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COP22-Canada

COP22: «Notre plus gros problème, c’est l’expansion des oléoducs»

Une semaine après l’élection de Donald Trump, les peuples autochtones d’Amérique du nord sont préoccupés par les prises de position du prochain président américain sur les questions environnementales. Venu à la COP22 avec la délégation du Canada, le chef Kevin Hart, représentant des nations amérindiennes du Manitoba, redoute en particulier les nouveaux projets d'oléoducs. Entretien.

Le chef Kevin Hart représente les 63 nations amérindiennes du Manitoba.
Le chef Kevin Hart représente les 63 nations amérindiennes du Manitoba. Christophe Carmarans / RFI
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De notre envoyé spécial à Marrakech

Kevin, qui êtes-vous et qui représentez-vous ici à la COP22 ?
Je m’appelle Kevin Hart. Je suis le chef de la province du Manitoba à l’Assemblée des Premières nations qui représente les 634 nations amérindiennes (notez que l’on dit ‘nation’ et non pas ‘tribu’ NDLR) du Canada.

Et qu’avez-vous pu faire jusqu’à présent, ici à la COP22 ?
Nous avons travaillé à la mise en œuvre d’une plateforme représentant les peuples autochtones dont nous avions déjà parlé l’an dernier à Paris lors de la COP21. Le but c’est que nous puissions être en mesure d’être une force de proposition car nous, les peuples autochtones, nous avons appris à prendre soin de la planète depuis des milliers d’années. Et nous nous rendons compte que l’on commence à se tourner vers nous pour obtenir des conseils afin de préserver la planète. Pour nous, au Canada, les questions environnementales sont devenues de plus en plus controversées à cause de l’exploitation des ressources via l’extraction minière et la construction de barrages par exemple.

Mais notre plus gros problème à l’heure actuelle, c’est l’industrie du gaz et du pétrole avec l’expansion des oléoducs. Comme vous le savez, nos voisins américains au sud de la frontière, les Sioux de Standing Rock, sont en train de se battre pour empêcher la construction d’un oléoduc. Au Canada, nous faisons face aux mêmes problèmes avec le projet LNG (gaz naturel liquéfié) et l’oléoduc Keystone, tous ces projets qu’ils sont en train de nous imposer dans nos régions et nos communautés. C’est très inquiétant dans la mesure où le président élu Trump a indiqué qu’il ferait reprendre l’extension de l’oléoduc Keystone qui avait été rejetée par le gouvernement de Barack Obama.

Si vous regardez le tracé de cet oléoduc, il vient directement dans ma province, le Manitoba, qui est située en plein centre du Canada. Or, en vertu de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et aussi du principe du Consentement préalable, libre et éclairé, qui sont des textes internationalement reconnus, nous sommes protégés par l’article 35 de la Constitution du Canada qui oblige le gouvernement à nous consulter. Ce que je constate non seulement en Amérique du Nord mais aussi dans le monde entier, c’est qu’il y a une importante prise de conscience sur ces questions.

Comment aviez-vous fait pour obliger le gouvernement Obama à renoncer à l’extension du projet Keystone ?
Il y avait eu un gros effort de lobbying émanant de différentes associations de défense de l’environnement, pas seulement en Amérique du Nord mais aussi dans le monde entier. L’accent avait été mis sur la protection de l’eau et du sol. Il suffit de lire les journaux pour voir qu’un peu partout, chaque semaine, il y a des pollutions pétrolières à cause de ruptures d’oléoducs, avec des effets catastrophiques sur l’environnement.

Mais à votre niveau, en termes de lobbying, que faites-vous exactement ?
A notre niveau, le Chef de l’Assemblée des Premières nations a envoyé une lettre officielle au Premier ministre du Canada pour qu’il fasse pression sur le gouvernement Obama à propos de Keystone. Je me suis rendu personnellement à Standing Rock pour constater de visu les violations de droits de l’homme qui se produisent là-bas. Les violences se sont accentuées ces dernières semaines. Les agents de sécurité de l’oléoduc du Dakota du Nord ont lâché des chiens policiers sur des femmes et des enfants. Ils tirent des flash-balls au hasard dans la foule. Et nous avons une vidéo où une journaliste a été touchée intentionnellement par une flash-ball parce qu’elle était en train de filmer.

En plus de tout cela, ils utilisent des tactiques militaires contre les manifestants : privation de sommeil, survol de la zone en avion sans autorisation. Et la nuit dernière, j’ai appris qu’ils avaient utilisé des avions d’épandage chimique contre les manifestants. Autrement, nous sommes aussi présents sur le Site C, un projet de barrage en Colombie britannique, contre des projets de sables bitumineux dans le nord de l’Alberta. Nous défendons aussi le respect du Traité 6 dans le Saskatchewan, les recherches de plutonium dans le nord du Saskatchewan, et des projets hydrauliques dans le nord du Manitoba qui ont déjà causé tant de dommages à mon peuple dans les années 1950 et 1960.

La situation des Amérindiens est-elle différente entre le Canada et les Etats-Unis ?
Oui car nous, au Canada, nous avons signé des traités de nation à nation. De façon pacifique. Nous ne sommes jamais entrés en guerre contre le Canada. Et ce sont des traités reconnus au plan international. Cela fait une différence énorme. Cela dit, nos frères Sioux de Standing Rock avaient aussi signé un traité à Fort Laramie en 1851 qui laissait le contrôle des Grandes Plaines aux Amérindiens. Cela n’a pas empêché les sociétés de forage de remuer les sols sur des lieux sacrés.

