est un peuple du nord-est du Congo qui a énormément souffert de la colonisation. À cause de leurs longues têtes, leur beauté et la splendeur de leurs coiffes, ils ont été souvent représentés pendant la colonisation sur des affiches, sur la monnaie ou les cartes postales. Ils ont connu un certain « succès » en Europe et ont été appelés « Mangbetu » par les Belges. Quand j’ai découvert ce peuple complètement créé par la colonisation, j’ai décidé de remettre cela en question et de travailler sur cela. »

« Pourquoi un tel engouement pour l’Afrique ? »

L’actuel engouement envers les artistes africains lui laisse perplexe : « Cela me faire plaisir, mais en même temps, je me pose la question, pourquoi il y a un tel engouement pour l’Afrique dans la scène artistique aujourd’hui ? Jusque-là, je n’ai pas trouvé de réponse. »

Entre temps, ses peintures acryliques à 16 000 euros ont été déjà toutes vendues, mais il en reste encore des tirages à 650 euros. Pour Elisabeth Lalouschek, la directrice artistique de l’October Gallery de Londres, depuis 1979 une des pionnières dans l’art d'avant-garde transculturel, jusqu’ici, les œuvres des artistes africains ne font pas objet de spéculation : « les prix ont évolué lentement, mais sûrement ». Et c’est vrai, même les tarifs pour les valeurs sûres au stand de la galerie d’André Magnin, Magnin-A, n’apparaissent pas astronomiques avec un J-P Mika du Congo pour 30 000 euros ou des masques « bidons » de la star Romuald Hazoumé du Bénin pour 16 000 euros. Seul prix à six chiffres : l’installation monumentale Elf rien a foutre (2005) de l’artiste béninois mise à prix pour 180 000 euros.

Eddy Kamuanga Ilunga : « Oubliez le passé et vous perdez les deux yeux », ed. 11/25 (2016, archival giclée print).
Eddy Kamuanga Ilunga : « Oubliez le passé et vous perdez les deux yeux », ed. 11/25 (2016, archival giclée print). October Gallery

Jean de La Fontaine et l’Orient

Katia Kameli, artiste franco-algérienne née en 1973, explore souvent les entre-deux. Dans la grande exposition Afriques Capitales, à La Villette, elle présente une installation vidéo. The Storyteller montre un conteur interprétant à sa manière les films de Bollywood. A Art Paris, elle nous surprend avec un collage d’iconographies sur la fable La Tortue et les deux Canards de Jean de La Fontaine.

« Dans Stream of Stories, je retrace les sources orientales des fables de La Fontaine, un auteur qui fait partie de la base de l’éducation française. Sauf, on nous parle souvent des influences d’Esope et des Grecs, mais on ne nous parle pas du tout des influences orientales. Et ces fables viennent de l’Inde. Panchatantra avait écrit un recueil d'allégories animalières à destination des princes. Ensuite elles ont été traduites vers le perse, puis du perse vers l’arabe et puis de l’arabe en 53 autres langues qui sont venues jusqu’à nous, en Europe et dont s’est inspiré La Fontaine.  Dans mon collage de différentes iconographies, tout cela est mêlé dans une image qui nous mène vers l’Orient. »

La France en retard

Avec la multiplication des événements consacrés à l’art venu d’Afrique, la scène artistique française pourrait se croire avant-garde dans la matière. Mais, à l’instar de Mohau Modisakeng et son travail sur la violence infligée aux corps noirs, un artiste qui représentera l’Afrique du Sud à la prochaine Biennale de Venise et qui est montré pour la première fois en France grâce à la galerie Whatiftheworld, la commissaire Marie-Ann Yemsi rappelle que la France est plutôt en retard par rapport à d’autres pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni ou l’Allemagne. Même Africa Remix, l’exposition légendaire de 2004, conçue comme Afriques Capitales par Simon Njami, a été d’abord montrée à Düsseldorf en Allemagne, avant d’atterrir à Londres et Paris :

« Comme j’ai des origines allemandes – je suis née en Allemagne, mon père est camerounais et je vis en France où j’ai étudié - je peux assez bien percevoir les différences. D’une manière assez incroyable, la France a beaucoup de retard et elle a beaucoup de mal à faire face à l’histoire. Je pense que l’Allemagne a entrepris ce regard et a pris conscience de sa responsabilité, y compris dans l’histoire coloniale. Cela l’a libérée et l’a permis à regarder ce continent autrement. C’est vrai, énormément d’initiatives et de regards sur ces artistes et de projets ont lieu en Allemagne. Ce qui fait que l’Allemagne a certainement une longueur d’avance par rapport à la France. »

« Bouquets de fleurs au 3e Age » (2016), de Chéri Samba, toile exposée sur le stand de Magnin-A à Art Paris.
« Bouquets de fleurs au 3e Age » (2016), de Chéri Samba, toile exposée sur le stand de Magnin-A à Art Paris. Siegfried Forster / RFI

«Afriques Capitales»: nouvelle vision du monde et de l'art
► Lire aussi : Les 40 ans du Centre Pompidou: «La place de l’art africain est essentielle»

Art Paris, jusqu’au 2 avril au Grand Palais, Paris

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