Il y a eu un changement de gouvernement l’an dernier au Canada, quelles différences cela fait-il au niveau de la protection de l’environnement ?
Une immense différence. Les dix ans de gouvernance de Stephen Harper ont été dix années très sombres. Leur politique et leur législation, c’était principalement d’anéantir les droits des peuples des Premières nations au Canada. Avec le nouveau gouvernement progressiste qui est en place, c’est complètement différent. Par exemple, l’une des premières déclarations du nouveau Premier ministre Trudeau a été de dire que sa relation privilégiée serait avec les peuples des Premières nations du Canada.

Donald Trump à la Maison Blanche, c’est ce qu’il y avait de pire comme scénario pour le monde en général et l’Amérique du nord en particulier ?
Wow ! Tout ce que je peux dire, c‘est que le combat va être de taille, vu ce qu’il se passe en ce moment aux Etats-Unis avec les dissensions qui sont en train de prendre forme là-bas, la façon dont le pays est divisé, les manifestations qui ont déjà eu lieu depuis l’élection… Tout ce que je peux dire, c’est que nous allons intercéder auprès de notre Premier ministre pour qu’il nous défende. Le président élu Trump a visiblement des vues très opposées aux nôtres sur les questions environnementales. Avec lui, on sait que l’intérêt des 1% les plus riches viennent en priorité par rapport à l’environnement et à la planète.

Le Canada a l’une des délégations les plus importantes, en nombre, ici à Marrakech. Dans quelle mesure a-t-elle été efficace jusqu’à présent ?
En ce qui me concerne, je peux vous dire que j’ai beaucoup travaillé à faire prendre nos intérêts en compte, à faire connaître les traités qui nous protègent au plan international comme au plan fédéral et à les faire respecter ; de rappeler au Canada qu’il avait le devoir de nous consulter pour tout développement futur. Cela entre dans mes prérogatives, à la fois en tant que chef régional du Manitoba pour l’APN (Assemblée des Premières nations) et aussi de porte-parole pour l’eau, les infrastructures et l’énergie de substitution.

J’ai beaucoup insisté aussi pour faire comprendre que notre ressource la plus importante, c’était l’eau. Et que nous devions la préserver à tout prix. Dès que nous sommes dans le ventre de nos mères nous sommes entourés d’eau. Quand nous naissons, c’est l’eau qui vient en premier. Il y a donc une connexion sacrée entre l’eau, les êtres humains, la Terre et le Créateur. Quand il n’y a plus d’eau, il n’y a plus de vie.

Y a-t-il des Amérindiens au plus haut niveau politique au Canada ?
Oui à l’Assemblée des Premières nations nous sommes fiers de compter l’une d’entre nous, l’ancien chef régional de la Colombie britannique Jody Wilson-Raybould qui a été nommée ministre de la Justice. C’est la plus haute fonction jamais occupée par un Amérindien – une Amérindienne en l’occurrence - dans un gouvernement canadien. Petit à petit, les choses avancent dans la bonne direction. Les annonces faites par le nouveau gouvernement sont très encourageantes. Mais nous avons du chemin à faire car nous avons connu des heures très sombres sous le gouvernement précédent. Il y a beaucoup de textes à revoir pour mieux protéger nos territoires et les espèces menacées.

Comment devient-on chef amérindien ?
Ah, ah ! Comment devient-on chef ? (rire). Vous savez, en ce qui me concerne, je ne pensais jamais devenir chef un jour, ni me voir confier un rôle de commandement. Mais je trouve que c’est une bénédiction d’avoir eu le soutien d’autres chefs qui m’ont encouragé à tenir ce rôle et aussi des femmes à hautes responsabilités qui m’ont désigné. Au Manitoba, nous avons 63 nations représentées par 63 chefs, dont certaines sont des femmes. Et ce sont ces 63 chefs qui élisent leur chef de région. J’ai été désigné chef par d’autres chefs, qui eux-mêmes avaient été élus par le peuple. Au plan national, les chefs de région élisent un chef national à l’Assemblée des Premières nations. A l’heure actuelle, notre chef national se nomme Perry Bellegarde. Il a été nommé en 2014 et vient de la nation Little Black Bear dans le Saskatchewan.

Et il y a donc des femmes chef …
Absolument. Rien qu’au Manitoba, nous avons dix femmes qui sont chef. Dix sur soixante-trois.

Pour finir, est-ce que vous pouvez nous décrire votre coiffure à plumes et ce qu’elle signifie ?
Mais bien sûr. Les ouvrages de perles que vous voyez sur le devant reflètent la région d’où je viens. Je viens de la nation Cree qui vit dans le nord du Manitoba. Les dessins sont très originaux. Chez les Cree, la plupart de nos emblèmes sont floraux. La roue médicinale sur les côtés représente nos quatre couleurs sacrées : le noir, le blanc, le rouge et le jaune. Quant aux plumes d’aigle, chacune d’entre elles correspond à un enseignement. Elles proviennent toutes du même aigle. Quand on vous les remet, c’est l’un des plus grands honneurs. Se voir remettre une seule plume, c’est déjà un très grand honneur. Alors, que mon peuple me remette une coiffure pour faire de moi son chef, c’est le plus grand honneur que l’on pouvait me faire.

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